Semaine théâtrale et musicale. Le Voyage dans la Lune

SEMAINE THÉÂTRALE ET MUSICALE

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Le Voyage dans la lune

Voilà, donc., de nouveau, la féerie sortie des enchanteurs, des génies, des talismans ; elle a jeté bien loin tous ses vieux oripeaux pour entrer résolument dans une nouvelle voie, la voie semi-scientifique ; j’entends une science aimable, une, géographie amusante, une physique, comme on la comprend chez Robert-Houdin. Après Le Tour du Monde, le Voyage dans la Lune, qui aura la même fortune. Ah !, si la science se présentait toujours sous des dehors si séduisants, la jupe écourtée et de la fantaisie plein la cervelle, avec quelques bons, refrains du maestro Offenbach, nos jeunes bacheliers ne rechigneraient pas autant à la besogne. Voyez-les, les jours de congé, se presser en, foule aux cours de la Porte-Saint-Martin et de la Gaîté. Pauvre Sorbonne, tu n’as jamais vu cet entrain, ni ce noble enthousiasme. Nous demandons qu’à l’avenir on couronne de roses MM. les professeurs, à la mode antique. 

Désormais, c’est un fait acquis, on peut faire des trous à la lune ; il suffit pour cela de confectionner un canon de vingt lieues de longueur. Tel est le mode de locomotion employé par le roi Vlan I^er, son fils Caprice et le fidèle Microscope, pour visiter les pays fantastiques de l’astre lunaire. Nous ne les suivrons pas au milieu de leurs étonnements dans un pays où l’amour est inconnu, où les rois travaillent dans des palais de verre, sous l’œil même de leurs sujets ; nous ne descendrons pas avec eux dans le cratère d’un volcan, ; qui s’embrase soudain et les lance à des hauteurs prodigieuses. Ce sont là mille et mille merveilles que vous verrez tous lecteurs... oui, monsieur, même vous qui êtes de Carpentras ; car à quoi serviraient les trains de plaisir ! Tout ce luxe amoncelé, où le goût n’a rien à reprendre, ce délicieux ballet de la neige avec ses hirondelles roses, cette succession de tableaux plus charmants les uns que les autres, tout cela vaut bien qu’on se dérange de 50 et de 100 lieues. Que dis-je, on y viendra du Nouveau Monde, on y viendra de la lune même.

Et la musique ? C’est de l’Offenbach du bon tonneau. La muse du compositeur a bu de l’eau de Jouvence ; elle s’est retrouvée leste et pimpante comme aux plus beaux jours, courant et serpentant au milieu des événements de la pièce, ne posant nulle part lourdement, n’écrasant rien, arrivant à point pour réchauffer une scène, pour forcer le succès. Un joli duo d’amour, un chœur d’astrologues, les couplets d’entrée du prince Caprice, la romance de Fantasia, l’étonnante chanson « du Charlatan », la musique des ballets... tout serait à citer. Zulma Bouffar s’est fait trisser la ronde des Charlatans : il faut la voir, il faut l’entendre sur son char, flanquée du joyeux compère Christian ; c’est un tableau d’un réalisme bien réjouissant. Et quel entrain quand ce Mangin en jupon débite son boniment ! N’oublions pas non plus le succès de la débutante Mlle Marcus, une bonne musicienne douée d’une jolie voix et d’un charmant physique. L’hiver dernier, Mlle Marcus, deux ou trois fois lauréate du Conservatoire, chantait à la Société des concerts les graves soli de nos œuvres classiques. D’un coup d’aile la voici prima donna d’opérette dans le royaume lunaire. Enfin, — et c’est bien désagréable pour la critique, — il n’y a cette fois que des éloges à décerner : éloges au musicien, dont la verve a été intarissable ; éloges aux auteurs de la pièce, qui se sont montrés originaux et spirituels ; éloges aux artistes, éloges à Grévin, dont la fantaisie s’en est donné à cœur-joie dans le dessin des costumes ; éloges aux décorateurs, et à Chéret en particulier, qui a mis le sceau à sa réputation. Et maintenant, mon cher Vizentini, vous qui avez si brillamment monté et dirigé l’exécution de ce hardi voyage, ouvrez vos coffres, vous n’avez plus qu’à récolter. Sic itur ad... lunam. […]

H. Moreno