Théâtre-Italien. Première représentation de Fausto
Théâtre-Italien.
Première représentation de Fausto, opera seria en trois actes.
La révolution qui, chaque jour, faisait des progrès en Italie, semble s’être étendue jusqu’au Théâtre-Italien de Paris. Depuis le départ de Lablache, l’administration a redoublé d’efforts pour dissimuler l’absence de ce grand chanteur ; l’activité surtout n’a pas manqué : la reprise de Don Juan, l’étude du Faust donné hier et les répétitions de la Mathilde, qui est prête à être représentée, en font foi. Nous ne saurions trop louer les administrateurs de ce théâtre d’avoir frayé aux compositeurs français une route nouvelle et d’avoir accueilli un jeune talent que d’assez heureux essais avaient déjà recommandé à la bienveillance du public. Nous sommes toujours disposés à encourager les innovations de tout genre, mais principalement celles qui doivent tourner à la gloire de nos compatriotes. N’était-ce pas, en effet, un funeste préjugé que celui qui nous faisait croire que l’on ne pouvait trouver de bons opéras italiens qu’en Italie ? Boieldieu dans La Dame blanche, Auber dans La Muette n’ont-ils pas prouvé qu’ils pourraient faire d’excellente musique italienne ? Pourquoi le Théâtre-Italien de Paris, ouvert aux compositeurs français, ne serait-il pas pour eux un sujet d’émulation, et un motif pour Feydeau et l’Académie royale de musique d’activer la mise en scène des opéras qui vieillissent à l’étude ? Nous ne prétendons pas pour cela exclure les ouvrages de jeunes auteurs qui honorent l’Italie ; nous voudrions même que ces habiles compositeurs, dont quelques-uns sont ici, fussent appelés à mêler les mélodieux accords de la lyre italienne aux sons harmonieux des lyres françaises. Mercadante, Vaccai, Bellini, Pacini, Donizetti, Pavesi méritent d’être entendus à Paris, et nous regrettons vivement que le court espace d’une saison ne nous ait pas permis de connaître Donna caritea, Zadig, Saül, Fenella, opéras qui jouissent en Italie d’une réputation méritée.
Le libretto de l’ouvrage donné hier à Favart est calqué sur le drame de Goethe ; on a seulement dégagé l’action de quelques-unes des nombreuses catastrophes qui viennent la rembrunir. On a pourtant laissé et la métamorphose du vieux Stregone en ce jeune Fausto si sémillant, si aimable, si amoureux ; et la signature du pacte diabolique et la mort funeste du frère de Margarita, et l’infanticide et la scène de la prison. Toutes ces situations ont fourni à l’auteur de la musique les moyens d’êtr dans ses divers morceaux tour à tour sombre, passionné, touchant, souvent gracieux et léger, toujours vif et spirituel. Un chœur intérieur, chanté au commencement du premier acte par des femmes invisibles, a paru rempli de charme et de suavité ; nous nous croyions transportés à la chapelle Sixtine, un des trois derniers jours de la Semaine sainte, où les musici du pape, cachés sous les voûtes de Saint-Pierre, chantent avec leurs voix argentines ces beaux oratorii de Pergolèse, qui ont fait entreprendre à plus d’un riche curieux le voyage de la ville éternelle. On a applaudi dans ce même acte le duo entre Faust et le diable, et l’air chanté par Donzelli, Quant'è bella. Si nous voulions mêler un peu de critique à ces éloges, nous reprocherions au compositeur d’avoir, dans quelques morceaux du premier acte, trop multiplié les instruments à vent ; entraîné par l’idée qu’il faisait chanter un démon, il a rendu assourdissant le chœur de la métamorphose : la phrase musicale se perdait dans le bruit. Nous lui conseillerions ensuite d’abréger au deuxième acte les politesses que fait Méphistophélès à la suivante dans le duo Vi saluto, madama ; elles donnent une trop haute idée de la bonne éducation que l’on reçoit aux enfers. Ce morceau est d’ailleurs plein de verve t d’originalité. Le duo chanté par Donzelli et Mme Lalande, Signora amabile, a été couvert d’applaudissements. Si nous n’avions entendu ensuite des morceaux écrits avec une surprenante energie, nous aurions pensé que l’auteur était plutôt destiné à réussir dans l’opera buffa. La prière touchante du troisième acte, Abassa oimé, nous a détrompé ; le style en est large, l’accentuation marquée et Mme Lalande n’a rien laissé à désirer dans son exécution., non plus que dans le duo de la prison avec Donzelli, où ils ont fait assaut de passion et d’énergie. Santini, dans le personnage de Mefistofele, s’est montré bon acteur et chanteur excellent ; son sourire diabolique a fait pâlir plus d’une des jolies personnes qui garnissaient les loges.
Un incident a manqué nous priver d’un duetto remarquable du premier acte, ou Faust invoque le diable : la barbe postiche de Donzelli était si mal assurée, qu’on aurait pu accuser le costumier d’avoir conspiré pour que Fausto fût rajeuni sans l’intervention de Mefistofele. Donzelli, obligé de chanter, en tenant de la main sa barbe appuyée au menton, semblait réclamer l’intervention d’un dentiste plutôt que celle d’un démon.
La pièce est, du reste, mise en scène avec beaucoup de soin ; les décorations sont fort belles. Le costume de Donzelli est sévère ; celui de Santini fort original et bien composé ; c’est de tous les Méphistophélès qui aient paru, le mieux habillé, selon nous. Ce costume sera copié dans nos bals travestis. L’orchestre mérite des éloges ; l’ensemble a été parfait. Cet ouvrage, qui sera entendu avec plaisir, doit encourager son auteur à travailler. Nous sommes faché qu’il ait voulu garder l’anonymat.
La Reine, Mlle d’Orléans, M. le duc de Nemours et les deux jeunes princesses assistaient à cette brillante représentation.
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Louise BERTIN
/Louise BERTIN
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date de publication : 25/09/23