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Théâtre national de l'Opéra-Comique. Cinq-Mars

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THÉÂTRE NATIONAL DE L'OPÉRA-COMIQUE
Cinq-Mars, drame lyrique eu quatre actes et cinq tableaux, paroles de MM. Paul Poirson et Louis Gallet, musique de M. Charles Gounod – Première représentation, le jeudi 5 avril 1877.

Depuis Roméo et Juliette, donné au Théâtre-Lyrique en 1867, M. Gounod n'avait fait représenter aucun ouvrage important. Quelques morceaux intercalés dans les Deux Reines de M. Legouvé et dans la Jeanne d'Arc de M. Jules Barbier, ne pouvaient présenter le caractère d'une œuvre réellement scénique, largement conçue, dramatiquement développée. Le maître français, semblable en cela au fleuve qui remonterait vers sa source, s'était rapproché de cette musique religieuse qui avait si brillamment présidé à ses premiers pas en nous faisant entendre à plusieurs reprises quelques oratorios, peu considérables du reste, des morceaux sacrés et la « lamentation » de Gallia. Mais tout cela, comparé à la période éclatante où le compositeur choyé du public parisien donnait coup sur coup le Médecin malgré lui, Faust, Philémon et Baucis, Mireille, Roméo, pouvait être considéré comme un silence relatif ; aussi se prenait-on à regretter qu'un musicien dont la France était fière se fût ainsi retiré de l'arène, oublieux de sa propre gloire et de la gloire artistique de sa patrie, à laquelle cependant il avait si largement contribué. Dix ans ! c'est un peu long dans la carrière d'un homme ; dix ans de silence surtout, – sauf Polyeucte, qui n'appartient pas encore à l'histoire, – quand cela coïncide avec la force de l'âge, avec la maturité du talent. Mais voici la glace rompue : puisque Cinq‑Mars a pris possession de la scène, et quel que soit le jugement qui va l'accueillir, l'avenir appartient encore au compositeur, à la grande satisfaction de tous. M. Gounod ne saurait en douter, à voir l'accueil fait à sa nouvelle œuvre. Il y avait là comme un parfum de veau gras saluant le retour de l'enfant prodigue. Agissons donc comme dans la généreuse parabole, et si le dernier ouvrage de M. Gounod ne semble pas précisément à la hauteur de ses aînés, ouvrons toutefois nos bras à son auteur, pleins de confiance dans ses futurs travaux.

À dire vrai, le poème de Cinq-Mars n'est peut-être pas réussi autant qu'on eût pu l'espérer. Le roman bien connu d'Alfred de Vigny est une œuvre tellement supérieure que son adaptation à la scène devenait une épreuve fort dangereuse, soit parce qu'elle devait rester forcément au-dessous du modèle, soit parce que d'aussi grandes scènes, mettant en jeu des caractères historiques de cette envergure, ne pouvaient trouver, dans le simple cadre d'un poème lyrique, les proportions nécessaires pour se développer aisément. Il devait en résulter une gêne inévitable, d'une part, pour les arrangeurs, obligés de rapetisser l'objectif de l'œuvre collective ; de l'autre, pour le spectateur, forcé lui-même d'oublier la hauteur du roman, s'il le connaissait, et, s'il ne le connaissait pas, fort empêché pour se retrouver au milieu d'une action trop resserrée et dont les rouages compliqués devaient fatalement lui échapper. Les dimensions d'un grand opéra en cinq actes eussent pu tout au plus suffire, les toiles de fond d'une vaste scène se fussent à peine prêtées à l'exposition de tableaux de cette importance. MM. Poirson et Gallet ont si bien compris cette difficulté, qu'ils se sont instinctivement rapprochés de la forme du grand opéra, évitant ainsi de développer le dialogue dans leur arrangement. C'est tout au plus si chaque acte présente une courte scène parlée ; le dernier, entre autres, reste complètement lyrique. Il en résulte un poème hybride, qui n'est plus le simple opéra comique sans être encore le grand opéra, et qui, de cette naissance sans franchise, conserve un vice originel qui désoriente et déconcerte. Les caractères, je l'ai déjà dit, ne pouvaient être suivis et maintenus. La Reine, le Cardinal, ces deux mobiles principaux, ont dû être abandonnés. Le Roi n'est plus qu'un fantôme qui passe, disant à peine quelques paroles. Le sage de Thou perd sa grande personnalité de philosophe ; Marie de Gonzague et Cinq-Mars ne sont plus que de vulgaires amoureux, et le père Joseph, devenu forcément la cheville ouvrière de l'action, parle au nom du Cardinal et de la Reine avec une […]ité qui choque la logique et les convenances. Quelques belles scènes pourtant émergent encore du naufrage. De ce nombre sont surtout celles qui restent inspirées de l'amitié des deux hommes, et aussi quelques élans dramatiques de premier ordre, se rattachant à l'entrevue des deux amants et au dénouement dans la prison.

Cependant, sur ce scénario assez mal charpenté, le compositeur a trouvé moyen de broder parfois de jolis détails et d'écrire, en somme, une musique rêveusement mélodique, comme il en connaît si bien le secret. Ce qui manque le plus à l'ensemble de sa partition, c'est la grandeur qui devait rester inhérente au sujet même. On y sent aussi la hâte de l'improvisation : était-il bien nécessaire de ne mettre que trois semaines à écrire Cinq-Mars, – les journaux ont été autorisés à le dire, – et cette sorte de gageure, qui visait Rossini et le Barbier, était-elle chose bien sage ? « Le temps, dit un adage dont Rossini s'est aussi souvenu au besoin, respecte peu ce qui s'est fait sans lui.» Mais hâtons-nous d'ajouter que, malgré tout, il y a bien de la grâce et du charme au milieu de cette faiblesse, qui, en toute justice, doit être attribuée autant à l'œuvre des arrangeurs qu'à celle du musicien.

Une simple introduction sert de prélude à l'ouvrage. Comme celle de Faust, elle débute par quelques-unes de ces harmonies à tonalités vacillantes qui bercent l'oreille sans la fixer ; puis une courte marche funèbre fait pressentir le drame qui va se dérouler. Il en sort comme un reflet qui fait penser malgré soi à celle de Roméo et Juliette.

Le premier acte se passe au château de la maréchale d'Effiat, mère de Cinq‑Mars, au moment où celui-ci va partir pour la cour, appelé par le Cardinal. L'arrivée du père Joseph, qui annonce à Marie de Gonzague qu'elle sera reine de Pologne ; la scène du Livre, tirée du roman, où les deux amis découvrent les pronostics de leur fin tragique, et enfin les premiers serments d'amour entre les deux amants, donnent lieu à une série de morceaux où la couleur sentimentale tient la corde d'un bout à l'autre. Parmi eux il faut citer un assez joli chœur d'entrée : A la cour vous allez paraître ; le duo du Livre, d'une teinte mystique non dépourvue de charme ; un grand ensemble : Reine, reine !plus cherché que réussi ; une cantilène soupirée par Marie : Nuit resplendissante ; puis le duo des Adieux, qu'on ne peut guère nommer que pour mémoire, et qui termine faiblement cette assez incolore exposition.

Le second acte sera plus riche. Coupé en deux tableaux dont le premier se passe chez Cinq-Mars parvenu au faîte des grandeurs, il nous offre d'abord une chanson vraiment originale avec sa péroraison chorale et qui a, haut la main, remporté les honneurs du bis. Le chœur qui vient ensuite : Ah ! monsieur le grand écuyer, permettez que l'on vous salue, est fort spirituellement traité. Il présente malheureusement une similitude redoutable avec le fameux : Vous savez si je suis un ami, des Huguenots.

Dans le second tableau, consacré à une fête chez Marion Delorme, nous assistons d'abord à un ballet épisodique dans le goût du temps, pour lequel M. Gounod a écrit une musique archaïque très‑colorée. On sait qu'il s'entend mieux que personne à ce genre de trompe-l’œil. C'est, du commencement à la fin, charmant, intéressant et délicat. L'acte se termine par la grande scène de la Conjuration. Là encore une certaine analogie avec les Huguenots gène la mémoire et pourrait rendre injuste. Il faut reconnaître toutefois que le succès, très-vif, en a été rehaussé par un bisformidable. Ce que j'y préfère nonobstant, c'est la phrase épisodique que chante de Thou, à la manière de Nevers ; le reste, en somme, n'est qu'une espèce de Marseillaise, et, depuis Charles VI, nous sommes vraiment blasés sur ce genre de morceaux à l'emporte-pièce.

Je passerai un peu rapidement sur le troisième acte, car il aurait le don de me faire prendre en grippe toutes les chasses passées, présentes et futures. Ce n'est, en effet, qu'une interminable sonnerie de trompes, et j'ai toutes les peines du monde à en extraire par le souvenir, pour les recommander au lecteur, deux fort jolies choses qui s'y trouvent noyées entre les tontaine et tonton d'une désespérante vulgarité. C'est d'abord la chaude péroraison d'un trio : Ah ! venez, que devant l'autel, traitée pourtant un peu trop à l'italienne avec ses unissons et ses violences vocales ; puis un remarquable air de basse dont le style pur et les tendances élevées nous ramènent heureusement vers des régions plus saines, trop abandonnées par le compositeur dans cet acte dédié à saint Hubert.

Mais quittons bien vite la forêt de Saint-Germain pour le château de Pierre‑Encise. C'est là que le quatrième acte nous transporte, et nous y retrouverons le musicien de nos prédilections. Un prélude de couleur mystique, une cantilène dont l'idée un peu pauvre est cependant distinguée, un duo très‑palpitant, dont la phrase chaude et mélodieuse a ranimé le succès qui s'éteignait dans un menaçant decrescendo, et enfin un beau finale de couleur austère, où le sentiment, d'une ampleur solennelle, se développe avec une vigueur contenue qui frappe juste et fort. Certes! si le jugement pouvait être sévère contre un maître que nous aimons tous, cette dernière page deviendrait à coup sûr l'une des principales circonstances atténuantes.

L'interprétation ne mérite guère que des éloges. Cependant nous placerons en première ligne, par droit de conquête, l'excellente basse Giraudet. Cet artiste consciencieux prend chaque jour une place plus marquée, et la création du père Joseph sera pour lui une victoire décisive. M. Dereims, le ténor débutant, chante de la gorge et sa voix est faible quand il ne peut la forcer ; mais il a de la chaleur et un physique avantageux, ce qui pourrait bien lui faciliter la carrière. Mlle Chevrier, qui paraissait pour la première fois sur la scène, est agréable à voir et à entendre. Ses débuts sont de ceux qui promettent ; toutefois, nous souhaitons voir le sentiment dramatique s'éveiller un peu plus en elle aux représentations suivantes, ou à sa prochaine création. À l'actif de M. Stéphanne inscrivons de beaux élans dans le rôle effacé du vertueux de Thou. M. Barré et Mme Franck-Duvernoy ont su mériter les applaudissements, quoique cette dernière ait eu à faire valoir de bien ingrates vocalises. Il ne faut pas oublier Mlle Philippine Lévy, qui a très-bien rempli le petit rôle épisodique du berger chantant dans le divertissement.

Quant à M. Carvalho, il a été vraiment le lion de la soirée, grâce à son intelligente mise en scène, à la richesse des costumes et des décors. L'orchestre et les chœurs ont rivalisé de zèle et de réussite. M. Lamoureux doit être content de ses phalanges, et M. Gounod, malgré sa croisade contre les prérogatives des chefs d'orchestre, doit être enchanté de M. Lamoureux.

PAUL BERNARD.

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date de publication : 21/10/23