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Au Théâtre de Monte-Carlo. Roma

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AU THÉÂTRE DE MONTE-CARLO
« Roma »
Opéra tragique en cinq actes, de Henri Cain, d’après « Rome vaincue », d’Alexandre Parodi, musique de M. Massenet.

MONTE-CARLO, 16 février (De notre envoyé spécial). – Une fois de plus, le fastueux théâtre de Monte-Carlo enlevé à Paris la primeur d’un ouvrage nouveau dû à la plume infatigable de M. Massenet. Dans un lieu où toutes les nations se trouvent représentées, cet événement prend, comme on dit aujourd’hui, un caractère « mondial », dont on attend moins une critique qu’un compte rendu.

M. Henri Cain a suivi avec toute l’adresse et la fidélité possibles le drame célèbre de Parodi : s’il a changé le titre, qui, de Rome vaincue est devenu Roma, et le nom de l’héroïne, qui, naguère appelée Opimia, se nomme ici Fausta, il a conservé la disposition générale, la coupe, et aussi souvent que faire se pouvait le texte même du drame original.

La Partition

La partition débute par une ouverture plus développée que de coutume dans les ouvrages de M. Massenet : on y entend, après des fanfares qui établissent le caractère de l’œuvre, les thèmes principaux qui y paraîtront, notamment la phrase calme et religieuse qui symbolise le culte de Vesta. Cette ouverture, au reste, n’a point le caractère symphonique, mais plutôt celui d’une rapide rhapsodie dramatique, enlevée d’une brosse large, et qui se termine sur une véritable « stretta ».

Au premier acte, on a remarqué surtout le chœur en ut mineur, où, dès le début, dans un style austère qui évoque celui de l’oratorio (comme au début de Samson et Dalila), les Romains se lamentent sur les malheurs de la patrie, puis la scène où l’aveugle Posthumia vient prier Vesta.

Une courte introduction, où le thème de Vesta reparaît, précède le second acte ; la confession de la naïve Junia, qui se croit coupable pour avoir seulement rêvé, y forme une sorte de nocturne pastoral où soupire la flûte et où M. Massenet a montré, par des touches à peine indiquées, la sûre légèreté de sa main.

Entre le second et le troisième acte, une longue phrase en majeur, enguirlandée de lents arpèges, constitue un interlude qui rappelle, non point par sa mélodie, mais par son effet, la fameuse méditation de Thaïs ; un peu plus tard, cette phrase accompagnera les souvenirs amoureux de Lentulus, l’ami de la vestale. Mais il va de soi que la page centrale de cet acte est le chaleureux duo d’amour qui réunit Lentulus et Fausta et qui, après l’arrivée de l’esclave gaulois, se termine par un trio.

Le quatrième acte est plus austère, comme il convient pour interpréter en musique une séance du Sénat, et d’un Sénat qui siège comme tribunal. De majestueuses suites d’accords forment le fond du tableau : une phrase triste exprime la pitié des sénateurs pour leur collègue Fabius, oncle de la vestale coupable, et un tendre arioso en mi majeur que celui-ci chante à sa nièce pour l’engager aux confidences oppose les sentiments de l’homme à ceux du citoyen et du magistrat. Fausta, ayant confessé à son oncle sa faute, lui annonce sa résolution de mourir pour sauver la patrie, sur un thème enflammé, dans le ton clair d’ut majeur. Les supplications de Posthumia, implorant du Sénat la grâce de Fausta, ramènent les accents pathétiques entendus au début du premier acte.

Un chœur – presque un choral – d’hommage à Vesta, chanté derrière la coulisse forme le dernier entr’acte. Lorsque le rideau se lève, une suite chromatique de septièmes diminuées peint 1’horreur du tombeau promis à Fausta, dont la résignation s’exprime, quelques instants plus tard, dans une cantilène en si bémol qui fournit la matière d’un court mais imposant ensemble. Et, après le meurtre pieux de Fausta par Posthumia, l’œuvre se termine par un chœur de gloire et d’actions de grâces, sur le rythme guerrier des quatre temps, et dans le ton cuivré de la majeur.

L’ensemble de la partition, où M. Massenet se retrouve tout entier, semble pourtant marquer chez ce maître caressant et séducteur le dessein d’exprimer, par des lignes simples sinon nues, et l’austérité romaine et la sévérité du drame qu’il mettait en musique. En disant que tel était son dessein, on peut négliger de dire qu’un homme aussi maître de son métier, aussi rompu à l’art du théâtre, l’a rempli.

L’interprétation

Le théâtre de Monte-Carlo a contribué au succès de Roma par une présentation extrêmement brillante de l’œuvre, Mlle Kousnietzoff, dans le rôle de la Vestale, joint comme chanteuse, comme actrice et comme femme, la grâce, à l’éclat ; Mme Guirandon exprime avec un grand charme les remords innocents de Junia, qui se croit coupable pour un rêve ; Mlle Arbell, l’interprète favorite de M. Massenet, tient le rôle de Posthumia, créé dans le drame original par Mme Sarah Bernhardt. M. Muratore chante et joue avec une vigueur superbe le rôle de Lentulus ; M. Delmas a la majestueuse autorité qui convient au sénateur Fabius Maximus ; M. Clauzure et M. Noté déploient les ressources de leurs belles voix dans les rôles du Pontife et de l’esclave gaulois. Les petits rôles sont tenus à l’avenant ; les chœurs et l’orchestre sont excellents, sous la direction de M. Jehin.

Parmi les décors, très judicieux, je signalerai particulièrement le Forum, le Sénat et le champ rocheux où se dresse le tombeau. Et je n’oublierai ni les costumes pittoresques et variés, ni la figuration, remarquable de vie, comme tous les spectacles montés par Gunsbourg.

Les auteurs, les interprètes et le directeur ont partagé de nombreux et vifs applaudissements.

Jean Chantavoine.

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date de publication : 16/10/23