Variétés
VARIÉTÉS.
Quelques faits d’une haute signification se sont produits pour les femmes, dans le domaine de l’art musical.
Si elles savent en apprécier le sens élevé et entier largement dans la voie qu’ils indiquent, des intérêts nouveaux viendront, dans un avenir très prochain, s’ajouter à ceux que la femme a déjà conquis, et agrandiront d’autant sa dignité et son indépendance.
Deux talents féminins, l’un au point de vue de l’art, l’autre au point de vue de la science, méritent d’occuper désormais une place élevée sur la scène musicale : nous voulons parler de Therésa Milanollo, cette admirable violoniste et de madame Farrenc, compositeur émérite, dont le talent s’est révélé puissant et sérieux.
Therésa Milanollo, apparue pour la première fois parmi nous, il y a quelques années déjà, avait, dans la personne d’une sœur cadette, une élève et une émule tout à la fois. Qui d’entre les heureux n’a pas entendu les accents purs et suaves de ces deux jeunes âmes ? Qui n’en a conservé le plus doux souvenir ?
À leur apparition, le préjugé et les préoccupations secondaires et mesquines, tentèrent bien d’entraver quelque peu dans leur essor le talent naissant des deux sœurs : de tous côtés on protesta, dès l’abord, au point de vue de la grâce et de la bienséance féminine, contre le choix du violon pour les femmes ; on protesta jusqu’à ce que, les voyant à l’œuvre, on se convainquit bientôt qu’un bras de femme, sans y rien perdre de sa beauté et de sa grâce pouvait aussi bien conduire l’archet léger et magnétique que le bras fort de l’homme.
Le succès des deux sœurs dépassa toutes les espérances. L’enthousiasme fut tel que la poésie faillit nous enlever le bénéfice de ces exemples précieux : Les deux jeunes filles n’étaient point des êtres humains, disait-on de toutes parts, mais deux anges ciel descendus parmi les mortels. Voilà pourquoi le charme et la grâce se confondaient en elles et pourquoi le critique n’avait d’autre mission, en les voyant, que de s’abandonner au sentiment de l’idéal qui le dominait.
Il ne fallait pas moins peut-être que cet éclatant triomphe des jeunes innovatrices, pour déraciner un préjugé funeste : le talent complet venait de se produire, la poésie venait de le consacrer, c’était au bon sens à en recueillir les fruits. Dès ce jour, plus d’une jeune fille prit en sympathie le violon, plus d’une mère fut vaincue dans sa répugnance et ne trouva plus aucune raison valable pour que l’archet miraculeux des petits anges ne passât point aux mains de ses filles.
Le coup était porté ; grâce à l’adjonction de la femme, le violon tombait en France dans le domaine public ; l’exercice de cet instrument allait devenir universel.
Les charmantes sœurs firent bientôt le tour du monde et, par le fait, prêchèrent en tous pays la réforme instrumentale et l’adjonction des capacités féminines. L’Allemagne, l’Angleterre, le Vieux et le Nouveau Monde, les accueillirent tour à tour et célébrèrent leurs succès. Cette année, pour la seconde fois, la France allait les revoir… mais hélas ! l’une d’elles ne devait plus se faire entendre ; la jeune élève d’une sœur chérie, venait malheureusement de réaliser l’image poétique sous laquelle toutes deux nous étaient apparues ; un ange avait repris son vol vers les cieux !...
Thérésa Milanollo achève seule sa mission. Puisse la pauvre délaissée retrouver parmi de nombreuses élèves, d’autres sœurs par le talent ! Puisse tout une famille de jeunes violonistes se former bientôt par ses soins !
Quand des innovations bienfaisantes ont été consacrées par les sujets exceptionnels, il faut qu’elles s’élèvent à une nouvelle puissance en se multipliant : aussi espérons-nous que d’ici à peu d’années Thérésa Milanollo trouvera parmi ses élèves ses propres accompagnateurs, et que la musique instrumentale, comme la musique vocale, verra se former le quatuor féminin.
L’image de sainte Cécile préludant sur la basse a reçu de nos jours sa consécration dans la personne de mademoiselle Christani, c’est un exemple à imiter.
Dans Paris seul, plus de trois mille professeurs femmes trouvent les ressources de la vie dans l’enseignement de la musique. Calculez ce que pourrait ajouter à ce nombre une branche nouvelle aussi importante tante que celle des instruments à corde.
Une femme, m’a-t-on assuré, donne à la maison d’éducation de Saint-Denis, les leçons d’accompagnement. Pourquoi ce fait exceptionnel resterait-il plus longtemps isolé ? Pourquoi les femmes n’accompagneraient-elles pas et n’enseigneraient-elles pas dans les pensions, dans les familles, les nouveaux instruments soumis à leur pouvoir. Pourquoi (et mille raisons semblent l’indiquer) ne seraient-elles pas souvent préférées aux hommes dans ces rapports délicats et intimes ?
En affirmant que le violon, l’alto, le violoncelle réclament désormais le concours de la femme, nous ne faisons qu’indiquer simplement ce qui nous paraît être tout d’abord sur la ligne des progrès faciles à réaliser. Nous ne prétendons nullement aliéner, pour autant, le droit absolu que doit avoir la femme de s’approprier toute espèce d’instrument. Nous croyons, au contraire, que, tout progrès reposant sur l’expérimentation, il faudra bien quelque jour que la femme s’en remette à elle-même pour savoir positivement si tel ou tel instrument est ou non approprié à sa nature.
Un fait nous frappe : nous ne voyons aucun instrument être particulier à la femme ; l’homme a rangé sous ses lois ceux que l’on disait réservés à la grâce, la harpe, la guitare, etc., et cela ne nous choque point ; c’est pourquoi nous avons quelque raison de douter qu’il puisse y en avoir de spéciaux à l’homme seul, à moins que l’on n’aime mieux penser qu’une quantité d’instruments égale à ceux qui sont déjà connus ne soient encore à naître et ne reviennent exclusivement aux femmes.
Dans ce cas n’aurions-nous pas encore mille fois raison de désirer instamment l’expérimentation que nous invoquons de tous nos vœux ? Quel meilleur stimulant pour ingénie inventif, qu’une concurrence émulative et fraternelle ?
On n’est pas sans quelques exemples de l’intervention des femmes aux fonctions de l’orchestre ; mais ces exemples restreints et trop peu connus, ont par cela même peu d’autorité.
À Lichtenthal, près de Bade, il existe un couvent où les différents instruments de l’orchestre sont joués par les religieuses. À notre grand regret, nous n’avons pu vérifier le fait en traversant cette belle vallée, mais nous le ferons quelque jour.
Une circonstance récente nous a fait plus particulièrement regretter que les orchestres fussent exclusivement masculins, et cette circonstance semblait donner à nos regrets toute la valeur d’une accusation.
Dimanche 20 avril, le dernier concert d’abonnement se donnait au Conservatoire ; le programme était riche, deux symphonies y figuraient, l’une de Beethoven, l’autre de madame Farrenc. Bien que rassurée par les œuvres déjà produites de ce compositeur, ce n’était pas sans une certaine émotion que nous allions voir une femme aux prises avec les plus grandes difficultés de l’art et de la science. Une symphonie, c’est tout une épopée en musique ! Comment le génie féminin se soutiendrait-il devant la largeur d’un tel programme ? Et puis comment se tirerait des difficultés d’orchestration, une femme que son éducation ne met en rapport avec aucun des instruments qui devaient être en quelque sorte l’expression de sa pensée. Ne dirait-on pas d’un historien moderne qui ne connaîtrait point les hommes de son temps ?
Nous en étions au plus fort de nos appréhensions, quand la symphonie commença : Mais, comme les critiques des sœurs Milanollo, à peine la moitié de l’œuvre était-elle achevée, que nous avions oublié notre rôle, nos inquiétudes, le sexe du compositeur, et que notre sentiment vivement sollicité, s’épanouissait libre et heureux à l’audition de ce bel œuvre.
La symphonie de madame Farrenc révèle un compositeur de premier ordre, du moins parmi nos contemporains ; deux morceaux, l’andante et le scherzo, sont particulièrement admirables et peuvent être placés sur la ligne de quelques-uns des plus beaux morceaux de Beethoven et Mozart.
Il nous est précieux d’enregistrer un tel fait ; puisse-t-il être le garant de nos espérances et nous annoncer que dans la question des arts, comme dans toute autre, les femmes vont conquérir le rang que leur présagent leurs aspirations.
Dans un autre article nous reviendrons sur les obstacles qui s’opposent au développement des facultés artistiques de la femme, et nous prions celles de nos lectrices qui auraient des documents et des idées particulières à cet égard de vouloir bien nous les communiquer. Nous insistons d’autant plus sur notre demande, que nous voudrions ne pas borner notre sujet à la musique seulement.
Henriette… (artiste).
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Louise FARRENC
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date de publication : 19/10/23