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Semaine théâtrale. Phryné

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SEMAINE THÉÂTRALE

PHRYNÉ, ou le Délassement d’un noble esprit, Antique comédie de M. AUGÉ DE LASSUS, Musique badine de M. CAMILLE SAINT-SAENS, Membre de l’Institut de France et de plusieurs autres académies étrangères. 

Quand on sort des profondeurs de la Valkyrie et qu’on se trouve en présence d’une petite œuvre aimable comme cette Phryné de M. Camille Saint-Saëns représentée l’autre soir à l’Opéra-Comique, on est tout étonné de voir que l’ogre allemand n’a rien dévoré du tout. La vive chanson française tient encore sa place à côté du lied nébuleux et des nouvelles formes d’art importées de Bayreuth. 

Ceux qui paraissent devoir être le plus touchés par cette apparition fulgurante de la Valkyrie, sont précisément ceux de nos musiciens qui ont mis le plus d’acharnement à nous imposer cette géniale partition.

Le flot qui l’apporta recule épouvanté. 

Que deviennent leurs pauvres œuvres poussives, inspirées (?) du même système, à côté de cette symphonie gigantesque et de ces conceptions grandioses ? Quelles pâles couleurs se répandent tout aussitôt sur leurs imaginations maladives ! et il en sera de même pour tous ceux qui s’acharneront à la poursuite du dangereux Wagner ; ils s’épuiseront en vains efforts. L’art ne vit que d’originalités et non de pastiches. Laissons donc à Wagner sa gloire, mais ne cherchons pas à l’imiter. Les musiciens qui voudront bien continuer à suivre leur voie naturelle, celle que leur indique leur génie, pourront encore : y rencontrer le succès. 

M. Saint-Saëns vient de nous en donner une preuve concluante. Y a-t-il mis de la malice ? Toujours est-il qu’il s’est rapetissé le plus qu’il a pu, et qu’il n’y a rien de plus étranger aux théories wagnériennes que sa partition de Phryné. Le couplet y fleurit avec abondance, à côté des romances nouvelles et des duos pomponnés ; les chœurs y resplendissent et les ensembles gardent leur symétrie ; plus encore, on y compte deux finals rythmés qui ne dépareraient pas les meilleures opérettes des petits maîtres du jour. Enfin, c’est quelque chose dans le genre du pire opéra-comique d’Auber ou même de Ferdinand Poise, qui n’ont jamais rien perpétré de plus accompli. Seulement M. Saint-Saëns n’a pu s’empêcher d’y mettre quelque ragoût dans l’orchestre et d’y semer des épices d’un parfum paculier. Oh ! ce basson qui barytonne si plaisamment pendant 1es déclarations vertueuses de Dicéphile ! Oh ! ce cor ! oh ! cette clarinette qui dialoguent çà et là avec tant d’esprit ! Tout cela est d’une main bien experte et raffinée. Quelqu’un s’y est-il ennuyé ? Non, Pas une minute ! Donc, on peut encore faire de la musique française en France. 

Si c’est une leçon qu’a voulu nous donner M. Saint-Saëns, avouons qu’elle est réussie, tout en souhaitant qu’il ne s’attarde pas davantage à ces badinages, tout exquis soient-ils, et qu’il redevienne vite le musicien d’Henri VIII et de la symphonie en ut mineur. C’est assez d’une fois d’employer ses loisirs d’Algérie à de tels amusements. 

Le poème de M. Auge de Lassus n’est pas non plus d’une entière fraîcheur. Il s’agit là-dedans d’un archonte qui jouit à Athènes d’une telle réputation de vertu que ses concitoyens n’hésitent pas à lui ériger un buste de reconnaissance sur la plus belle place d’Athènes. Et pourtant, cet archonte, si le canal de Panama avait été inventé de son temps, n’aurait pas hésité à y barboter de la belle façon. Dans les républiques athéniennes d’autrefois, c’était déjà comme ça. Faute de canal, Dicéphile se contente d’administrer les finances de son pupille Nicias et d’y trouver des profits illégitimes. Ses mœurs ne sont pas non plus d’une rigidité bien solide, puisqu’il finit par se laisser prendre dans les rets de la belle courtisane Phryné, qui répète devant lui le rôle dénudé qu’elle jouera plus tard devant l’aréopage réuni. Voilà qui est assez gaillard, vraiment. Et quand on pense que c’est la belle Mlle Sanderson qui remplit le rôle de Phryné, on en a la chair de poule. Malheureusement, au bon moment et quand toutes les lorgnettes s’apprêtent, elle est remplacée par une statue ! N’importe, l’archonte coupable est dévoilé tout autant que le marbre qui sert à cette exhibition, et la populace réunie lui fait des avanies. 

Nous avons nommé Mlle Sanderson. Sa radieuse beauté a été la splendeur de cette soirée, comme sa voix légère qui semblait jouer avec les gammes et vocalises du compositeur en a été l’enchantement. Car, vous m’entendez bien, il y a dans cette partition des vocalises effrontées. Ça, c’est le comble, et M. Saint-Saëns ne s’en relèvera sûrement pas. Après tout, pourquoi garder des pudeurs musicales dans une pièce où il y a si peu de pudeurs physiques ? 

M. Clément est l’amoureux de cette petite antiquaille, et il y roucoule agréablement de l’un à l’autre bout, comme M. Fugère, toujours merveilleux comédien, s’y montre avec avantage dans les mille nuances de son art habile. D’autres petits rôles épisodiques sont tenus plaisamment par Mlle Bulh, travesti gracieux, et par MM. Barnolt et Périer. 

L’orchestre, sous la direction de M. Danbé, accompagne délicieusement cette musique délicate. Pour la mise en scène, nous avons retrouvé le Carvalho des meilleurs jours ; c’est fin et véritablement charmant. Presque tous les costumes sont neufs et d’un goût irréprochable. Voilà qui est bien. 

Finissons par une bonne nouvelle : le Toréador d’Adolphe Adam va nous être rendu ! Il accompagnera bientôt sur la scène de l’Opéra-Comique la Phryné de M. Saint-Saëns, ce qui composera un spectacle entier d’un archaïsme délicieux. Pendant ce temps-là la Valkyrie continue à flamboyer sur les affiches de l’Opéra, caractérisant la marche en avant du drame musical. Étonnant rapprochement et surprenant contraste des choses d’ici-bas ! 

H. MORENO.

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Journaliste, Éditeur

Henri HEUGEL

(1844 - 1916)

Compositeur, Organiste, Pianiste, Journaliste

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

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Phryné

Camille SAINT-SAËNS

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Lucien AUGÉ DE LASSUS

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date de publication : 16/10/23