Les premières. Le Voyage dans la Lune
LES PREMIÈRES
Le Voyage dans la Lune, vingt-trois tableaux, de M. Leterrier, Vanloo et Mortier.
Je croyais qu’il ne s’agissait, avec le Voyage dans la lune, que d’une féerie agrémentée de couplets, mais le titre donné à la pièce, sur l’affiche, n’est point menteur, et c’est à mon voisin de la critique musicale qu’il appartient de juger cette alerte musique d’Offenbach qui, à mon sens, ne sera pas pour peu de chose dans le succès du Voyage dans la Lune. La pièce et les décors restent dans notre domaine. La pièce est amusante et les décors superbes. On voudra voir le canon-monstre qui envoie un obus gigantesque de la terre à la lune, le ballet de la neige où des oiseaux frileux, coquettement dessinés par Grévin, sautillent parmi les flocons, le volcan éteint qui se rallume et gronde, enfin le clair de terre, qui se profile, sur le fond du décor, avec une apparence lunaire.
Depuis Cyrano de Bergerac jusqu’à Jules Verne, tout le monde a rêvé le voyage dans la lune, et je ne sais quelle féerie de notre enfance nous y avait déjà conduit. Les auteurs de la pièce nouvelle ont fait une satire spirituelle de nos mœurs et, lorsqu’on aura élagué certaines longueurs, comme le tableau des ventres énormes, tout ira à souhait. On pourrait aussi atténuer les plaisanteries un peu gauloises qui amusent beaucoup un soir de première, mais qui effaroucheraient les familles aux représentations suivantes. Rien de plus facile. Ce qui a fait, en partie le grand succès du Tour du Monde, c’est qu’on allait se répétant : « Tout le monde peut y mener sa famille ! »
La soirée d’hier a été tout à fait divertissante, et M. Vizentini, pour sa première pièce, a grandement fait les choses. Il en sera récompensé par la vogue. J’ai vu peu de féeries aussi royalement montées. Christina et Grivot sont fort drôles, Christina surtout, le roi le plus étonnant et le mieux fait pour faire éclater de rire au nez de la monarchie. Mlle Zulma Bouffar est la plus délurée des chanteuses de musique bouffonne. On lui a fait répéter son airs des Charlatans qu’elle enlève avec une supérieure crânerie. Mlle Marcus, presque éteinte au Conservatoire, débutait dans le Voyage à la Lune et y a été applaudie. Elle est gentille et sans affectation.
On s’est couché à deux heures du matin, après les vingt-trois tableaux de la pièce. Deux heures, ce n’est pas trop tard pour revenir de si loin : la lune !
J. C.
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Le Voyage dans la Lune
Jacques OFFENBACH
/Albert VANLOO Eugène LETERRIER Arnold MORTIER
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date de publication : 23/09/23