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Théâtre national de l'Opéra-Comique. La Princesse jaune

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THÉÂTRE NATIONAL DE L’OPÉRA-COMIQUE.
La Princesse Jaune, Opéra-comique en un acte, en vers, de M. Louis Gallet, musique de M. Camille Saint-Saëns. Première représentation le 12 juin 1872. – Reprise à ce théâtre de Bonsoir Voisin.

La Princesse jaune ! la Princesse jaune ! Quelle peut bien être cette princesse et où chercher sa principauté dans la géographie des couleurs ? Au Japon, nous dit M. Louis Gallet ; et c’est là que s’en vont tous les rêves d’un jeune savant hollandais qui, à force d’étudier les langues orientales et de s’entourer des bibelots de cette contrée, en est arrivé à se prendre d’amour pour une affreuse image japonaise, plutôt que de penser simplement à une charmante petite cousine près de laquelle il a été élevé et qui l’aime, elle, de tout son cœur. Remarquez-vous que depuis les ambassades japonaise, tout ce qui se rapporte à ce pays cocasse est en grande vogue ? Le fait-Japon éclipse le fait-Paris, nos boutiques regorgent de ses produits, à l’exposition de peinture on se heurte dans toutes les salles à des tableaux japonais ; enfin le besoin se faisant fortement sentir que la musique lui payât son tribut, c’est l’Opéra-Comique qui s’est chargé de ce soin avec le concours de M. Gallet pour la poésie, de M. Saint-Saëns pour la musique et de MM. Rubé et Chaperon pour la partie décorative, qui, soit dit en passant, n’est pas la moins réussie. Mais nous voici bien loin de notre Pygmalion de paravent. Vaincu par sa folie, il se décide à prendre un breuvage qui doit, par un magique pouvoir, le transporter auprès de son idole jaune. Suivons-le et tombons avec lui en plein Japon, avec du soleil plein le ciel et des clochettes plein l’air. Il est heureux, il est au comble de ses vœux. En effet, celle qu’il aime se présente ; mais sous les habits de la Japonaise il retrouve, chose étrange, les traits de sa jolie cousine. Pendant qu’il cherche à lui faire comprendre les élans fougueux de son amour, il aperçoit pendu au mur le portrait de la jeune Hollandaise, de même que, dans sa chambre habituelle, il regardait celui de la Princesse Jaune. C’en est fait, le rêve s’efface, car ce n’était qu’un rêve, et il se réveille dans les bras de sa charmante cousine. Grâce à elle, le voilà guéri, et ils célèbrent cette heureuse circonstance en se rendant à la kermesse dont on entend au loin les éclats joyeux.

Ce poëme paraîtra peut-être un peu naïf, mais il est en vers, ce qui le sort de l’ordinaire ; et puis, je soupçonne son auteur de l’avoir écrit à l’encre de Chine, ce qui lui donne un parfum asiatique. Pourquoi, en l’écoutant, ai-je un peu pensé à Galathée, beaucoup à la Jolie fille de Gand, passionnément à Coppelia et pas du tout à la Princesse Jaune ? Ceci est un phénomène que je n’ose analyser.

M. Saint-Saëns, chargé de mettre en musique ce poëme hollando-japonais, n’a cru pouvoir mieux faire que d’adopter une gamme particulière au moyen de laquelle il a écrit une bonne partie des mélodies de sa partition. Voici son système : admettez que nous soyons en do majeur, et chantons : mi, sol, la, do, la, sol, mi, sol, la, do, adaptant à ce fragment mélodique tous les rhythmes possibles, depuis le plus lent jusqu’au plus gai. Je vous assure que je n’exagère pas. J’ai constaté la présence de cette formule dans l’ouverture, dans le milieu de l’air du ténor, dans un chœur japonais, dans la chanson du bateau et dans le finale du premier duo. Cela répand pas mal d’étrangeté, mais beaucoup moins de parfum oriental que l’encre de Chine employée par M. Louis Gallet.

Le reste de la partition de M. Saint-Saëns m’a laissé un peu froid. Je me disais que j’avais affaire à un pianiste fort extraordinaire, à un organiste de la meilleure école, à un chef d’orchestre plein d’avenir, à un harmoniste aussi complet que possible, à un docteur ès-musique, à une mémoire chargée de tous les chefs-d’œuvre de toutes les époques ; mais au milieu de ces nombreuses richesses, j’étais forcé de m’avouer, comme le coq de la fable, que le moindre grain de mil ferait bien mieux mon affaire. Le grain de mil qui manque à M. Saint-Saëns, c’est l’individualité, c’est le charme. C’est peut-être aussi ce sentiment intime de la scène qui fait qu’on trouve l’accent juste dans la joie comme dans la douleur. Quoi qu’il en soit, j’aurai à citer un air de ténor de couleur rêveuse : J’aime dans un lointain mystère ; la romance très-distinguée de Lena ; une fort jolie phrase à deux voix : Ah ! je rêve sans doute, il me parle d’amour ; et enfin, le duo final : Félicités promises, dont la tournure un peu vulgaire a paru beaucoup plaire à l’auditoire.

L’orchestre de M. Saint-Saëns est traité d’une main ferme et sûre. La connaissance des timbres y est fortement accusée et mille jolis détails s’y présentent. Encore une chose à constater à la louange du compositeur, c’est la clarté qu’il sait mettre dans la forme de ses morceaux. Attendons-le à une seconde épreuve moins japonaise, plus parisienne ; il représente en somme l’une des forces vives de notre école musicale moderne, et à ce titre il a droit à toute notre sympathie.

Mlle Ducasse fait son chemin à l’Opéra-Comique. Son double rôle de la Princesse Jaune pourrait bien la mettre tout d’un coup en évidence ; elle y a vraiment développé beaucoup d’intelligence et de gentillesse. Plus sobre dans son jeu, elle arrive plus sûrement à l’effet, et l’expérience qu’elle acquiert lui donne chaque jour plus de tact. Comme chant, nous ne l’avions jamais encore entendu dire si bien et si juste. Elle a détaillé tout son rôle en bonne chanteuse et le véritable succès qu’elle a obtenu était bien et dûment mérité.

Son partenaire M. Lhérie mérite aussi des éloges. Il a supporté vaillamment la tâche d’un rôle extrêmement lourd à porter, tant par son importance – il quitte à peine la scène – que par le caractère ingrat qui forme son lot. Le charme que ce jeune ténor sait mettre dans son chant lui assure toujours l’accueil sympathique du public. […]

Paul Bernard.

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date de publication : 21/10/23