Roma

OPÉRA

Lundi, 29 avril. – En relisant un certain nombre d’articles écrits sur Roma, j’ai trouvé une fois de plus la preuve que la critique, telle qu’elle est faite de nos jours, ne correspond point à l’idée de liberté dont se réclament si volontiers les arbitres du talent. La plupart des juges – particulièrement en ce qui regarde la musique – ne sont que les reflets d’une clientèle spéciale, de telle sorte que leur intrusion dans le domaine de l’Art est parfaitement inutile, puisque le « client » connaît d’avance l’opinion qui lui est réservée. N’empêche qu’on prend l’avis de son renseigneur habituel avec un sérieux très comique et n’empêche aussi que les directeurs des théâtres et les artistes n’admettent plus que des superlatifs extrêmement élogieux.

Quiconque ne joue pas constamment de l’admirable, de l’inégalable, du magnifique est un ennemi que l’on fait insulter dans des officines spéciales, alors qu’on devrait le remercier des objections très fondées qu’il a pu se permettre. Pourtant, mettre en garde contre des erreurs et des négligences, artistes et directeurs, n’est-ce point accomplir louable besogne ?

Cela vaut mieux que de nier de parti-pris un talent réel ou de couvrir de fleurs une médiocrité.

Celui qui, parlant de Roma, déclare que Massenet ne fut jamais mieux inspiré, sait bien qu’il ne dit pas la vérité ; celui qui refuse à cet « opéra tragique » des qualités supérieures dignes de maintenir son auteur au tout premier rang des hommes de théâtre depuis un siècle, ne peut manquer de s’avouer à lui-même qu’il commet une vilaine action.

Pourquoi vous enorgueillissez-vous de votre puissance, messieurs les critiques, puisque vous dites, par exemple, que Mlle Lucy Arbell est la plus belle chanteuse dramatique de ce temps, alors que vous pensez le contraire ? Et qui vous contraint à ne pas écrire les réserves que vous faites à voix basse sur le ténor de M. Muratore et son jeu scénique ? Et pourquoi négligez-vous si souvent les interprètes secondaires qui ont souvent beaucoup de mérite ?

Si c’est au prix de vos génuflexions et de vos opinions « barométriques » que l’on se fait beaucoup d’amis, je préfère n’avoir que des ennemis.