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La Mort d'Abel de Kreutzer

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Nous avons trop bonne opinion de nos lecteurs pour supposer qu’un seul d’entre eux puisse ignorer le sujet de cette tragédie sainte. Ce n’est donc pas l’histoire d’Abel & de Caïn que nous allons leur raconter ; il ne s’agit plus que de leur dire comment M. Hoffman en a fait une pièce de théâtre. […]

Le premier acte représente un site riant & pittoresque ; Adam adresse à Dieu la prière du matin ; Abel, son fil bien-aimé, vient se joindre à lui, & s’efforce de calmer le chagrin que causent au vieillard les emportements terribles de Caïn. Ce motif devient le sujet d’un duo, rempli de sentiment & de mélodie, que Derivis & Nourrit chantent avec beaucoup de goût & d’expression ; […].

Pour plus d’exactitude sans doute, il faudrait : Que je n’en trouve, mais le musicien aura exigé la suppression d’une syllabe ; & comme la musique est tout dans un opéra, M. Hoffman aura judicieusement sacrifié l’autorité muette de la grammaire à celle d’un homme qui dispose à son gré du plus terrible orchestre de l’Europe.

Tout la famille d’Adam se réunit ; elle forme des vœux pour l’ingrat Caïn dont on déplore l’absence, & qui arrive précisément au moment où Adam & Eve embrassent Abel ; Caïn furieux reproche durement à sa mère la préférence qu’elle accorde au doucereux Abel ; celui-ci veut calmer son frère par des caresses ; Caïn le repousse & lui chante un air de fureur, qui produirait le plus grand effet, si la justesse de l’exécution répondait aux beautés de la composition. […]

Adam, sa femme & ses enfants, chargés d’offrandes, reviennent alors au bruit d’une musique pure & champêtre qui contraste de la manière du monde la plus pittoresque avec les chants féroces des anges ténébreux. Cette scène musicale est d’un effet enchanteur. Elle est digne des plus grands maîtres.

[…] Il y a généralement dans les chœurs [du deuxième] acte beaucoup de force & de verve musicale ; les chants sont d’un caractère parfaitement analogue à celui des horribles personnages qui se démènent sur la scène, & le compositeur a même fait très-habilement une espèce de tour de force, en faisant chanter alternativement trois basses-tailles ; mais cette continuité d’harmonie barbare & sans contraste, finit par être trop fatigante, & nous craignons que l’on ne tienne pas compte à M. Kreutzer du grand talent qu’il y a développé. La faute, au surplus, ne doit pas lui être imputée ; elle est entièrement celle du poète, qui ne lui a pas fourni le moindre sujet de variété dans un acte où il n’y a que des démons ivres de sang. Que d’efforts d’ailleurs n’a-t-il pas eu à faire pour soutenir, pendant toute la durée de cet acte, la dangereuse comparaison de ses chœurs infernaux avec ceux d’Armide & d’Orphée ?

[3eacte] […]

La pièce se termine par une apothéose ; Abel, qu’un ange vient de ressusciter, monte au séjour divin, & quand il commence à se perdre dans les nuages, on aperçoit au loin, Caïn, sa femme & ses enfants, qui gravitent sur des rochers. Ce spectacle est très-pittoresque & très-imposant. La musique du troisième acte est beaucoup plus variée, & plus mélodieuse que celle du second ? Le monologue de Caïn : Qu’ai-je vu ? quelle horreur, &c., est d’un grand effet. On ne peut s’empêcher de frémir lorsqu’on voit ce malheureux poussé au crime par une force irrésistible, ramasser la fatale massue en s’écriant d’une voix terrible : Ah ! saisissons ce présent de l’enfer. Il y a dans la musique de cette scène, des effets dignes du génie de Gluck, & ce génie paraît aussi avoir inspiré Lainez, car il ajoute encore à la force tragique de la situation, par une brûlante énergie.

Nous devons le dire franchement, il y a du mérite dans les paroles ; mais la musique, alternativement forte & mélodieuse, de M. Kreutzer, est infiniment supérieure au poème, qui, sans elle, risquerait beaucoup d’ennuyer. Il ne fallait sans doute rien moins qu’un beau récitatif pour faire passer des vers tels que ceux-ci, (C’est Caïn qui parle) :

Je suis seul sur la terre, & mon cœur sans fierté
N’a plus qu’un sentiment, l’insensibilité.

Outre que ; Sans fierté forme ici une cheville comme on n’en voit guère, même dans les plus mauvais opéras, cette paraphrase d’un jeannotisme : Je sens que je ne sens rien, ne saurait guère être comparé qu’aux vers de Vadius & de Trissotin. […].

La représentation, au surplus, a obtenu beaucoup de succès. Les auteurs ont été demandés & nommés. Nous reviendrons, dans un autre numéro, sur la beauté des décorations, & sur le jeu des acteurs.

Personnes en lien

Compositeur, Violoniste

Rodolphe KREUTZER

(1766 - 1831)

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La Mort d'Abel

Rodolphe KREUTZER

/

François-Benoît HOFFMAN

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date de publication : 21/09/23