Premières représentations. Le Voyage dans la Lune
PREMIÈRES REPRÉSENTATION
LE VOYAGE DANS LA LUNE
Opéra-féerie en 4 actes de MM. Leterrier, Vanloo et Mortier Musique d’Offenbach. Représenté pour la première fois sur le théâtre de la Gaîté le 26 octobre 1875.
Lorsqu’on sort du théâtre à deux heures du matin, et qu’on tient à faire connaître à ses lecteurs habituels, dès leur réveil, ce qui sera l’événement du monde parisien, le sujet de causerie du jour, il faut que la phrase soit courte comme le temps qui vous est concédé.
Donc, vite, nos impressions, en style télégraphique, sur l’opéra féerie qui vient d’être joué avec tant de succès à la Gaîté.
On peut dire que la féerie commence dès le vestibule du théâtre. Le public est étonné et ravi à la vue des transformations opérées à la Gaîté.
Des fleurs, des tapis et des tentures partout : le contrôle en grande toilette, des programmes luxueux, imprimés en trois teintes, distribués gracieusement à chacun.
Aimable préface à une soirée éclatante. Auditoire de choix : le tout-Paris élégant.
À huit heures commence le défilé de vingt-trois tableaux, qui ne finira que six heures après.
Premier acte.
Le Palais du roi Vlan.
Vlan, c’est Christian ; ce nom suffit pour que vous imaginiez le type du souverain bouillant et fantaisiste.
Vlan est fatigué du pouvoir : il veut abdiquer et passer la couronne à son fils, le prince Caprice.
Mais quand on s’appelle Caprice et qu’on veut être digne de son nom, on ne se contente pas de recueillir tranquillement l’héritage paternel. Le prince cherche encore des émotions avant de s’asseoir sur le trône : il aspire à continuer sa vie d’aventures.
Son seul embarras est de trouver des émotions neuves. Caprice, est blasé sur tout.
Au moment où il cherche cette terre promise de l’inconnu, la lune montre sa face.
La lune ! Voilà l’affaire du jeune homme. « Papa, je veux voir la lune ! »
Et Mlle Zulma Bouffar chante une adorable mélodie, « Ô reine de la nuit ! » qui gagne à l’artiste et au maëstro les oreilles des auditeurs.
Le succès est... dans son premier quartier.
Quand un prince héritier a désiré, il faut qu’on obéisse, et qu’on exécute.
Telle est la tâche dévolue au fameux savant Microscope.
S’il n’invente pas un moyen de conduire Caprice dans la lune, il perd son emploi et la vie.
Microscope préfère être un homme de génie, et après mûre réflexion, et aussi avec la collaboration d’un nommé Verne (voir le catalogue du libraire Hetzel), il imagine un canon monstre qui aura une force de projection suffisante pour faire parcourir à Caprice les 350,000 kilomètres qui séparent la Terre de la Lune.
(Je dis 350,000 kilomètres par à peu près, car il est deux heures et demie du matin.)
Le public est introduit dans la forge où le canon est fondu.
Tableau très pittoresque : reproduction ingénieuse et frappante des merveilles de l’industrie moderne.
Et maintenant que l’engin est créé :
Les voyageurs pour la Lune,
..... en canon !
On fourre Caprice, le roi son père, ainsi que Microscope, dans un large obus, et il n’y a plus qu’à mettre le feu à la poudre.
Par un contraste fin et piquant, ce sont de tout petits artilleurs qui sont préposés au service de la pièce monstre, et ces gamins arrivent en chantant en chœur :
Nous sommes les petits artilleurs.
qui est une des perles de la partition d’Offenbach.
Une détonation... monstre...
Et la toile tombe, au bruit des bravos de la salle entière.
Deuxième acte.
Dans la lune.
Comme il faut se hâter, je vais vous résumer en quelques mots l’idée-mère du reste de la pièce.
La voici :
Les habitants de la lune ont sur la terre et ses habitants des idées aussi fausses que nous en avons, sans doute, sur l’astre, de la nuit.
Ainsi le roi de la Lune, Monsieur Cosmos, déclare que la Terre est inhabitable, « par suite de l’absence de toute atmosphère autour de la Terre. »
Et il répète ainsi tour à tour, toutes les déclarations que la science humaine formule au sujet du pays lunaire.
Vous saisissez le parti que les auteurs ont pu tirer de ces plaisanteries, lesquelles auront peut-être un tort, celui d’être un peu quintescenciées pour le public moins instruit.
Ce soir, tout a porté.
La peinture des mœurs politiques et sociales des sujets du roi Cosmos a provoqué également la plus franche hilarité. D’après MM. Leterrier, Vanloo et Mortier, rien de ce qui se fait dans la lune ne ressemble à ce qui se passe sur la terre : par exemple, l’amour est inconnu ; les comptables, loin de croquer le magot des contribuables, mettent, dans les coffres de l’État, une partie de leur fortune personnelle ; enfin le roi est obligé de travailler, car ses sujets le surveillent dans la maison de verre qu’il habite. Quand il paraît flâner, ses sujets grognent et le gourmandent.
Tout cela est spirituel, d’une satire douce, et la musique d’Offenbach mêle sa broderie étincelante à cette gaieté de bon aloi.
Vous n’êtes donc pas surpris d’apprendre que, dépaysés en un tel milieu, les trois habitants terrestres, commettent les plus lourdes maladresses, bouleversent la société lunaire. Le prince Caprice surtout est un sujet de désordre, car il révèle à la fille du roi Cosmos le mystère de l’amour ignoré dans la lune.
Aussi Cosmos est décidé à prendre les mesures les plus violentes pour arrêter le mal qui menace de devenir une épidémie.
Sa fille ? Il la vendra au marché aux femmes, et la séparera ainsi du séducteur Caprice.
Caprice, Vlan et Microscope seront condamnés au Volcan forcé pour cinq ans.
Les infortunés tentent de fuir, mais, paralysés par le froid, retardés par la neige, ils tombent au pouvoir de Cosmos.
Dans ce troisième acte, qui se termine par le tableau de la neige, sont les deux éléments principaux de vogue pour l’opéra-féerie.
Le premier, c’est une parade, dans laquelle Christian et Mlle Zulma Bouffar atteignent les limites les plus extrêmes de la haute bouffonnerie.
Et puis, Offenbach a écrit un air de saltimbanque qui passera... oui... je risque le mot : à la postérité.
Rien de plus original, de plus hardi, de plus inattendu.
On a voulu l’entendre trois fois : Un triomphe pour le compositeur et pour Mlle Zulma Bouffar.
La seconde merveille de cet acte, c’est, le ballet.
Des flocons de neige.
Figurez-vous un paysage abrupt : la neige tombe ; des femmes toutes couvertes ne neige passent et repassent en se jouant, et au milieu d’elles voltigent des hirondelles frileuses allant chercher des régions plus tempérées.
Pour composer le costume des hirondelles, Grévin a eu une véritable inspiration. On n’a jamais rien vu d’aussi délicieux à l’œil.
La descente des condamnés dans le volcan, leur séjour en ce lieu, l’éruption du volcan, la pluie de cendres et le clair de terre qui composent le quatrième et dernier acte, ont produit moins d’effet. Mais le succès était lancé et il sera de longue portée... comme le canon de Microscope.
Il suffira, pour assurer ce résultat, de couper trois ou quatre scènes inutiles et lentes, et de raccourcir beaucoup le tableau des ventrus.
Il restera une œuvre très variée, une pièce curieuse, enfin une partition qui comptera parmi les meilleures d’Offenbach.
Dans toute la représentation, il n’y a pas eu un seul accroc : artistes, figurants, machinistes, musiciens ont marché sans broncher sous l’œil et le commandement du directeur Vizentini, qui était au pupitre du chef d’orchestre.
Christian a, enfin, été sobre, et par suite, très amusant.
M. Habay ne fait qu’apparaître, mais a plu beaucoup.
Mlle Marcus a eu un heureux début.
Quant à Mlle Zulma Bouffard, elle est maintenant une étoile........ auprès de laquelle la lune elle-même semble un astre vulgaire.
HENRI DE LAPOMMERAYE.
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Le Voyage dans la Lune
Jacques OFFENBACH
/Albert VANLOO Eugène LETERRIER Arnold MORTIER
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date de publication : 03/11/23