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La Mort d'Abel de Kreutzer

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Quelque grand qu’ait été le succès de la Mort d’Abel de Gessner, ce fut sans doute une entreprise très-hardie de la part de M. Legouvé de transporter ce sujet au Théâtre-Français & de lui donner les formes de la tragédie. Grace aux talents de l’auteur, elle réussit, & le chemin étant frayé, il semble qu’il n’y avait plus rien de hasardeux à faire passer Abel d’un théâtre sur un autre, à prendre dans le poème & dans la tragédie le sujet d’un opéra. Voyons donc comment M. Hoffmann a rempli cette nouvelle tâche.

[description du livret]

On voit déjà par cette courte analyse tout ce que M. Hoffmann a emprunté de ses deux prédécesseurs ; il leur doit presque tout entier son premier & son troisième acte. La prière du matin, la réconciliation, le double sacrifice, la retraite de Caïn, les deux songes, sont dans Gassner & dans M. Legouvé. On voit aussi que c’est Milton qui lui a fourni son second acte. Mais ce qui lui appartient, c’est la manière dont il a disposé tous ses matériaux ; & nous le disons à regret, elle ne nous a point paru très-heureuse.

[…]

Mais je prévois l’excuse que M. Hoffmann s’est ménagée : c’est autant dans l’intérêt du compositeur que dans le sien propre qu’il a appelé à son secours les esprits infernaux. Il a voulu lui fournir les moyens de varier sa musique, d’y introduire de grands effets. Ceci nous conduit naturellement à parler de cette musique & à rendre justice à M. Kreutzer sans sortir de notre opinion. Nous ferons avec plaisir l’éloge de son premier acte. L’ouverture, surtout depuis le lever du rideau, porte un caractère de candeur pastorale qui convient admirablement au sujet ; le duo d’Adam & d’Abel a excité le plus vif enthousiasme & sera toujours entendu avec plaisir. Le chœur de la réconciliation rappelle, quoique de loin, un morceau célèbre des Mystère d’Isis, mais il est délicieux & tout le final a été justement applaudi. Le troisième acte, quoiqu’inférieur au premier, a produit encore beaucoup d’effet, & dans le moment où l’on pleure sur le corps d’Abel, & dans les airs de danse du songe & dans ceux de l’apothéose. Le second acte, celui de l’enfer, a beaucoup moins bien réussi ; les auteurs, qui avaient cru que c’était assez qu’il fût en contraste avec les deux autres, n’avaient pas prévu que, n’offrant en lui-même aucun contraste, il fatigueraient les spectateurs. Un acte entier de musique barbare, c’est plus que l’oreille n’en peut supporter. Gluck n’a mis l’enfer des payens sur la scène qu’en mêlant à ses chants terribles les accents mélodieux d’Orphée. Dans Cortez, les prières touchants des prisonniers espagnoles interrompent de même les cris féroces des Mexicains ; mais dans l’enfer de notre religion cette alliance était impossible, & voilà pourquoi, même dans l’intérêt de la musique, M. Hoffmann n’aurait pas du nous le présenter.

Si l’espace ne nous manquait, nous aurions d’autres observations à faire sur le style du poème, sur les ballets, le jeu des acteurs, les décorations, les costumes ; nous y reviendrons peut-être dans un autre article. En attendant, nous terminerons celui-ci en disant que les vers de M. Hoffmann sont assez faibles ; que les ballets, trop peu considérables pour augmenter la réputation de M. Gardel, prouvent cependant que son imagination est inépuisable ; que Lainez, chargé du rôle de Caïn, a joué avec un talent supérieur la scène du meurtre ; & que Derivis & Nourrit ont très bien chanté les rôles d’Adam & d’Abel. Nous ajouterons enfin que la décoration du premier acte avait déjà paru dans la Mort d’Adam, & que les autres, qui ont été fort goûtés, sont de MM. Marielle & Boquet.

Les auteurs ont été demandés & nommés, MM. Kreutzer & Gardel sont venus recevoir les témoignages de la satisfaction du public.

G.

Personnes en lien

Compositeur, Violoniste

Rodolphe KREUTZER

(1766 - 1831)

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Rodolphe KREUTZER

/

François-Benoît HOFFMAN

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date de publication : 15/09/23