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Les Théâtres / La Soirée théâtrale. Phryné

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Les Théâtres
Opéra-Comique : Première représentation de Phryné, opéra-comique en deux actes, de M, L. Augé de Lassus, musique de M. Camille Saint-Saëns. 

Il y a quelques jours, M. Ernest Reyer, après avoir constaté l’éclatante réussite, à l’Opéra, de l’œuvre du colosse germanique, terminait son magistral feuilleton en déclarant qu’il ne restait plus aux musiciens français qu’à « tomber avec grâce ». 

Pourquoi cet abattement, cet abandon de soi-même ? Pourquoi « tomber » ? En art, aussi bien qu’en politique, la France n’est-elle pas indispensable à l’équilibre général ? Et surtout par son théâtre, par sa production lyrique, si mobile et si vivante, ne doit-elle pas rester à la tête des nations musicales ? 

Il faut des œuvres françaises ; il en faut pour la France, il en faut pour le monde entier, où partout elles occupent la scène, il en faut même pour les Allemands, gens accessibles aux conceptions nébuleuses et patients aux volumineuses compositions, mais qui sont enchantés aussi de s’amuser quelquefois, et qui seraient désolés de n’avoir point FaustCarmenMignonFra Diavolo et tant d’autres partitions françaises, au grand succès desquelles ils ont contribué autant que nous. 

C’est précisément une de ces œuvres, faciles et reposantes, que le théâtre de l’Opéra-Comique nous offrait hier, et le public a fait un accueil chaleureux à cette Phryné dont un de nos maîtres – peut-être le plus sévère – a écrit la partition enjouée, en manière de délassement. 

Sujet piquant, partition délicieuse, artistes aimables, tel est le bilan du spectacle d’hier. Il faudrait avoir vraiment l’esprit morose pour ne pas s’y être agréablement récréé. 

L’évocation de Phryné sur la scène du théâtre dans lequel les familles en quête d’époux viennent conduire leurs filles est peut-être un peu risquée. Hâtons-nous de dire que l’héroïne de la pièce y est présentée, quant à sa situation morale, avec une louable discrétion. D’ailleurs, puisque les demoiselles d’aujourd’hui sont appelées à se familiariser avec les caprices des dieux Scandinaves, elles n’auront guère à s’effaroucher des fantaisies de la société païenne, ni de l’apparition de Vénus Aphrodite. Il n’y aura qu’une différence de mythologie. 

Puis, en ces pièces quelque peu hardies, il n’y a rien de tel pour réussir que l’esprit : c’est une recette qui n’est pas à la portée de tout le monde, mais que l’auteur du livret a su heureusement employer. 

*

Ils sont fort réjouissants les personnages mis en œuvre dans cette frasque athénienne. Ce Dicéphile vaniteux, avare, qui a volé les biens de son neveu Nicias, et dont on inaugure le buste, décrété par les autorités de la ville, est un type d’égoïste très réussi. D’être célibataire il se vante : — Je n’ai jamais aimé que moi, dit-il. — Quel goût ! répond Nicias. 

Mais le jeune homme, dépouillé jusqu’à la moindre somme, est poursuivi par les usuriers, mieux encore, par son oncle Dicéphile, l’archonte vénéré, qui a acheté des créances et va le faire incarcérer. On vient pour l’arrêter. Alors Nicias, aidé d’esclaves que Phryné met à son service, tombe sur les recors, les roue de coups et les met en fuite. Il n’en est pas moins sur le pavé. Phryné vient encore en aide au jeune fou. 

Si, le front couronné de lierre 
Et sur la lèvre une chanson, 
Heurte à ma porte hospitalière 
Bacchus qui n’a plus de raison, 
Ma porte s’ouvre complaisante 
Et je suis là toujours présente : 
Entrez, ami ! 
Je ne suis pas bonne à demi. 

Nicias accepte. Mais quoiqu’il aime Phryné, la maison est tout ce qu’on lui promet. Au moment d’entrer, une nouvelle idée folle lui traverse l’esprit : la nuit vient, il se vengera de son oncle. Aidé de quelques amis, il barbouille de lie de vin le buste de Dicéphile et lui enfonce une outre sur la tête. 

L’archonte reparaît ; il est saisi d’horreur à la vue de son buste souillé. Il entend des voix qui chantent dans la maison de Phryné : « Dicéphile est un fripon ! Dicéphile est un coquin ! » Lui aussi se vengera ! 

La nuit est passée. Nicias s’apprête à quitter la demeure de Phryné qu’il veut fuir, plutôt que de demeurer près d’elle sans être aimé. Par ses aveux, Phryné apprend qu’il est réellement ruiné : elle lui déclare alors qu’elle l’aime depuis longtemps et qu’elle attendait ce moment pour le lui avouer. 

Il paraît qu’en ce temps-là les femmes légères avaient de ces caprices, bien démodés aujourd’hui !

Quoi qu’il en soit, la scène est d’un bel élan et très chaleureuse. 

Mais on touche à la situation capitale de la pièce. Dicéphile arrive, furieux, armé des foudres de la justice et représentant l’aréopage tout entier, insulté dans sa personne. Phryné, qui s’était éloignée, reparaît bientôt, en un costume qui ne laisse pas de doute sur ses intentions : 

Je dois acheter le silence 
De cet homme à tout prix, 
Et faire de nos lois trébucher la balance... 

Alors s’engage une scène de séduction irrésistible de cajolerie, de coquetterie, de perfidie. Dicéphile perd en peu de temps la raison. Phryné le fait asseoir près d’elle et le force à l’aider à sa toilette ; elle lui fait attacher ses bijoux, sur ses bras, sur son cou, puis elle lui demande une rose. À ce moment, une obscurité profonde envahit tout à coup la scène, un rideau s’écarte et Dicéphile se trouve en face de la statue d’Aphrodite, qui reproduit les traits et le corps de Phryné. 

Dicéphile, hors de lui, s’élance pour saisir la statue merveilleuse, mais le rideau se referme, la lumière revient ; Phryné est étendue sur un lit de repos : l’archonte affolé se jette à genoux : 

Que votre main mignonne 
Un instant s’abandonne 
Et je mets à vos pieds la justice et les lois ! 

À ce moment Nicias rentre accompagné de groupes nombreux ; Dicéphile se relève, honteux et vaincu. Plus de procès, plus de guerre. Tout le monde entoure le magistrat et chante sa gloire : « Votre fête d’hier vous est ici rendue », lui dit Phryné. Puis le bonhomme s’écrie : 

Et tout cela pour voir une statue ! 

*

M. Camille Saint-Saëns a brodé sur ce canevas une musique sans prétention, légère, courante, d’un accent si juste (que les mots et les sons semblent avoir été coulés d’un même jet. La mélodie abonde dans ces pages faciles ; elle y a même quelquefois un peu trop de laisser-aller et s’égare dans les sentiers de l’opérette. Mais le dialogue reste toujours fin et spirituel. 

Quant à l’instrumentation, elle est d’une délicatesse exquise en sa tenue irréprochable. M. Saint-Saëns l’a écrite pour le classique orchestre symphonique, ce qui n’a pas empêché l’habile maître d’en faire jaillir à tout instant des sonorités piquantes et des effets nouveaux. L’accompagnement de basson des couplets de Dicéphile, au premier acte, est d’une invention étonnante. 

Nous devons dire que l’orchestre de l’Opéra-Comique semble s’être retrouvé cette fois dans l’élément qui lui convient et a interprété en perfection cette partition raffinée. 

Parmi les morceaux les mieux accueillis du public nous citerons au premier acte le gracieux cantabile de Nicias : « Ô ma Phryné ! » et le joli couplet de Phryné dont nous avons reproduit les vers : « Si le front couronné de lierre, etc. ». Nous n’aimons pas beaucoup le chœur dansé, sur un rythme vulgaire ; mais ce n’en est pas moins un morceau qui a enlevé la salle. 

Le second acte est à citer presque entièrement. Le duo d’amour de Phryné et de Nicias est chaleureux ; l’air de Phryné : « Un soir j’errais sur le rivage », mélodieuse inspiration, dont l’accompagnement, auquel viennent se mêler les harpes, est d’une poésie enchanteresse ; l’invocation « Ô Reine de Cythère », par trois voix à l’unisson, est une page superbe qui a été bissée. Il faut louer encore les amusants couplets de Dicéphile, bissés aussi, et la grande scène de séduction, dont la facture est des plus intéressantes et dont les détails sont pleins d’entrain et d’esprit.

*

Les interprètes de l’œuvre ont eu une large part dans le succès. 

La radieuse beauté de mademoiselle Sybil Sanderson a fait sensation ; la voix et l’habileté de la cantatrice n’ont pas été moins appréciées ; quant à la comédienne, tout en restant irrésistiblement séduisante dans la scène scabreuse de la fin, elle y a fait preuve d’un tact et d’une mesure qu’on ne saurait trop louer. Ç’a été une belle soirée pour la charmante artiste. 

M. Fugère est d’ordre supérieur dans le rôle de Dicéphile dont aucun des effets ne lui a échappé ; il est même probable qu’il en a trouvé plus d’un là où l’auteur ne les avait pas rêvés. M. Fugère est, en outre, un excellent chanteur, doué d’une bonne voix, et il n’a pas moins bien servi le musicien que le poète. Son succès a été complet. 

Le rôle de Nicias est tenu par M. Clément, dont la voix est sympathique et qui phrase avec goût. Le jeune chanteur devra toutefois se mettre en garde contre une tendance à baisser, dont il n’a pu triompher suffisamment dans la soirée d’hier. Mademoiselle Buhl, dans un gracieux petit rôle, a montré la jolie sonorité d’une voix bien timbrée, encore un peu indécise. 

Deux rôles accessoires sont fort bien tenus par MM. Barnolt et Périer. 

La mise en scène de Phryné, très soignée, a impressionné très favorablement le public.

Charles Darcours. 

[…]

La Soirée Théâtrale
PHRYNÉ

J’avais consciencieusement pioché ma Phryné. Je m’étais documenté copieusement – comme c’est mon habitude – sur les dessus et les dessous de cet opéra-comique. J’avais, en remuant la poussière des bibliothèques, fini par dresser les états de service dramatiques du librettiste, M. Augé de Lassus : spécialités d’à-propos en vers pour anniversaires et de cantates pour prix de Rome, sans parler de certaine Conspiration Mallet, un drame dont l’interdiction, au théâtre du Château-d’Eau, fit quelque tapage en 1889. Je m’étais mis en mesure de vous dire comment cette partition grecque fut écrite sous le soleil algérien et pour quelles raisons, destinée tout d’abord à la Renaissance, elle dut émigrer à l’Opéra-Comique... Mais ce luxe de détails, excellent en hiver, à l’heure où la saison théâtrale bat son plein, perd toute sa saveur lorsqu’elle ne bat plus... que d’une aile, l’été venu. Et j’imagine que ce qu’il vous importe de savoir avant tout, sans boniment ni périphrase, c’est si le public a fait bon ou mauvais accueil à la pièce. 

Eh bien ! soyez heureux : l’œuvre de MM. Saint-Saëns et de Lassus est un succès, et un succès bien dans la note de la maison, car il est fait de gaîté, de belle humeur, et je dirais même, si je n’avais peur d’être taxé d’irrévérence, de drôlerie. 

Drôle, Camille Saint-Saëns, vous voulez rire ! Drôle, ce personnage hoffmanien, à l’aspect malingre et souffreteux, avec je ne sais quoi d’ascétique et de renfrogné, dont la lèvre triste semble réfractaire au sourire et ne devoir s’ouvrir que pour le sarcasme, dont la barbe et les cheveux en branches de saule ont l’air de pleurer des illusions perdues, au passage de qui les carafes se frappent, spontanément et qui paraît en deuil même avec des étoffes de deuil... Drôle, Camille Saint-Saëns, allons donc ! 

C’est comme je vous le dis. Le Saint-Saëns dont vous venez d’esquisser la silhouette, c’est le Saint-Saëns extérieur ; mais il en est un autre que ceux-là seuls connaissent bien qui l’ont vu dans le commerce intime, en déshabillé, en robe de chambre. Ceux-là seuls savent ce que cette écorce glaciale et rébarbative cache de chaleur sincère, de robuste bonne humeur, de gaîté débordante, de verve gauloise, et, lâchons le mot, de gavrocherie. Mais, comme il y a des affinités indélébiles entre le physique et le moral, entre l’homme qu’on est et l’homme qu’on paraît, Saint-Saëns appartient à la catégorie des expansifs et des joyeux qu’on appelle des pince-sans- rire. 

Oui, un gavroche, l’artiste sévère à qui l’on doit ProméthéePhaétonla Danse macabrele Rouet d’OmphaleSamson et Dalila ; et possédant comme pas un tous les attributs qui distinguent cette variété de l’espèce animale... parisienne, et, par-dessus tout, le sens du comique. Celui-là, c’est le Saint-Saëns de Phryné. Allez-y voir, si vous ne voulez pas me croire.

Et comme rien n’est plus contagieux que la gaieté, tout est gai dans cet opéra-comique : les artistes sont gais, Fugère exulte, Clément, Barnolt et Perier cabriolent, les danseuses ont du vif argent dans les mollets, Mlle Buhl folichonne et Mlle Sanderson sourit presque ; gais, les décors de Rubé et Chapron ; gais, les costumes de Thomas, et gai, l’orchestre où il y a un coquin de basson qui se livre, par moments, à des gauloiseries tout à fait.... armandsilvestriennes ! 

Les vieillards de l’aréopage – j’entends celui de ce côté-ci de la rampe – ont fait un succès énorme à la statue d’Aphrodite, un beau morceau de sculpture, dont l’original est au Salon des Champs-Élysées et dont l’auteur, M. Campagne, a fait faire un moulage spécial. 

Dans la pièce, cette statue est attribuée à Praxitèle. Je ne sais pas si le grand artiste grec la désavouerait ; mais j’affirme qu’il n’eût jamais plus parfait modèle que la divine Sybil. Ce n’était qu’un cri dans la salle : 

— La superbe créature !... Quelles épaules ! Quels bras !... Quel galbe !... Quels... Quels... Quels ?... Et quelle tête charmante l 

— Ouï, ça donne l’idée d’étudier la Phryné au logis ! 

Pardon !... il fait si chaud !

Un Monsieur de l’Orchestre.

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Compositeur, Organiste, Pianiste, Journaliste

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

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Camille SAINT-SAËNS

/

Lucien AUGÉ DE LASSUS

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date de publication : 25/09/23