Musique / La Soirée parisienne. Phryné
MUSIQUE
OPÉRA-COMIQUE : Phryné, opéra-comique en deux actes, de M. Augé de Lassus, musique de M. Camille Saint-Saëns.
M. Sàmt-Saëns a voulu s’amuser ; M. Saint-Saëns s’est amusé. Il a bien fait, car on ne peut être constamment grave et celui-là n’est qu’un fâcheux qui jamais ne se déride – pour ce que rire est le propre de l’homme. Le rire est d’un bon exemple, et même le sourire, quand il n’est pas purement artificiel ou sèchement sceptique. Nous ne demandons pas qu’on soit héroïque à toutes les heures, ne nous sentant pas la force de nous prêter à l’héroïsme sans diversion. L’auteur de Samson et Dalila n’est peut-être pas, de nature, aussi grand rieur qu’il est grand musicien ; mais il s’est diverti, en écrivant Phyrné, tout autant qu’il a voulu, et le plus musicalement du monde. Cette partition ne pose aucun problème – pas même celui de la comédie lyrique. Elle revendique, tout simplement, le droit, pour l’artiste, de se débrider à son moment, de s’égayer, de suivre sa fantaisie et c’est bien quelque chose. Et puis, je vous l’affirme, ne compose pas une Phryné qui veut.
Le livret de M. Augé de Lassus offre-t-il un très vif intérêt ? Je n’oserais le prétendre. C’est une série de variations un peu banales sur l’anecdote antique de la courtisane accusée de corrompre les citoyens et se bornant, pour confondre l’aréopage, à dépouiller ses vêtements. Cette historiette, de laquelle on pourrait extraire toute la philosophie d’un mythe – le mythe du triomphe de la beauté – était, vraiment, difficile à mettre en scène. C’est pourquoi M. Augé de Lassus s’est contenté de s’en inspirer. Il nous fait voir, au premier acte, dans un carrefour d’Athènes, un coquin de neveu, appelé Nicias, tourmentant son bon oncle, l’archonte Dicéphile, qui le vole à plaisir, étant son tuteur. Le peuple athénien vient de décerner à ce Dicéphile les honneurs d’un buste en plein air, qu’on est en train, d’inaugurer, juste au moment où le rideau se lève. Nicias a l’audace de réclamer de l’argent ou des comptes. De l’argent pour donner à la belle Phryné, ne vous en déplaise !... L’archonte, pour ce crime, le ferait bel et bien conduire en prison si le jeune homme, avec le secours des valets de l’hétaïre, ne rossait d’importance les officiers publics.
Dans la nuit noire, la joyeuse bande coiffe le buste solennel d’une outre grotesque. Maître Dicéphile accourt, afin de contempler sa marmoréenne effigie « à l’obscure clarté qui tombe des étoiles ». Et quelle profanation va-t-il découvrir, Dieux très bons ! Et quels chants entend-il retentir, un peu plus que gouailleurs, chez Phryné ! C’est lui qu’on chansonne… Lui ! Lui ! Quelle horreur !... Nous voici chez la belle des belles, à présent. Nicias, traqué par les magistrats, a trouvé asile et protection dans la maison galante. Dicéphile s’avance, plein de fureur, jaloux de tout briser. L’aréopage va être saisi de sa querelle. Mais Phryné l’affole, Phryné le fait son esclave, Phryné l’oblige à tomber à ses pieds. Le pauvre homme ! Il lui faut accrocher le bracelet, présenter le miroir, ramasser le ruban, ajuster le collier. Enfin, le sortilège se mêle de son cas : Vénus elle-même, « tout entière à sa proie attachée », lui apparaît sous les traits de Phryné victorieuse. Ô misère de la vertu ! Le grand magistrat capitule. Hercule se fait surprendre filant la quenouille d’Omphale. Et comment sortir du péril sinon en quittant la place à Nicias et en lui rendant des comptes de tutelle, très humblement.
En vérité, la farce est pauvre, d’un vieux tour et d’un style lourd. Hélas ! nous n’y pouvons rien. M. Saint-Saëns s’en est accommodé, pourtant, de très bonne sorte. Même il a répandu sur ces scènes hors d’âge l’agrément d’une musique leste et preste, parée à ravir, sinon d’une parfaitement authentique nouveauté. Point d’apparat ; des morceaux qui s’égrènent sans façon à travers le long et chevillé dialogue. Des romances, des ensembles, des vocalises à l’occasion, voire un finale d’opérette. Néant de leitmotive, à peine deux ou trois rappels d’un motif comique et d’un thème amoureux, – et cela suffit. La fantaisie partout, le sans-souci de l’artiste qui se divertit à sa guise. Musique légère, très légère, mais toute sonnante de classiques échos. L’orchestre babille comme un ruisselet très mousseux issu quelque peu du fleuve de Mozart.
Eh bien ! croyez-moi, cette œuvre sans pompe fait oublier bien des œuvres pompeuses. Elle ne prétend rien résoudre ; elle ne veut être qu’un intermède gracieux, coquet, déluré, d’une inégalité plaisante, où le grand talent d’un maître se joue, comme à l’étourdie, dans les petites choses. Et le public a raison d’applaudir. On causera, un autre jour, de la vraie comédie lyrique mais ne faut-il pas effacer le souvenir des majestueux et tragiques opéras comiques dont on nous a régalés ! M. Saint-Saëns nous conviera, l’hiver prochain, peut-être, à une franche tentative. Vivent les grelots en attendant !
Et les interprètes ? – Les interprètes, cette fois, sont fort bons. Mlle Sibyl Sanderson a fait quelques progrès comme cantatrice, et c’est plaisir de regarder une Phryné de si éblouissante jeunesse. L’esclave Lampito se personnifie on ne peut mieux en Mlle Buhl. Dans le rôle de l’archonte, Fugère est excellent, à son ordinaire – très spirituel, très fin, très, bouffe au meilleur sens du mot.
Le jeune ténor Clément possède une voix claire et chaude, non forte mais bien timbrée, et dont il n’ignore pas l’art de se servir. Disons, enfin, que l’orchestre a tout le zèle qui convient, sous la direction de M. Danbé. Cette Phryné ne veut pas qu’on la prenne trop au sérieux elle n’entend qu’être aimable.
FOURCAUD
La Soirée Parisienne
PHRYNÉ
Grand émoi dans le clan des gens sérieux. Saint-Saëns, celui qui se prénomme Camille, celui qui composa Henri VIII, le Timbre d’argent et autres choses extrêmement sérieuses, Saint-Saëns, un des meilleurs guidons de la nouvelle école, vient soudain de briser les piédestaux, de renverser les dieux et de ceindre son beau front de myrtes. Las du grand opéra, de l’oratorio du drame musical, il s’est mis tout tranquillement à composer une opérette, et voilà comme quoi, hier soir, à l’Opéra-Comique, on a applaudi une œuvre légère, spirituelle, gracieuse, dans laquelle il y a des couplets (horreur !) que l’on a même bissés (abomination !)
Une opérette, vous avez bien lu, et, qui plus est, une opérette grecque, comme la Belle Hélène. Évidemment, la muse de M. Saint-Saëns ne coudoie pas tout à fait la muse d’Offenbach, mais elles ont comme un petit air de parenté qui n’a rien de désagréable. La Grèce est, d’ailleurs, à la mode. Après Lysistrata, Phryné c’est dans l’ordre.
Pour personnifier la célèbre courtisane, dont le jugement est resté célèbre, grâce à un incident d’audience qu’il semble inutile de rappeler, il fallait une chanteuse pas ordinaire. À la virtuosité exigée par le musicien il fallait joindre la beauté réclamée par le librettiste. On peut dire que MM. Saint-Saëns et Augé de Lassus ont été gâtés sous ce double rapport, car le directeur de l’Opéra-Comique, toujours pudique, leur a donné la jolie Sibyll Sanderson, une de ces Phryné comme on n’en rencontre pas tous les jours, même dans l’avenue des Acacias. Blonde, souriante, agréablement décolletée, Mlle Sanderson a conquis tous les spectateurs qui ne demandaient, d’ailleurs, qu’à se transformer en aréopage. Et quels costumes ! Quels péplums ! Voilà ce qu’à Athènes on appelait le luxe ephryné des femmes !
Phryné à deux amoureux ; l’un est jeune et l’autre vieux (Sont-ce des vers ? Non !) ça n’en est pas !) Le jeune, c’est M. Clément, gentil, frais, rosé, sympathiquement barbu. Le vieux, c’est M. Fugère, ridé, déplumé, comiquement glabre, mais si gai, si bon enfant, si Athénien fin-de-siècle. Près d’eux, MM. Barnolt et Périer représentent agréablement la magistrature, et Mlle Buhl, si aimable en Lampito, font regretter que l’esclavage soit aboli.
Tout ce monde-là est merveilleusement costumé, car, pour cette opérette en deux actes, la mise en scène a été aussi soignée que s’il s’était agi d’une très longue tartine bien ennuyeuse. Le premier décor, celui du Pnyx, est d’une jolie reconstitution fantaisiste, et ce petit boudoir grec du palais grec de la grecque Phryné est tout à fait suggestif. Et puis, il y a le passage du chariot de Thespis, ce tramway des anciens ! Et puis, il y a un gentil petit ballet, qu’on a bissé, comme les couplets de M. Fugère, comme le trio de M. Clément, de Mlles Buhl et Sanderson. Un peu plus, on aurait tout bissé. Quand je vous dis qu’on perdait le respect !
La statuaire joue un grand rôle dans ce coquet petit ouvrage. Au premier acte, c’est le buste de M. Fugère qui occupe le milieu de la scène. Au second acte, on voit apparaître la statue en pied de Mlle Sanderson, dans un costume d’une exquise simplicité. Peste ma chère, comme vous voilà mise ! Cette statue, œuvre du sculpteur Campagne, est merveilleusement éclairée, ce qui prouve qu’on éclairait fort bien chez les courtisanes athéniennes. Déjà !
On voit, par ce qui précède, que les Grecs formaient une Société dont les Statues ne manquaient pas d’agrément.
Ciel ! un calembourg ! Bon ! mais ce que ce Saint-Saëns m’a rendu folichon !...
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date de publication : 31/10/23