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Musique / La Soirée parisienne. Thaïs

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MUSIQUE
ACADÉMIE NATIONALE DE MUSIQUE. – Thaïs, comédie lyrique en trois actes de M. Louis Gallet, d’après le roman de M. Anatole France, musique de M. Massenet.

On a beaucoup parlé à l’avance de la Thaïs de M. Massenet. L’œuvre vient d’être jouée. Elle ne soulève pas de grandes questions lyriques et ce qu’on en doit dire ne nécessite pas de longs développements.

D’un roman très littéraire et quelque peu factice de M. Anatole France, M. Louis Gallet a tiré les éléments du poème. En voici, pour mémoire, les traits essentiels. Athanaël, jeune débauché d’Alexandrie, touché tout d’un coup de la grâce divine, s’est réfugié, au désert, parmi les cénobites de la Thébaïde. Là, tandis qu’il jeûne et qu’il se macère, le démon du siècle le tourmente sourdement.

En ses visions remonte sans cesse la figure charmante d’une danseuse, d’une courtisane célèbre, de l’ensorcelante Thaïs. Interprétant ses rêves, le dessein surgit en lui d’arracher au monde la pécheresse, de la donner au ciel régénérée, revêtue d’un manteau de lumière. Il se rend donc une dernière fois à Alexandrie, en sa bure de moine, et, chez son ami Nicias, rencontre la folle fille, l’apostrophe violemment, l’amuse et la trouble. Thaïs, rentrée dans sa maison, le voit venir à elle, livide, effrayant, impérieux. Le langage qu’il lui tient l’emplit de terreur. La pécheresse se décide à le suivre au monastère de repentance, où il lui plaît de la laisser. Athanaël, cependant, reprenant sa vie coutumière, sent, au vif de sa chair, les cuisants aiguillons de la luxure.

Son âme, dans le calme des nuits, est le brûlant champ de bataille où les mauvais désirs, sans cesse renaissants, toujours plus acharnés, se ruent à l’assaut de ses mystiques aspirations. Une nuit, de telles rondes l’enlacent, de telles apparitions se penchent vers lui qu’il va s’abandonner aux délices. L’étoile de la Rédemption s’éteint en son firmament noir. Près de lui sonne une voix, une voix qui l’enivre – la voix de sa chair en révolte, surexcitée par le jeûne et les macérations : la voix de Thaïs, l’encourageant à l’amour. Puis, brusquement, le cauchemar se transforme sur un lit de douleur, l’ancienne pécheresse est étendue. Thaïs va mourir. Le solitaire se réveille. Il faut qu’il voie la moribonde – car le cauchemar n’a pas menti. À travers la nuit, à la lueurs des éclairs, il marche à grands pas, comme un insensé. Auprès du chevet où la régénérée agonise, sa haletante folie crie sa passion, sa rage mortelle. Mais Thaïs ne l’entend pas ; ses oreilles sont sourdes aux bruits terrestres ; ses yeux ne s’ouvrent plus que sur les perspectives du paradis. Elle expire.

*

Quand je lis, au frontispice de la partition, le titre de « Comédie lyrique » donné à l’ouvrage, je me demande quelle idée peut bien répondre, dans l’esprit des auteurs, à ce qualificatif. Où est donc la comédie en ce que nous venons de voir ? D’un côté, s’accomplit une évolution de conscience ; de l’autre, la bête humaine se ressaisit. Ce sont des éléments de drame au premier chef, et même de tragédie a le bien prendre. Rien ne répond ici à la conception de la comédie lyrique, laquelle ne se pousse pas aux extrémités des choses et cueille les fleurs de la vie, mélancoliques ou joyeuses, sans souci des problèmes supérieurs et des transcendants héroïsmes. Je ne suppose pas que la scène du second acte – d’ailleurs ridicule – où le rigoureux ascète, accouru à Alexandrie pour y faire entendre les rudes accents de la Thébaïde, emprunte à Nicias « une robe d’Asie », soit entré pour rien dans la dénomination de l’œuvre. Je ne suppose pas, non plus, que le fait du poème écrit en vers blancs, – c’est-à-dire en vers sans rimes – constitue une « comédie ». La question des rimes n’a, musicalement, aucune importance.

Mais si Thaïs n’est rien moins qu’une « comédie lyrique », est-ce davantage un drame irréprochable ? Non. En soi, très certainement, le sujet est musical. Mais pourquoi le librettiste, quand il s’inspire d’un roman, laisse-t-il devant lui le livre ouvert ? Sur le thème qu’il a choisi, l’on voudrait qu’il travaillât d’original, oubliant les déductions particulières du romancier, combinant librement sa pièce. Je ne cherche pas dans quelle mesure exacte M. Gallet s’est souvenu des inventions de M. Anatole France. Seulement, son poème, coupé en épisodes multiples, s’étend au lieu de se concentrer et, par-dessus tout, s’en tient à des surfaces.

Un fait extraordinaire se consomme : la foudroyante conversion d’une courtisane, sous l’ascendant d’un fauve anachorète. Il s’arrache brusquement à ses triomphes, à ses ivresses ; et l’apôtre n’a que les allures d’un fou et la situation antérieure de l’âme de Thaïs ne nous est dévoilée que par des bagatelles, comme le monologue où elle a peur de vieillir et adresse une prière à Vénus, son miroir à la main. À partir du quatrième tableau, l’héroïne disparaît. L’action s’allonge en fantasmagorie. On comprendrait qu’Athanaël, torturé d’amour depuis longtemps et se trompant lui-même aux mobiles qui le font agir, cédât à sa passion furieuse, au milieu de sa tache. Que ferait Thaïs ? Quelle face nouvelle prendrait le drame immédiatement ? Je n’ai pas à me le demander à cette place. Mais je sais que ce double mouvement, ce choc de deux âmes se troublant mutuellement et, mutuellement, s’efforçant de se pénétrer serait fécond en développements dramatiques et lyriques. Au lieu de cette péripétie décisive, on nous offre un ballet et nous arrivons à un dénouement tout ensemble choquant et pauvre.

*

Il n’importe ! Même en cette insuffisante et superficielle disposition du poème, la musique pourrait être grande, au moins dans les scènes capitales entre la courtisane et Athanaël. Elle ne l’est point. M. Massenet est, certes, un musicien des mieux doués, des plus habiles. Il a plus de qualités qu’il n’en faut pour faire des chefs-d’œuvre. Que lui manque-t-il ? – Deux vertus : la simplicité de l’esprit qui se recueille en face des manifestations humaines condensées dans une notion, et l’oubli du public. Sa recherche de l’effet est constamment sensible. Désir de plaire, désir d’étonner : c’est tout un. J’ignore ses façons pratiques de procéder ; je ne le vois que trop exclusivement préoccupé de l’extérieur d’un drame. Qu’il emploie ou non le leit-motive, ses scènes sont petitement construites, par contrastes voulus et soulignés, sans haute vue musicale, sans claire conscience des points culminants. Son art ménage des places pour l’applaudissement et le sollicite. Le plaudite, cives, est devenu son obsession.

Je ne lui reproche pas de n’être point wagnériste : il l’est bien plus qu’il ne l’avoue et qu’on me le dit. C’est à Wagner qu’il a emprunté les motifs conducteurs, la forme générale des scènes et l’idée même des épisodes symphoniques narratifs dont il a pris, depuis Esclarmonde, l’habitude d’entremêler ses partitions. Je lui reprocherai bien plutôt, au fond, de demander au maître de Bayreuth des artifices, quand les vraies leçons de l’auteur de la Walkyrie, assimilables à tous les tempéraments, portent, essentiellement, sur l’unité du drame, considéré du dedans au-dehors. On se passerait fort bien, par exemple, de l’intermède du second tableau, intitulé Alexandrie, et qui dérive, bien singulièrement, de la fameuse Chevauchée des filles de Wotan. Mais passons.

Je ne fais pas un grief à M. Massenet de son italianisme à la Verdi. Voyez, notamment, la dernière scène de Thaïs. Je ne fais pas compte des impressions à la Gounod qu’il prodigue. Tout cet éclectisme, mêlé de négligence de pensée, nous trouverait indulgents si nous avions devant nous une franche construction dramatique. Mais nous n’avons que des placages de mélodies et de symphonies plus ou moins ingénieuses, plus ou moins heureuses sur des situations données. Autrement dit, ce n’est pas l’édifice qui apparaît, aux yeux : c’est sa décoration.

Si nous envisagions, maintenant, le détail de l’œuvre, nous y relèverions des fragments poétiques et des sonorités pittoresques. Le début du premier tableau a du charme ; le commencement de la scène d’Athanaël et de Thaïs, dans la rue d’Alexandrie, est pénétrant. Telle série d’accords accompagnant certaines déclamations du cénobite ont de l’énergie, – témoins la suite harmonique, d’ailleurs isolée, sous ces paroles : « La Thaïs infernale est morte. » Le milieu du divertissement fantastique est d’une instrumentation éblouissante. Mais il faudrait aussi mentionner les parties médiocres, le quatuor de la toilette d’Athanaël en style d’opéra comique, assez piquant en son début mineur et si fâcheux quand il passe au majeur, le finale à vacarme vulgaire du troisième tableau et bien d’autres pages. Le mieux est de s’arrêter.

*

Aussi bien j’ai dit sans équivoque et en toute bonne foi ce que je pense. Il ne me reste plus qu’à faire en deux mots la part des interprètes. Mlle Sybil Sanderson obtient un succès vif. Elle a, dans sa diction, réalisé des progrès sérieux et elle joue son difficile rôle en comédienne. On ira l’applaudir. Je n’ai pas à noter ici son éclatante beauté. Nul n’aura que des éloges à faire de M. Delmas, chargé du personnage de l’anachorète : il déploie des qualités du plus haut prix. Les autres figures de la pièce s’incarnent en Mmes Jane Marcy et Héglon, et MM. Alvarez et Delpouget. J’ajoute que le ballet a pour protagoniste Mlle Mauri. C’est tout dire.

FOURCAUD

La Soirée Parisienne
THAÏS

À cette époque où nous sommes, les directeurs de théâtres pourraient dire, en parodiant une phrase connue : « Dieu me garde de mes répétitions générales ! Mes premières, je m’en charge. » Ladite phrase pourrait surtout être prononcée par MM. Bertrand et Gailhard, car jamais peut-être exemple plus frappant ne fut donné de cette grande vérité : que les répétitions générales peuvent être exécrables, et les premières représentations excellentes.

Voyez ce qui s’est passé pour Thaïs. L’autre soir, l’effet fut déplorable. Il n’y avait qu’une voix pour déclarer qu’on s’était ennuyé ferme et que la première serait pour sûr un joli four. Dans la journée d’hier, on regardait avec une certaine commisération les malheureux qui comptaient passer leur soirée à l’Opéra et si quelques-uns des privilégiés (?) de mardi se résignaient à subir une seconde audition, c’était dans l’espoir unique de voir dévorer le dompteur Massenet par le lion public.

Et puis, changement de front. Voilà que Thaïs se joue, voilà que Thaïs atteint le succès, voilà que Thaïs approche du triomphe. Partout, dans les loges, à l’amphithéâtre, à l’orchestre, on voit des gens applaudir de bon cœur. Et, dans tes couloirs, on entendait dire à chaque pas :

– Qu’est-ce qu’on m’avait donc raconté ? Mais je trouve ça charmant, moi !

Les débineurs de la répétition générale ont failli en avoir des coups de sang.

Mais passons à t’analyse des sept tableaux de Thaïs, comédie lyrique tirée par M. Louis Gallet du roman de M. Anatole France et mise en musique par M. Massenet.

Dès huit heures, les spectateurs commencent à monter le grand escalier, mais ils ne le montent pas sans surprise. Partout, en effet, s’entrecroisent des faisceaux de drapeaux tricolores et d’armes symboliques. On se demande pourquoi cet arsenal inattendu. Serait-il là en l’honneur de Thaïs ? Non. Renseignements pris, l’Opéra est décoré d’avance pour la fête militaire qui a lieu ce soir. Nous bénéficions de ces ornements, mais nous n’y avons aucun droit.

On s’installe. Le coup de lorgnette obligatoire révèle une salle des plus brillantes et des mieux garnies. Pas de noms, n’est-ce pas ? Ce sont toujours les mêmes, et vous commencez à les savoir par cœur. Notons pourtant une loge, celle de M. de Sabran-Pontevès, où MM. le duc de Grammont et le comte de Gontaut-Biron attendent S. A. R. le duc de Cambridge, qui viendra les rejoindre vers dix heures, accompagné de son aide de camp, le major Davidson, en sortant du dîner a lui offert par Mme la marquise de Jaucourt.

Mais attention, on commence.

Premier tableau (décor de Jambon). – La Thébaïde. Sur les bords du Nil sont rangées les cabanes des Cénobites, plus pittoresques que confortables. M. Delpouget et quelques choristes de ses amis sont en train de goûter frugalement.

Paraît M. Delmas, vêtu d’une robe noire très simple, portant la longue chevelure et la belle barbe qui sied aux prophètes et paré d’un air illuminé qui l’avantage énormément.

Néanmoins, M. Delmas s’endort, et cela à la grande satisfaction du public, qui prévoit une apparition dans laquelle Thaïs jouera certainement un rôle. Or, Thaïs, c’est Mlle Sybil Sanderson, la reine du jour, la victime des reporters, la jolie femme dont on a tant parlé depuis quelques jours, la cantatrice exquise dont le début à l’Opéra est si vivement attendu.

L’apparition a lieu. Dans le lointain, on aperçoit le théâtre d’Alexandrie, où une femme mime gracieusement les amours d’Aphrodite. Les lorgnettes s’allongent aussitôt. Hélas ! c’est bien Thaïs, mais ce n’est pas Sybil. C’est une gentille danseuse, Mlle Mante III, qui sert de Sosie à l’héroïne de la fête.

II paraît que, à la répétition générale, Mlle Mante III était plus que légèrement vêtue. Mlle Sanderson a protesté, disant que, même en effigie, elle tenait à être convenable. C’est pour le même motif, d’ailleurs, qu’elle a fait arranger les costumes qu’on avait cru devoir lui donner et dont l’indiscrétion, quoique charmante, était peut-être exagérée.

Deuxième tableau (décor de Carpezat). – La terrasse de la maison de Nicias, à Alexandrie. Cette maison, ombragée d’arbres immenses, possède une très belle vue sur la ville et sur la mer. Six chambres de maîtres, quatre chambres de domestiques, billard.

L’heureux propriétaire de cette villa n’est autre que M. Alvarez, somptueusement vêtu de pourpre et d’or. Quand il se promène sur sa terrasse, il se fait généralement escorter de deux femmes égyptiennes tout à fait charmantes. L’une est Mlle Marcy, l’autre est Mlle Héglon.

On annonce l’arrivée définitive de Thaïs, et M. Delmas s’empresse d’endosser une robe d’Asie pour attirer les regards de la comédienne. Je sais bien des abonnés qui en feraient volontiers autant dans le même but.

La voilà ! C’est elle ! Elle entre, blonde, souriante, coquettement drapée et illuminant la scène de sa beauté. Elle est précédée d’un ravissant cortège d’histrions et d’histrionnes, aux costumes étincelants et d’une transparence agréable, qui dansent devant elle en agitant des masques, mais sans lancer de confetti. (En ce temps-là, l’Égypte était heureuse.)

Et, après qu’elle a chanté, après qu’on l’a applaudie, la divine Thaïs monte les marches de la villa et, dans une pose provocante, défie celui qui voudrait la convertir comme un vulgaire quatre et demi.

Troisième tableau (décor de Carpezat). – Le rideau se lève. Vous ne voyez rien qu’un autre rideau, très riche, très brillant, devant lequel un artiste remarquable exécute un solo de violon salué de bravos mérités. Puis le second rideau s’écarte doucement des deux côtés de la scène et, dans un très joli encadrement, laisse voir la chambre de Thaïs.

Elle est bien coquette, cette chambre semée de tapis de Byzance et où la lumière ne parvient qu’à travers les nappes d’eau qui tiennent lieu de plafond. Partout des riches étoffes, des coussins moelleux, des vases d’onyx pleins de fleurs et, sur une stèle, une petite statuette de Vénus qui m’a paru très ressemblante.

Thaïs reçoit la visite de M. Delmas, qui ôte sa robe d’Asie pour la décider à prendre celle de religieuse. L’argument est décisif, et la jolie Sanderson consent à prendre le voile. Espérons qu’elle ne fera pas couper ses beaux cheveux.

Quatrième tableau (décor de Carpezat). – Une place publique la nuit. À droite, la maison de Thaïs, élégante et gracieuse comme sa propriétaire. Au fond, une autre maison très éclairée, où Nicias et ses amis font la fête. Enfilade de rues d’une perspective ravissante.

Certes, jusqu’alors, Mlle Sanderson avait été bien jolie dans ses riches atours, mais c’est là, vêtue simplement, éclairée par les rayons de la lune, qu’elle réalise l’idéal de la beauté parfaite.

Bravos nombreux, rappel enthousiaste.

Le second acte est fini. On envahit la scène et c’est à qui félicitera les directeurs du revirement qui s’est produit dans l’opinion publique. M. Gailhard exulte, M. Bertrand, plus philosophe, se contente de répondre : « Ça nous apprendra à donner des répétitions générales à tout Paris. »

On se sépare. Les uns cherchent la loge de Mlle Sanderson pour aller la complimenter de son grand succès. Les autres se mettent en quête de Massenet, mais Massenet est introuvable. À la suite de certaine discussion dont il a été parlé, ce charmant compositeur a subitement disparu. Personne, même son éditeur, ne sait où il s’est caché. En cherchant bien, on l’aurait peut-être trouvé place de la Concorde, occupé à regarder ce qu’il est dit de Thaïs sur l’obélisque.

Mais le troisième acte va commencer. C’est l’acte du ballet, vite, à nos places.

Cinquième tableau (décor de M. Jambon). – Nous voici revenus en pleine Thébaïde. M. Delmas aussi. Mais, à peine est-il au milieu de ses chers cénobites qu’il se remet à dormir. C’est charmant comme M. Deimas à la Thébaïde soporitive.

Donc, il dort, et il rêve. De gentils lutins verts entourent son lit de repos. Ils le chatouillent, le forcent à se lever et profitent de leur pouvoir magique pour ordonner à l’électricien de tout éteindre, ce qui facilite le changement.

Sixième tableau (décor de M. Jambon). – Un superbe palais donnant sur une colline verdoyante. En guise de piliers, d’immenses statues égyptiennes, supportant un plafond tout fleuri, où s’enlacent de longs voiles de gaze. Tout nous présage qu’on va danser.

On danse, en effet, et tout le corps de ballet de l’Opéra s’en donne à cœur joie pour damner ce pauvre M. Delmas. Celui-ci passe de mains en mains, criblé de sourires, accablé d’œillades. Et, pour l’achever, voilà-t-il pas que l’exquise Rosita Mauri paraît à son tour et l’invite à danser un pas de deux.

Oh ! ce pas de deux où s’unissent la danse et le chant, la grâce et la force, je te reverrai bien souvent dans mes rêves, et quand je me rappellerai les bravos qui ont fêté la danseuse adorable, je regretterai qu’on n’ait pas associé l’agile baryton à son succès.

Mais ce pauvre M. Delmas n’en a pas fini avec les émotions de toutes sortes. Le décor reprend son aspect primitif. Le cénobite dort encore et, dans un sommeil thébaïdique, il voit apparaître l’ancienne Thaïs qui lui rit au nez, puis la nouvelle Thaïs en train d’expirer dans son couvent.

Sans perdre une minute, il prend ses jambes à son cou. Bénissons le Ciel qui ne lui a pas fait adopter cette posture un quart d’heure plus tôt ; ça l’aurait bien gêné pour danser le ballet.

Septième tableau (décor de M. Jambon). – Le cloître. Thaïs, couchée sur un lit, meurt en plein air, entourée de religieuses toutes de blanc vêtues. Et elle est de plus en plus jolie et de plus en plus applaudie par une salle reconnaissante, qui la rappelle furieusement, ainsi que M. Delmas.

J’ose même dire que le succès de ces deux remarquables artistes a été supérieur à celui de M. Colleuille. Le brillant régisseur est pourtant venu nommer les auteurs avec sa maestria ordinaire, mais que voulez-vous ? Il est moins joli que Mlle Sanderson, et il ne danse pas comme M. Delmas !

FRIMOUSSE

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date de publication : 31/10/23