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Le Théâtre. Le Timbre d’argent

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LE THÉÂTRE.
THÉÂTRE-LYRIQUE (GAÎTÉ)
Première représentation du Timbre d'argent, opéra fantastique en quatre actes, poème de MM. Jules Barbier et Michel Carré, musique de M. Camille Saint-Saëns.

[Résumé de l’intrigue]

Sans les richesses du cadre, je ne sais trop ce que fût devenue la légende fantastique de MM. Jules Barbier et Michel Carré, et si l’on n’eût pas été forcé d’envoyer au diable une pièce qui en arrivait. C’est une série de tableaux qui se succèdent, uniquement pour varier le spectacle, sans qu’un nœud dramatique suffisamment serré en relie les situations éparses. — « Ne cherchez point une pièce dans les développements scéniques du Timbre d’argent », sera peut-être tenté de répondre M. Jules Barbier ; « vous n’y trouverez qu’un scenario, c’est-à-dire un thème pour le musicien ; le décorateur et le maître de ballet ». Passe, en ce cas, pour un scenario.

A l’issue d’une audition unique et après avoir feuilleté – n’ayant pas le temps de la lire — la partition de M. Camille Saint-Saëns, on ne saurait espérer d’être entré dans le cœur d’une œuvre de ce caractère. Elle a pu se révéler dans ses qualités saillantes et en dehors, et accuser tout son relief au point de vue théâtral, mais ne pas laisser tout deviner aux impressions rapides et toujours un peu confuses du public des premières représentations. Dans une composition musicale aussi complexe, aussi fouillée dans le détail que le Timbre d’argent, la critique et le public sont gens de la même paroisse ; tout ce que peut loyalement faire la critique, c’est de parcourir les grandes lignes de l’opéra et d’en signaler les points éclairés ; comme le public, les juges du feuilleton subissent des sensations qui, très sincères à ce premier contact avec le musicien, peuvent nécessairement, plus tard, se modifier ou se compléter. La critique reçoit des impressions, et elle les transmet ; et pourvu qu’elle ne trompe point, on l’excuse de se tromper quelquefois et même souvent.

Par la nature de son talent, le tour particulier de ses idées, l’école à laquelle il se rattache en musique, — et j’ajoute par l’esprit de système encore — M. Camille Saint-Saëns abordant le théâtre est un compositeur à part. Il y arrive avec des tendances avouées de symphoniste qu’il ne veut ni renier, ni amoindrir, et il a raison, car là est le coin de son originalité, et dans l’art de faire parler l’orchestre en maître, il a une force, une netteté, une précision tout à fait remarquables. Il ne faut donc point, en l’écoutant au théâtre, commencer par écarter le symphoniste en acceptant le compositeur dramatique : ni le musicien du Timbre d’argent, ni le public ne trouveraient leur compte à les vouloir brouiller. Aux moments pathétiques où la scène inspire M. Camille Saint-Saëns au point de paraître le conquérir tout à fait, il a des retours de tendresse pour cet orchestre qu’il apaise, – oui comme on apaise une maîtresse, en se réservant de lui dire à l’oreille les mots les plus cachés du cœur !

Une course rapide avec des jalons plantés, çà et là, à travers les pages les plus applaudies de la partition, n’en saurait découvrir que les points très en vue et aisément accessibles ; j’en ai dit l’inconvénient comme j’en ai démontré la nécessité. Il faut donc se résoudre à passer vite. Au premier acte le public a fait bisser à Bénédict la charmante mélodie en si bémol « Demandez à l’oiseau qui s’éveille, etc. » Phrase vocale, peinture orchestrale, c’est un tableau empreint de fraîcheur matinale que ce ramage murmuré dans l’aube blanchissante. Le final de « l’apparition » est un morceau de scène et de symphonie qui ouvre ses ailes fantastiques sur la légende et suspend l’attention entre le monde du rêve et celui de la réalité. C’est une heureuse fin d’acte. Les premières mesures du chœur étincelant : Gloire à la belle des belles ! a de la verve et de l’allure. Mais quelle sonorité originale que le froufrou orchestral du « pas de l’abeille ! » Je n’ai point d’opinion encore sur la quintette A nous les dez.

Dans la fête de l’orgie, au deuxième tableau de ce second acte, un morceau à l’emporte-pièce, la chanson napolitaine de Spiridion : De Naples à Florence a soulevé — je n’exagère rien — une tempête d’enthousiasme. C’est théâtral, c’est en dehors, et, dans sa franchise, d’une rare originalité rythmique. C’est, dans cette chanson, un beau timbre d’enfer que la voix chaude et métallique de Melchissédec.

Un pan de ciel apparaît comme une lueur rafraîchissante, avec le paysage et les scènes pastorales du troisième acte. Une couleur archaïque empreint d’innocence et de paix le chœur villageois : Voici le seuil hospitalier. Le duo entre Hélène et Rosa : Chère sœur, quel nuage, m’a laissé dans la mémoire le nuage d’indécision qui a traversé l’impression du public ; il a cherché à comprendre et je n’y ai pas mieux réussi que lui. En revanche, quelle clarté d’expression ! quelle suavité d’accent dans la cavatine de Conrad : Nature souriante et douce, maison charmante, ombrage épais ! Ici le symphoniste et le mélodiste (quel mot fâcheux je prononce là !) s’étreignent en quelque sorte, et ne sauraient plus être séparés. Tous les bruits gazouillants de ce délicieux paysage, tapis dans l’orchestre, font écho à la voix qui remplit de souvenirs un cœur ingrat ! Dans cet acte encore, une jolie chanson le Papillon et la Fleurn'a pas moins réussi que la cavatine. Puisqu’on l’a redemandée, on pourrait dire qu’elle a réussi davantage, mais il ne faut point choisir quand on peut tout garder.

Dans l’acte du dénouement, je citerai la belle bacchanale : Carnaval ! carnaval ! et la valse, d’un balancement si voluptueux, des « filles de l’enfer ». Quand je serai plus sûr de mon fait, je louerai la « Chanson du timbre », dite par Spiridion.

J’ai peut-être ménagé le Timbre d’argent en faisant sonner les morceaux à effet de cette partition. Les pages pittoresques ou charmantes y abondent très certainement : je répondrais moins de ce qui est le cœur et la moelle de toute œuvre de théâtre : l’inspiration ou la passion dramatique. Mais encore, pour être absolument juste, faut-il faire largement la part à ce qui tient à des idées préconçues et à l’esprit de système. Quelque opinion qu’on ait d’ailleurs de la partition de M. Camille Saint-Saëns, elle est l’œuvre d’un grand musicien, et, à ce titre, peut-elle promettre plus qu’elle ne donne.

Melchissedec rend avec une certaine désinvolture et chante d’ailleurs supérieurement le rôle de Spiridion. Dans celui de la danseuse Fiammetta, Mme Théodore a du ballon et des pointes ; c’est la part d’illusion qu’elle apporte au rôle et à la séduction du personnage. Dans les rôles des fiancées (celui de Rosa est de beaucoup le meilleur des deux) on a encouragé les voix jeunes de Mesdemoiselles Salla et Sablairolles. Cette dernière sait dire avec grâce. Ayant très peu de voix, mais du sentiment et du goût, M. Caisso (Bénédict) s’est tiré avec succès d’une double et difficile épreuve dans la mélodie de l’Oiseau et dans la chanson : le Papillon et la Fleur.

Bénédict.

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Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

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date de publication : 25/09/23