La Vestale de Spontini
Académie Impériale de Musique
La Vestale.
Avant d’examiner le mérite des auteurs, il faut les féliciter sur leur bonheur : leur ouvrage a paru sous les plus heureux auspices. L’Impératrice-Reine a daigné en accepter l’hommage ; elle a honoré de sa présence la première représentation ; elle s’y est rendue de bonne heure : en ne dissimulant point l’intérêt qu’elle avait la bonté de prendre au succès, elle y a beaucoup contribué. La vue d’une princesse si justement chérie, a rependu la joie et l’enthousiasme dans toute l’enceinte du théâtre : quand le cœur est satisfait, l’esprit est favorablement disposé à toutes les jouissances qu’on lui présente. L’ouverture qui a paru très-belle, n’a fait qu’augmenter cette bonne disposition : un duo très-applaudi a donné une nouvelle impulsion à l’assemblée. La représentation a marché à travers des applaudissemens bien nourris, et, sans avoir éprouvé le plus léger péril, a terminé son cours au milieu des plus bruyants témoignages de l’allégresse publique : le Triomphe de Trajan, avec tout son éclat et toute sa pompe, n’aurait pas excité de plus vifs transports.
Il y a aussi un triomphe dans La Vestale, mais qui ne peut soutenir aucune comparaison avec celui de Trajan. Les auteurs n’ont point cherché à étaler de la magnificence, à éblouir les yeux ; ils n’ont eu pour objet que d’exciter la terreur et la pitié : ils ont voulu faire une tragédie lyrique plutôt qu’un opéra ; et je crois qu’ils ont réussi les premiers à traiter sérieusement un sujet déjà plusieurs fois essayé en vain par nos auteurs. Entr’autres pièces de ce genre, il a paru en 1713 au Théâtre Français, une Cornélie vestale, de Fuselier, à laquelle on prétendait que le Président Hénaut avait eu beaucoup de part. Soit que le célibat forcé de ces prêtresses de Vesta fournit trop d’aliment à l’esprit enjoué, malin ou caustique, qui était alors l’esprit du jour ; soit qu’on craignit les applications qu’on pourrait faire de ces vierges romaines à nos religieuses catholiques, il est certain que jusqu’ici aucune vestale n’avait pu prendre sur nos théâtres. Aujourd’hui les esprits ont une direction plus grave : on est moins enclin à la raillerie ; on saisit moins vivement le côté ridicule des objets : c’était le moment favorable pour établir une vestale à l’Opéra.
Au reste, cette Vestale n’est nullement déplacée sur un pareil théâtre. Julia n’est vestale que de nom : c’est une prêtresse de Vénus, plutôt qu’un prêtresse de Vesta ; elle brûle d’un feu qui n’est rien moins que sacré ; et l’on peut s’étonner que, depuis qu’elle nourrit des désirs coupables dans ce temple de l’innocence et de la vertu, la flamme de Vestale ne se soit pas encore éteinte entre ses mains : mais la bonne Vesta elle-même est très-humaine, très-indulgente pour les faiblesses galantes ; elle pardonne aux amans qui ont fait de son sanctuaire un lieu de rendez-vous : elle les marie. Il n’y a rien dans tout cela qui ne convienne parfaitement à une scène spécialement consacrée à la galanterie et aux Amours.
N’est-il pas étrange qu’on ait assujetti à des lois si rigoureuses les vestales romaines, puisque Rome devait la naissance de son fondateur au commerce secret d’une vestale de la ville d’Albe, avec un guerrier qui se fit depuis passer pour le dieu Mars ? Le sévère Numas n’eut point d’égard à l’origine de son prédécesseur ; et quoi qu’il eût la preuve que les vestales étaient propres à produire de grands hommes, il les condamna à une perpétuelle virginité, sous peine d’être enterrées toutes vives : cela prouve du moins, que même dans une religion toute sensuelle, la virginité était honorée, et qu’on y respectait ce courage de l’âme qui commande aux mouvements de la nature.
L’auteur du poème ne s’est point asservi aux traditions historiques sur la condition de l’ordre des vestales : on n’en recevait point après l’âge de dix ans ; et son héroïne était déjà plus que nubile lorsque, cédant à la tyrannie d’un père dénaturé, elle s’est vouée à un désespoir éternel. Racine, il est vrai, fait entrer Junie parmi les vestales, en vertu d’une protection particulière du peuple : c’est une licence qu’on reproche à l’auteur de Britannicus ; mais l’Opéra ne demande pas la même exactitude que le Théâtre Français. Licinius, amant de la vestale Julia, rappelle Sévère et Gengis Kan. On lui a refusé, comme à ces deux héros, la main de sa maitresse, parce qu’il n’était pas un personnage assez illustre, parce que
La Gloire ignorait et sa race et son nom,
Comme Sévère et Gengis Kan, il revient quelques années après, couvert de gloire ; et comme eux il retrouve sa maîtresse, non pas mariée, mais ce qui n’est pas moins désespérant, dans l’impossibilité de se marier. L’éclat de son triomphe ne peut le consoler des disgrâces de l’amour ; et lorsque Julia, qui se trouve être la vestale en exercice, lui met la couronne d’or sur la tête, il forme le projet d’ajouter cette conquête à ses nombreux exploits : pendant la cérémonie même il lui demande un rendez-vous dans le temple. La grande-prêtresse, qui se défie beaucoup de la vertu de Julia, l’exhorte à bien garder le feu sacré, l’avertissant que les voûtes ont des yeux. Elle vomit des imprécations contre l’Amour :
L’Amour est un monstre barbare, etc.
Je crois que c’est la première fois que les voûtes de l’Opéra ont retenti de pareils blasphèmes, et qu’on y a sincèrement maudit l’Amour.
Julia profite mal des exhortations de la grande prêtresse : quand elle est seule, elle ouvre la porte du temple à Licinius. Ces deux amans se livrent à des transports d’autant plus violens, qu’ils sont défendus et périlleux ; leur délire va jusqu’à vouloir se marier clandestinement sur l’autel de Vesta. La vestale est dégradée ; on lui jette sur la tête un voile noir, et la sentence de mort est prononcée. Toutes ces scènes qui occupent le second acte, sont bien ménagées, et produisent un effet théâtral.
Il s’agit maintenant de savoir si la vestale sera enterrée toute vive. D’un côté, son amant, qui n’a pu fléchir le grand-prêtre, se prépare à la secourir, à la tête de quelques guerriers déterminés ; de l’autre, le grand-prêtre hâte l’exécution. Il y a ici quelque ressemblance avec la veuve du Malabar. Le voile de la coupable est étendu sur l’autel : si la déesse pardonne, le feu doit prendre à ce voile. La déesse ne se presse pas de donner le signal du pardon, et le prêtre inflexible est très-pressé de consommer le sacrifice. Il ordonne aux licteurs de descendre la victime dans son souterrain. Au moment où l’ordre s’exécute, Licinius paraît avec ses soldats ; et c’est alors que la déesse Vesta se décide, pour éviter l’effusion de sang, et peut-être l’affront de voir ses lois renversées, et sa victime arrachée de force. Le voile s’enflamme, le feu sacré se rallume : on retire la vestale du souterrain. Rendue à la lumière et à la vie, elle épouse son amant, du consentement même de Vesta. Il y a dans cet ouvrage autant de vraisemblance qu’il en faut à l’Opéra, plus d’intérêt dramatique que ce spectacle n’en exige, un meilleur style et une versification plus soignée que celle qui est d’usage dans ces sortes de poëmes, formés communément d’une douzaine de mots convenus, tels que martyre, chaîne, tourmens, flamme, ardeur, etc. etc.
L’association nécessaire d’un poète et d’un musicien pour les pièces lyriques, est sujette à de grands dangers : si le poète remplit passablement sa tâche, quelquefois le musicien ne sait ce qu’il dit ; si au contraire, le musicien se trouve par hasard être un Orphée, il arrive que le poète n’est qu’un Pradon. Ici, les deux associés sont d’accord ; la musique et le poëme sont de niveau : le partage de la gloire est égal. Il y en a qui veulent donner tout au musicien : cela n’est pas juste ; chacun le sien. Le sujet est bien traité par le poète ; le musicien a bien saisi la couleur du sujet : le poète a indiqué des situations intéressantes ; le musicien les a bien rendues. On a justement applaudi de grands traits d’expression, de beaux effets dans les chœurs. Cette composition ne peut que faire honneur au talen de M. Spontini, et ajouter beaucoup à la réputation qu’il s’était faite par d’autres ouvrages.
Venons aux acteurs, qui doivent aussi entrer en partage de gloire avec le poète et le musicien. Tous les deux ont les plus grandes obligations à madame Branchu, qui a joué le principal rôle avec le talent d’une excellente actrice et d’une grande cantatrice. Mlle Maillard a mis dans son rôle de la grande prêtresse, beaucoup d’énergie et de dignité. Lainez, chargé du personnage de Licinius, l’a rendu avec une chaleur d’expression, une ardeur passionnée qui n’a rien laissé à désirer. Lays, à qui son zèle n’a pas permis de dédaigner un rôle secondaire, en a fait un premier rôle, par la manière dont il s’en est acquitté. Dérivis a toutes les qualités convenables pour le rôle de grand-prêtre.
Joignez au mérite de poëme, de la musique et de l’action, celui des danses et des ballets, et vous ne serez plus étonné du succès. Rien n’est plus vif, plus gai, plus gracieux que le divertissement qui termine le premier acte. Gardel, dont l’imagination est inépuisable, a trouvé le secret de répandre encore des agrémens nouveaux dans cette fête ; son dernier ballet paraît toujours le plus gai : il en est de même de madame Gardel ; la dernière fois qu’elle danse est toujours celle où elle a le mieux dansé. Mlle Chevigny s’est également distinguée dans ce ballet par une vivacité, une verve d’enjouement et de gaieté que l’on trouve toujours plus piquant chaque fois qu’elle paraît.
Le divertissement qui termine le troisième acte est de la composition de M. Milon : on y reconnaît l’intelligence et le goût de cet artiste, qui dernièrement s’est fait tant d’honneur par son ballet d’Ulysse. Vestris, à qui le temps semble ne pouvoir rien ôter ; Saint-Amand, à qui le temps ajoute beaucoup ; Mlle Bigottini, remarquable par l’élégance de sa taille, la précision et la légèreté de ses pas, ont enlevé tous les suffrages dans ce dernier ballet ; et le public n’aurait eu rien à désirer, si dans cette réunion de talens précieux, il n’eût point en vain cherché Duport.
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Gaspare SPONTINI
/Étienne de JOUY
Permalien
date de publication : 21/09/23