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Séance publique de l'Institut

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ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

La séance publique annuelle de l’Académie des Beaux-Arts a eu lieu samedi dernier, et, comme d’habitude, la foule se pressait, dès midi, dans l’étroite enceinte de l’Institut. Comme à l’ordinaire aussi, le public n’a eu, pour tromper l’ennui d’une longue attente, que la lecture d’un programme et d’une cantate, – régal insuffisant pour de robustes appétits. La séance a commencé par une Ouverture composée par M. Guiraud, élève de MM. Halévy et Barbereau. Ce morceau symphonique, d’une sage ordonnance, a reçu du public un accueil assez froid. C’est une page écrite avec art, mais qui ne promet pas un musicien à idées primesautières. Nous n’en aimons que le solo de clarinette ; le motif principal de l’ouverture rappelle trop la manière et l’orchestration de Mendelssohn, et la stretta nous a semblé commune et banale. En écoutant ensuite le Rapport net, précis et substantiel de l’Académie des Beaux-Arts sur les envois de Rome, nous avons appris que les travaux de pensionnaires de l’Académie de France sont moins satisfaisants cette année que l’an dernier. Ce sont encore les musiciens qui ont été le mieux partagés dans cet instructif et intéressant compte-rendu : MM. Dubois et Paladilhe ont reçu des encouragements qui devront les engager à redoubler de zèle et d’heureux efforts. […] La séance s’est terminée par l’exécution de la cantate de MM. Gustave Chouquet et Jules Massenet. Nous n’avons point à nous occuper ici du poëte ; nous avons été si dur, l’an dernier, envers l’auteur de Louise de Mézières, et l’on a fait un si odieux abus de nos critiques sévères, que nous avons juré de ne plus chercher noise aux fabricants de cantates, assermentés ou non. Aux uns et aux autres nous tendons le laurier de paix ! Qu’ils combattent en émules généreux et sous la même bannière ; l’honnête homme ne doit jamais fournir d’aliment aux fauteurs de scandales, et nous aurons soin, on le verra, de ne plus nous exposer désormais à ce qu’on puisse faire un détestable usage de nos paroles. Au lieu donc de relever les fautes qu’il nous serait facile de trouver dans David Rizzio, nous nous contentons de donner dans ce journal même la cantate de notre collègue : les lecteurs de l’Art musical sauront bien dire s’ils la trouvent intéressante et conçue de façon à inspirer un musicien. Nous pensons, d’ailleurs, qu’il est temps d’accorder quelque publicité à ces sortes de compositions poétiques, surtout dans la presse spéciale à laquelle nous appartenons. Plus elles trouveront de juges, plus les écrivains seront obligés de se mettre en frais de rajeunissement d’idées ; pour notre part, nous voudrions contraindre les poëtes-lauréats de l’Institut à sortir des sujets rebattus, et à trouver des thèmes d’un tour vraiment musical. M. Jules Massenet a compris que la cantate de David Rizzio était un véritable petit opéra en trois scènes, et il a donné à sa partition tous les développements qu’exige l’action scénique. Les qualités de son œuvre ne ressortiraient pleinement qu’au théâtre, où nous lui souhaiterions d’avoir pour interprètes des artistes tels que MM. Roger, Gourdin et Mme C. Vandenheuvel-Duprez. Ces trois chanteurs ont merveilleusement fait valoir la musique de M. Jules Massenet : au soin, à l’art extrême qu’ils mettaient à donner du relief à chaque phrase inspirée de cette cantate, à l’ardeur de leur zèle, à leurs accents chaleureux, on reconnaissait la foi sincère qui animait leurs cœurs. Ils semblaient dire à la foule attentive : « Écoutez bien… cette musique est celle d’un jeune homme qui a déjà le savoir d’un maître ; retenez ces premiers chants d’un compositeur que nous croyons destiné à conquérir un nom glorieux ! » L’introduction de David Rizzio est fort bien conduite, et l’on ne supposerait jamais qu’elle est d’un jeune homme à peine âgé de vingt et un ans ; l’air qui suit, admirablement chanté par G. Roger, se termine de la façon la plus heureuse. La ballade est ravissante ; ce petit bijou ne serait point déplacé dans l’écrin d’un de nos maîtres aimés, et nous vous laissons à penser de quel éclat le fait briller une cantatrice comme Mme Vandenheuvel-Duprez ! Le seul tort de la sérénade-duo est d’être écrite à trois temps, comme la ballade ; il en résulte que les deux morceaux ne contrastent pas assez entre eux, et que le premier fait tort au second. Le duo dramatique qui vient après a du mouvement ; mais on y pourrait introduire peut-être quelques légères modifications qui en accéléreraient encore la marche, et en augmenteraient l’effet. L’entrée en scène du baryton est marquée par un air énergique qui a valu de justes applaudissements à M. Gourdin, et l’œuvre se termine par un grand trio en deux mouvements. Toute cette dernière scène révèle de l’invention mélodique, de la puissance, et si un critique exigeant peut y signaler quelques longueurs, faciles à retrancher d’ailleurs, il se fait un devoir d’applaudir à la belle et sonore conclusion de cette œuvre éclatante, pleine de sève et d’originalité. De l’originalité dans un débutant, voilà le plus bel éloge que nous puissions adresser à l’auteur de la cantate de David Rizzio, au remarquable élève de M. Ambroise Thomas. M. Jules Massenet doit être heureux et fier d’avoir été chanté dans la perfection par Mme C. Vandenheuvel-Duprez et MM. Roger et Gourdin, auxquels le public n’a cessé de prodiguer les plus vifs applaudissements. Rien ne doit manquer à la joie du jeune musicien s’il a vu Son Exc. le maréchal Vaillant donner souvent, le premier, le signal des bravos. Allons, M. Massenet, prenez courage, adressez-vous à M. le ministre d’Etat, et dites-lui que ce n’est point dans la salle défavorable de l’Institut qu’on peut apprécier une œuvre écrite en vue du théâtre. Le nouveau ministre de la Maison de l’Empereur aime et comprend la musique ; il vous donnera la satisfaction légitime après laquelle soupirent tous les prix de Rome. Adressez-vous à lui, nous vous le répétons, et vous verrez que Son Excellence, qui vous applaudissait hier à l’Institut, vous applaudira demain à l’Opéra.

GAMMA. 

Personnes en lien

Compositeur, Pianiste

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Compositeur

Ernest GUIRAUD

(1837 - 1892)

Documents et archives

Permalien

https://www.bruzanemediabase.com/node/20607

date de publication : 13/09/23