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Avant-première. À Monte-Carlo. Roma

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AVANT-PREMIÈRE
À Monte-Carlo : « Roma », de M. Massenet

L’Opéra de Monte-Carlo donnera, aujourd’hui après-midi, la répétition générale et samedi soir la première représentation de Roma, opéra tragique en cinq actes, dont le poème fut tiré par M. Henri Cain de Rome vaincue, d’Alexandre Parodi, et dont la musique est de M. Massenet.

C’est le sixième ouvrage dont l’illustre musicien réserve la primeur à l’Opéra de Monte-Carlo, où il donna déjà le Jongleur de Notre-Dame, Chérubin, Thérèse, Espada et Don Quichotte.

L’apparition d’une œuvre de M. Massenet – que tant de drames d’amour où l’émotion s’unit étroitement au charme, tant de personnages nouveaux vivifiés par son génie, tant de triomphes dans le monde entier, ont placé au premier rang des musiciens dramatiques – est toujours un événement d’art de puissant intérêt.

Je suis allé recueillir les impressions de M. Massenet et de M. Henri Cain sur ce nouveau fruit de leur collaboration fréquente et féconde.

J’ai trouvé M. Henri Cain au sortir de la première répétition de Roma.

– Vous savez, me dit-il, que j’ai tiré le livret de Roma de l’admirable Rome vaincue de Parodi. J’ai fait de mon mieux pour en équilibrer un poème musical où tous les rôles fussent importants et variés, dont l’ensemble fût, musicalement et scéniquement, d’une parfaite homogénéité. J’ai respecté le plus possible la tragédie de Parodi. Je ne m’en suis écarté que lorsque l’exigeaient les nécessités de l’adaptation musicale. Mais ce que j’ai cru devoir modifier dans le plan général, dans l’ordre et la conduite des scènes ne se départ pas de la plus absolue fidélité à l’âme de cette belle œuvre, à laquelle la musique de Massenet va donner une vie nouvelle. Je sors de la première répétition profondément enthousiasmé. J’ai l’impression bizarre et toute nouvelle que je viens d’assister à l’audition d’un chef-d’œuvre consacré et que je n’avais jamais entendu !… Je connaissais pourtant la partition de Roma, autant du moins que l’on peut connaître une partition entendue au piano. Mais ce premier contact des artistes, des chœurs et de l’orchestre est pour moi – qui ai pourtant l’habitude des répétitions – quelque chose d’inattendu dont je suis surpris et ravi. Une forte et belle œuvre vient de s’épanouir pour le plus grand honneur de la scène française. Je ne crains pas d’affirmer – ce que le public ratifiera demain – que, parmi tant d’œuvres exquises où il semble que Massenet ait tressé en se jouant les plus adorables guirlandes de son esprit et de son cœur, Roma m’apparaît comme l’œuvre du recueillement, celle où l’artiste jette toute son âme !… Ce fut d’ailleurs l’impression de tous, c’est-à-dire des seuls autorisés, hormis mon bon maître et moi, à assister à cette répétition, je veux dire nos interprètes, et les choristes, et les musiciens de l’orchestre. Pour la première fois, à une simple lecture générale, il y eut une explosion d’enthousiasme spontané et unanime : les chœurs et l’orchestre ne se lassaient pas d’acclamer chacune des belles pages que les artistes ont à chanter au cours de Roma. La première ovation, frénétique, fut celle qui salua Julia Guiraudon après l’air de Junia, au second acte. Un moment ensuite, mêmes ovations pour Noté, dans son rôle de l’esclave gaulois. Puis, c’est notre cher grand Muratore et l’admirable, l’exquise Kousnezoff, qui sont acclamés. Au quatrième acte, l’acte du Sénat, Lucy Arbell, dans le rôle de l’aïeule aveugle Posthumia, nous tint tous haletants sous le souffle de grandeur tragique dont elle magnifie ce personnage terrible où elle se montre artiste incomparable. Enfin c’est Delmas qui, dans le rôle de Fabius, nous étreint, nous émeut et semble l’incarnation même de la grandeur romaine !… Mais allez trouver Massenet : il vous dira mieux que moi tout ce que nous devons à Gunsbourg, à Jehin, à tous !… Ce que je ne saurais trop répéter et que j’ai dit mille fois, c’est que Massenet est le plus merveilleux artiste qui soit. Ses avis sont autant de conseils précieux à suivre. Avec lui, ce n’est pas difficile de passer pour un homme ayant un peu de talent : c’est toujours Massenet qui en a pour deux !

M. Massenet, à qui je demandais d’abord la genèse de Roma, y répondit avec l’accueil délicieux qui le rend si cher à tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher.

– J’ai songé pour la première fois à Roma en 1902, après avoir lu l’admirable pièce de Parodi, qui est un chef-d’œuvre !… J’ai été tenté tout de suite. J’ai écrit à Mme Parodi, lui demandant l’autorisation d’écrire la musique de cette œuvre. Mais voyez les hasards de la poste : ma lettre ne lui est jamais arrivée. J’étais d’autant plus chagriné de ne pas recevoir sa réponse que, déjà, j’avais jeté des notes. J’attendais toujours, lorsque Catulle Mendès est entré dans ma vie, avec Ariane. Je mis de côté mes notes de Roma. Mais je n’y avais pas renoncé. Un jour, mon grand ami et si précieux collaborateur Henri Cain vint me voir et me demanda s’il n’y avait pas un sujet qui me plairait. « – Si ! lui dis-je. » Je lui confiai mon désir d’écrire Roma, et mon embarras. Il me revenait le lendemain : il avait l’autorisation !… Et voilà !… Il y a de cela plusieurs années. D’ailleurs, il se passe toujours du temps entre le moment où j’entreprends un ouvrage et celui où on le joue. Tenez : j’ai un Amadis achevé depuis vingt-deux ans. Je l’ai depuis 1890. Je ne suis pas pressé : j’attends, comme pour d’autres pièces, de trouver l’interprétation et le théâtre. Il est bon de savoir attendre… D’ordinaire, j’aime savoir d’avance qui me jouera. C’est en pensant à mes interprètes que je travaille, en songeant à leurs qualités. C’est ce que j’ai fait pour Roma. Lorsque Son Altesse Sérénissime le Prince de Monaco voulut bien me demander un ouvrage, en 1910, je fus heureux de lui offrir Roma ; et, tout de suite, avec mon excellent ami Gunsbourg, la distribution fut arrêtée telle que je la désirais en écrivant. Gunsbourg fut toujours très dévoué à moi et à mes œuvres il y apporte, un soin affectueux qui me ravit plus encore que son merveilleux talent de magistral metteur en scène. Je choisis donc, pour Roma, mes vaillants interprètes d’Ariane : Muratore, Delmas et Lucy Arbell. J’ai choisi encore la délicieuse Mme Kousnezoff, l’exquise Mme Julia Guiraudon et l’excellent baryton Noté. Ah ! comme tous réalisent merveilleusement tout mon rêve !… Dans d’autres rôles, Mme Peltier, Mlle Doussot et M. Clauzure sont parfaits. Et quel admirable chef d’orchestre que Jehin !… Il dirige une phalange remarquable d’exécutants ; il le fait avec une maîtrise et un zèle dont je lui suis très reconnaissant. MM. Messager et Broussan m’ont demandé Roma. J’ai dû répondre que je n’étais pas libre, que je l’avais promise à Monte-Carlo. « Nous voulons jouer quand même Roma, et de toute façon ! » m’ont-ils répondu à une époque où ils y auraient eu un grand mérite, car c’était au moment où la représentation d’un ouvrage déjà donné ailleurs n’eût pas compté au nombre des actes qu’ils sont tenus de monter chaque année. Je leur suis reconnaissant de cette preuve de désintéressement. Le règlement est modifié aujourd’hui : Roma comptera au nombre des pièces qu’ils doivent monter ; cela n’enlève rien à la cordialité ni au prix de leur démarche. Donc Roma sera jouée bientôt à l’Opéra, avec les principaux artistes de Monte-Carlo : Mmes Kousnezoff et Lucy Arbell, et MM. Muratore, Delmas et Noté.

Mais l’heure de la répétition approchait : je pris congé du maître…

Faut-il ajouter que ses interprètes, me parlant de Roma, en viennent presque à oublier de parler de leurs rôles pour ne dire que leur admiration pour l’œuvre : cela est assez rare pour être enregistré…

A. de Guerche

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(1842 - 1912)

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date de publication : 26/09/23