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Thaïs de Massenet

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PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS

Opéra. — Thaïs[1], opéra en trois actes et sept tableaux, de M. Louis Gallet, d’après le roman d’Anatole France, musique de M. J. Massenet.

Décidément, la femme séduira toujours et invinciblement l’homme... M. Massenet, voulons-nous dire, le plus aimable de nos compositeurs, celui qui imprégna du miel de ses mélodies alanguies, caressantes, lascives, les lèvres des plus célèbres et des plus séduisantes : de la Vierge à Marie-Madeleine, de la brune Chimène à la blonde Salomé, d’Ève à Manon — sans oublier la bonne Charlotte, qui ne fut pas la moins bien partagée dans ce panthéon musical de l’Éternel féminin où M. Massenet, grâce à sa musique, la débarbouilla quelque peu des confitures de son père spirituel.

Aujourd’hui, le toujours jeune maître est venu demander ses inspirations à la Thaïs, de M. Anatole France, écrivain d’une rare sérénité, philosophe au moins autant que poète, sachant mettre en son style une pureté et une élégance de forme idéales. C’est ce livre admirable que M. Louis Gallet a transformé en scénario de comédie lyrique. Une comédie lyrique dans le vaisseau de l’Opéra, ce serait bien mince, si ses auteurs ne l’avaient corsée d’un ballet excédant les dimensions ordinaires, de scènes mimées, d’intermèdes symphoniques, dont la sonorité comble un peu l’effacement des autres parties de l’œuvre.

*

Un très court prélude et la toile se lève sur la thébaïde où les pieux cénobites, après le repas du soir, commentent l’absence de l’un des leurs, Athanael. Reviendra-t-il ? N’a-t-il pas succombé aux pièges du monde ? Le père Palémon les rassure ; il a vu en songe le retour de son bien-aimé fils et, en effet, celui-ci paraît, le cœur ulcéré des scandales qui se passent dans sa ville natale, Alexandrie. Là, une comédienne, pis encore, une courtisane, courbe tout et tous sous son sceptre de folie et d’ivresse ; c’est la grande prêtresse de Vénus, et lui-même, avant son entrée dans la thébaïde, faillit subir sa loi. Mais elle est trop belle pour ne pas appartenir un jour au Seigneur, il la convertira, et, quelque périlleuse que soit l’entreprise, la conduira, sous le charme de la parole divine, au monastère des filles blanches. En vain, le vénérable Palémon lui répétera :

Ne nous mêlons jamais, mon fils, aux gens du siècle !

Athanael s’endort, en rêve lui apparaît le théâtre d’Alexandrie, où la foule en délire acclame son idole. Au réveil, son parti est pris : il ira trouver dans son palais l’adorable sirène, lui imposera sa volonté à force d’éloquence et l’arrachera au culte du démon. Athanael arrive à Alexandrie, s’introduit auprès de l’un de ses amis d’enfance, Nicias, qui est précisément l’amant d’un jour de Thaïs, leurs amours doivent prendre fin le soir même, à l’issue d’une orgie où le Tout-Alexandrie célébrera cette rupture. On pare de riches vêtements le jeune cénobite, il ne conservera que son cilice sous la robe de fête. Chacun de rire de ses projets, d’ailleurs, Thaïs plus encore que les autres, quand on les lui fait connaître, à son entrée dans la salle du festin.

Au second acte, Thaïs a réfléchi ; son miroir lui dit bien qu’elle est belle, mais l’humaine raison lui rappelle la fragilité de cette beauté. Ceux qui l’adorent aujourd’hui, elle les trouve déjà grossiers et égoïstes ; de quel mépris ne l’accableront-ils pas plus tard ? La route, à peine entrevue à la voix d’Athanael ne serait-elle pas la seule véritable ? Elle le recevra dans son palais, et déjà nous la sentons prête à subir l’ascendant de cet homme. À peine Thaïs se débattra-t-elle sous ses objurgations puissantes ; tout au plus dans une dernière résistance, elle voudra emporter la statuette d’Eros, don de son dernier amant ; mais Athanael, chez lequel perce déjà la jalousie de l’amoureux, s’y opposera de toutes ses forces. Thaïs brûlera tout, son palais lui-même, et ne conservera rien d’un passé mort à tout jamais.

Malgré lés huées du peuple d’Alexandrie, Athanael entraîne Thaïs au monastère ; il la remet aux mains de sœur Albine, la supérieure : lui regagnera la thébaïde, l’orgueil au front pour l’œuvre accomplie. Le pauvre cénobite a compté sans les défaillances de sa chair ; les visions de Thaïs dans toute la splendeur de sa rayonnante beauté, transformée encore par la foi, l’obsèdent nuit et jour. Vainement il se débat contre les étreintes d’une passion qui a envahi tout son être, et cela nous vaut le ballet de la Tentation, c’est-à-dire la mise à la scène de la fameuse tentation de Saint-Antoine, moins le légendaire compagnon du pieux personnage.

Dans une dernière vision – une bonne moitié de cet opéra se passant en rêve — Athanael voit Thaïs mourante, il réveille à grands cris les cénobites, puis s’enfuit de la thébaïde non sans avoir subi une dernière fois l’homélie de Palémon :

Ne nous mêlons jamais, mon fils, aux gens du siècle !

Son rêve, d’ailleurs, ne l’a pas trompé, la supérieure Albine et les nonnes entourent la mourante transfigurée par trois mois d’ascétisme et de foi. Athanael entre éperdu, il vient sans doute pour la confession et les sœurs se retirent. Il s’agit bien de confession entre cet homme assoiffé de cette femme, et cette femme qui lui a ravi toute sa foi, toutes ses croyances. Il la couvre de brûlantes caresses, lui sanglote un amour qu’elle ne peut plus comprendre. La mort implacable est venue ; Thaïs expire dans les bras d’Athanael, les yeux fixés vers les demeures éternelles où les passions humaines n’eurent jamais accès. Athanael, fou de douleur, étreint le corps de la bien-aimée, se réservant, suivant toute vraisemblance, d’aller prochainement la rejoindre.

*

Ce poème est rempli de situations musicales bien appropriées au talent de M. Massenet qui, à défaut de l’œuvre lumineuse et large, possédant les qualité si magistrales qui distinguaient son Hérodiade, nous a donné une partition dont l’arrangement est toujours harmonieux. Mais Thaïs est née d’une imagination musicale prompte à s’enamourer d’un sujet, il s’en dégage un parfum dont on est agréablement chatouillé et un magnétisme enveloppant auquel on succombe. Malheureusement, sous le vêtement magique des détails, sous la diversité des couleurs, qui peuvent séduire et charmer de frais initiés ou de curieux innocents, on devine trop la science des effets, faite pour éblouir et masquer ce qui est absent : la puissance de la conception et la mâle netteté dans l’ordonnance de l’œuvre. Musicien aimable avant tout, M. J. Massenet a des inégalités régulières et prévues ; c’est ainsi qu’il lui importe peu de confier ses inspirations à tel ou tel personnage, pourvu quelles soient heureuses.

Palémon dit telle phrase au début de Thaïs qui ne serait pas déplacée sur les lèvres de la courtisane ; et le grand air que chante Athanael à son arrivée à Alexandrie, avec ses molles cadences, est-il assez loin (oh ! combien loin) de la vérité chez ce farouche convertisseur.

Au premier acte, nous citerons le grand récit d’Athanael à son retour de la thébaïde, imité de celui de Tannhauser revenant de la Ville éternelle ; au second tableau, le bel air du cénobite et un ravissant quatuor. Nous ferons bon marché de la symphonie qui précède le deuxième acte, et signalerons plutôt la belle scène entre Thaïs et Athanael où le saint personnage implore du ciel le langage qui sauvera la courtisane. Un peu plus, tard se place l’intermezzo (Mascagni et sa Cavalleria rusticana auraient-ils fait des prosélytes parmi nous ?), terminé par la méditation religieuse pour violon solo. La cadence qui termine cette mélodie est irrésistible — surtout quand elle sonnera à la fin de l’opéra. Le premier violon solo de l’Opéra s’y est taillé un beau succès, et c’était justice : nous ne croyons pas avoir jamais entendu son d’une pureté plus exquise.

Le troisième acte est rempli par le ballet de la Tentation et la mort de Thaïs. Dans le ballet nous avons eu le regret de trouver M. Massenet à court d’idées neuves et originales. Les rythmes et les timbres ne sauraient donner le change sur ce point ; nous sommes loin des ballets si colorés, si mouvementés du Roi de Lahore, d’Hérodiade et du Cid. La mort de Thaïs et la scène finale se développent entièrement sur le thème de la méditation religieuse ; les voix s’étreignent par deux fois sur des hauteurs quasi inaccessibles ; et le public se retire sur l’heureuse impression d’une réelle inspiration, regrettant qu’un artiste aussi admirablement doué et armé pour le bon combat, que M. Massenet, puisse s’attarder aux mièvreries d’un style bien séduisant sans doute, mais incapable de résister à l’action du temps et de soustraire son œuvre à un oubli prochain. Thaïs nous ramène au Mage — qui parle du Mage ? — et nous fait regretter que les directeurs de l’Opéra aient abandonné leur projet d’inscrire Hérodiade au répertoire de l’Académie nationale de Musique.

Mlle Sibyl Sanderson a paru très à l’aise sur la vaste scène de l’Opéra. Ses notes élevées ont pris une acuité un peu plus grande, mais l’interprète est restée la même, aussi séduisante en Thaïs qu’elle le fût en Esclarmonde, en Manon, en Phryné. M. Delmas a été parfait en Athanael, cet artiste étant aussi bon musicien qu’excellent chanteur. Une mention toute spéciale à M. Alvarez, dont la voix se développe chaque jour pleine et sonore. M. Alvarez ne peut tarder à tenir le premier rang dans son emploi. Les autres rôles, les chœurs, l’orchestre ont défendu Thaïs de leur mieux. Dans le ballet, n’oublions pas le triomphe de Mlle Mauri. La mise en scène est somptueuse, c’est l’habitude à l’Opéra. Des décors, il faut citer la vue d’Alexandrie au bord de la mer, la grande place de cette ville et le palais infernal où se déroule le ballet.

[1] Partition, chant et piano, chez MM. Heugel et Cie, 8 bis, rue Vivienne, 2 bis.

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Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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date de publication : 18/09/23