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Frédégonde de Guiraud et Saint-Saëns

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FRÉDÉGONDE[1]

Brunhilda (Brunehaut), Frédégonde, Merowig, Hilpéric, Prétextat, Fortunalus, sont des personnages qui ont, bien des fois déjà, tenté poètes et musiciens.

Pour m’en tenir au présent, je rappellerai que M. Samuel Rousseau écrivit trois actes, sous le titre de Merowig, et que, le pouvant les imposer à un théâtre de musique, il les fit entendre dans un concert, à l’Eden, en 1892, époque à laquelle j’eus l’occasion d’en rendre compte.

Dans quelques mois, M. Gunsbourg nous conviera à Monte-Carlo à la première d’un opéra inédit de César Franck, Ghiselle, tiré des Récits Mérovingiens, d’Augustin Thiéry. Je crois de plus, que M. Lucien Solvay a terminé depuis assez longtemps déjà, un livret d’opéra sur Frédégonde.

Il est donc à supposer que pour ceux qui affectionnent les sujets historiques, celui-ci est particulièrement attrayant. J’avoue que s’il faut s’en rapporter uniquement à la pièce de M. Gallet, qui est pourtant un librettiste d’expérience et de talent, cet attrait s’explique difficilement, comme il vous sera aisé d’en juger par l’exposé du scénario.

Au lever du rideau, des chœurs de leudes austrasiens, de seigneurs Goths, de Gallo-romains, de femmes richement vêtues, réunis à Paris, dans le palais des Thermes, chantent la gloire de Brunhilda, la reine dont librement ils ont fait choix. « Jamais, déclare Fortunatus le poète, jamais souveraine, ni femme, si fort et si vite, n’a pris nos yeux, notre esprit et notre âme » Mais Brunhilda n’écoute que d’une oreille distraite ces touchants madrigaux. Ses préoccupations sont d’ordre autrement grave. Tant qu’elle ne tiendra pas en son pouvoir son beau-frère Hilpéric et cette infâme Frédégonde qu’il n’a pas craint d’admettre dans la couche nuptiale au lendemain de la mort de sa jeune femme, Galswinte, elle tremblera pour sa couronne. Et non sans raison, puisque bientôt des coryphées accourent annoncer à la reine, pendant une fête, que tandis qu’on croyait Hilpéric prisonnier à Tournai, il marchait sur Paris, à la tête des Neustriens et, qu’à l’approche de l’ennemi, toute la ville venait de prendre la fuite, loin des remparts.

À cette nouvelle, chacun veut courir aux armes, mais trop tard, car voici Hilpéric, suivi de Frédégonde et des leudes neustriens, parmi lesquels figure Merowig, fils du roi.

C’est au jeune guerrier que sera confiée la mission de conduire Brunhilda prisonnière au cloître de Rouen.

Au lieu d’obéir à son père, comme il s’y était engagé, Merowig, que la beauté de la jeune captive a troublé, se mettra à la tête des Austrasiens campés près de Rouen, et vengera celle qu’il aime désormais plus que la vie. Mais avant la bataille, l’évêque Prétextat les unit tous deux devant Dieu.

Après un tableau qui n’est qu’un long dialogue entre Hilpéric et Frédégonde, dialogue destiné à mettre sous nos yeux la puissance de la maîtresse sur le mâle, nous arrivons ait dernier acte. Frédégonde, qui a conservé un cœur de mère, quoique esclave de ses sens, ambitionne la couronne pour le fils qu’elle eut avant son union avec Hilpéric.

Le but et le résultat de ses efforts et de ses séductions, — dont on nous instruit trop tardivement — furent donc d’obtenir de son époux la promesse de la punition du révolté, de Merowig, que le Roi déclare, à la fin de l’ouvrage, déchu de ses droits au trône, et qu’il condamne à l’emprisonnement perpétuel dans un cloître. À l’audition de cette sentence, prononcée par les évêques aux gages de Frédégonde, Merowig se frappe de son glaive pour échapper à un sort aussi épouvantable.

Évidemment ce poème en vaut un autre et, dans bien des endroits, on y reconnaît la main experte du librettiste érudit qu’est Louis Gallet. Mais, c’est égal, bien que les auteurs aient voulu écrire un opéra et non un drame lyrique, je ne puis m’empêcher de trouver que Frédégonde fait à la despotique convention une part trop belle. Sauf dans le quatrième acte, le meilleur des cinq et comme livret et comme musique, les caractères manquent de consistance, et les événements se produisent et se succèdent sans autre logique que celle dont s’est trop souvent contenté l’Opéra. À en juger par l’étonnement d’un grand nombre de spectateurs à certains moments de la soirée, notamment à l’arrivée par trop subite de l’armée neustrienne, pendant la fête du premier acte, il est clair que ce système a fait son temps et que le public est mûr pour le drame lyrique.

Et qu’on ne s’y trompe pas ! Si jadis on ne demandait guère aux librettistes que de fournir à leurs collaborateurs des prétextes à musique, c’est que l’Opéra était considéré comme une sorte de vaste concert, et les compositeurs, se conformant à la mode du jour, se contentaient de faire succéder les romances aux airs à effet, les trios aux duos, les chœurs aux ensembles, le tout relié par des récitatifs sans aucune importance musicale. En Italie, ces récitatifs avaient pour principale fonction de permettre aux artistes et aux auditeurs de reprendre haleine, et de favoriser les conversations, qui ne s’interrompaient dans les loges, que quand recommençait à sévir l’irrésistible mélodia.

À l’heure présente, le compositeur n’ose plus écrire de ces mélodies faciles, tour à tour sentimentales ou enlevantes, et lorsqu’on lui remet un poème qui en comporterait peut-être, il s’ingénie, dans la double crainte de paraître Italien ou vieux jeu, à dissimuler par toute sorte d’artifices les romances et les airs, sans songer qu’en agissant de la sorte, il n’arrive le plus souvent qu’à créer une œuvre hybride, qui ne satisfait complètement personne. C’est ce qui, je crois, est un peu le cas de Frédégonde et c’est là une des causes principales du succès relativement assez modéré de l’ouvrage.

Et pourtant, Dieu sait si l’on était bien disposé et si l’on ne demandait qu’à applaudir ! Louis Gallet est un des librettistes les plus sympathiques qui soient et son passé a le droit de s’enorgueillir de victoires nombreuses. Ernest Guiraud fut l’homme le plus charmant qu’on pût connaître et sa nature, ainsi que son talent dont il fit preuve dans Gretna-Green, dans Piccolino, dans Galante Aventure, dans des œuvres d’orchestre justement célèbres, faisaient espérer un chef-d’œuvre que l’impitoyable mort ne lui laissa pas le temps de nous donner. Quant à Saint-Saëns, c’est, tout le monde le reconnaît maintenant, un maître admirable, à coup sûr l’un des plus grands de notre école. Samson et Dalila, figure à côté du Sigurd d’Ernest Reyer, et des deux Gounod, parmi les plus belles œuvres françaises du répertoire de l’Opéra, comme à l’Opéra-Comique règne la captivante Manon de Massenet.

Il est juste d’ajouter que si Guiraud avait vécu, il aurait probablement fait subir, avant de les livrer à la critique, bien des retouches et bien des améliorations aux trois actes trouvés dans ses cartons après sa mort. M. Saint-Saëns ne pouvait prendre la responsabilité d’une telle révision et même pour donner à la partition autant d’unité que possible, il s’appliqua, la chose est visible, à annihiler sa propre personnalité. Malgré ses efforts pour atteindre ce but, on le reconnaît aisément à plus d’un endroit et principalement au très beau duo du quatrième acte, la page la plus musicale, la plus vécue, et la plus complète de Frédégonde qui en contient cependant un certain nombre de très bien venues dans les autres actes, auxquelles la couleur et le contraste font malheureusement défaut.

C’est un des meilleurs élèves de Guiraud, M. Dukas, qui eut l’honneur d’être choisi pour revoir l’orchestre laissé par le maître et pour instrumenter les parties que l’auteur de Piccolino n’avait pu qu’esquisser. Il s’est acquitté de cette tâche ardue avec un rare bonheur et, parmi les fragments qu’il a particulièrement bien réussis, je noterai l’entrée de l’évêque et la marche nuptiale du troisième acte.

Il serait superflu, j’imagine, de parler de l’orchestration de Saint-Saëns. Je ne résiste cependant pas au plaisir de mentionner le parti qu’il a tiré symphoniquement de ses jolis airs de ballet intercalés au troisième acte, sans que l’action ne les légitime du reste d’aucune façon.

L’interprétation est de celles dont peuvent se contenter les compositeurs les plus difficiles. Il est regrettable que Mlle Bréval, qui avait eu des moments si remarquables à la répétition générale, n’ait pu, par suite d’un refroidissement, conserver son rôle de Brunehilda. Mais Mlle Lafargue, à laquelle l’avenir semble ne réserver que des sourires, a pris au pied levé le rôle de sa belle camarade et s’y est montrée chanteuse charmante et artiste très sûre. Elle mérite de vives félicitations.

Mme Héglon est une superbe Frédégonde. Ses progrès sont considérables et cette création a été pour elle l’occasion d’un succès des plus spontanés, notamment après sa troublante scène de séduction au quatrième acte qu’elle a voluptueusement jouée.

M. Alvarez est, certes, à l’heure actuelle, un des plus merveilleux ténors qui soient. C’était, à la première de Frédégonde, l’opinion générale, et je suis heureux de pouvoir pleinement la ratifier.

M. Renaud est toujours le beau chanteur, à la voix chaude, à la méthode impeccable, au geste large. 

L’organe de M. Vaguet est délicieux et il s’en sert avec un goût très sûr.

M. Fournets a prêté à l’évêque Prétextat son timbre riche de basse noble et son incontestable autorité.

La jolie Mlle Sandrini fut l’éclat du ballet. 

L’orchestre et les chœurs furent supérieurement dirigés par M. Taffanel.

La mise en scène fait honneur à MM. Gailhard et Lapissida.

FERNAND LE BORNE. 

[1] Frédégonde, drame lyrique en cinq actes, de M. Louis Gallet, musique de Ernest Guiraud et M. Camille Saint-Saëns. Hilpéric, MM. Renaud ; Merowig, Alvarez ; Fortunatus, Vaguet ; Pretextat, Fournets ; Landéric, Ballard ; Brunhilda, Mmes Lafargue ; Frédégonde, Héglon. 

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date de publication : 12/07/23