Académie des beaux-arts. Séance publique annuelle
ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.
Séance publique annuelle, le samedi 19 octobre.
L’Académie des beaux-arts a décerné cette année deux premiers grands prix de composition musicale : il y a donc eu deux cantates exécutées dans cette séance. Nous apprécierons tout à l’heure ces deux intéressantes compositions. [...]
Enfin nous arrivons aux cantates. Rappelons que le premier grand prix est M. Broutin, élève de M. Massé, et le second, M. Rousseau (Samuel-Alexandre), élève de M. Bazin ; enfin, que deux mentions honorables ont été accordées à MM. Hue, élève de M. Reber, et Dallier, élève de M. F. Bazin.
Le poëme que les concurrents avaient à mettre en musique était intitulé : la Fille de Jephté. Cette cantate de M. Édouard Guinand n’est ni pire ni meilleure que toutes celles qui sont chaque année jetées en proie aux jeunes musiciens désireux d’aller faire un voyage à Rome. On y trouve le coucher du soleil obligatoire, spirituellement frondé par Berlioz, un court duo d’amour, et enfin la scène si favorable à la musique mais déjà tant de fois traitée, du père qu’un vœu cruel oblige à sacrifier son enfant : c’est Jephté, c’est Agamemnon, c’est Idoménée.
Le jury n’a pas dû avoir de longues hésitations pour choisir le lauréat. L’un, M. Broutin, est ingénieux et intelligent, il cherche à traduire la pensée du poëte et il y arrive souvent, il sait se retourner avec souplesse, il jette du jour dans ses idées, il sait déjà les mettre en relief, bref, il nous paraît posséder toutes les qualités qui promettent un musicien d’avenir. Son orchestre est coloré et son style ne manque pas de variété ; il a déjà de la main. M. Rousseau est loin d’être sans mérite ; il y a dans son style une correction et une finesse remarquables, mais ses idées sont cherchées, heurtées et manquent souvent d’expression ; l’orchestre, sagement et correctement traité, est un peu terne, la mélodie parfois inégale et difficile d’intonation ; enfin on pressent chez le jeune musicien de réelles et sérieuses qualités, mais on sent aussi qu’il a beaucoup à faire encore. Disons, pour être juste, que la cantate de M. Broutin a été exécutée par des artistes supérieurs et de beaucoup à ceux de M. Rousseau, et que l’effet produit sur le public s’est considérablement ressenti de cette différence d’interprétation.
Au lieu du coucher de soleil indiqué, M. Rousseau a cru devoir faire entendre les derniers échos de la bataille que livre Jephté. En cela, il a été bien inspiré, et cette page est une des meilleurs de sa cantate. L’air de Seïla, écrit un peu à la manière de Händel, manque d’unité et de développement ; il est sec, heurté et produit peu d’effet ; en revanche, le cri de victoire de la jeune fille a de la chaleur. Dans l’air du ténor, mélodique mais de peu d’accent, nous notons un élégant accompagnement de violon. Le duo de Seïla et de son fiancé a de la facilité. La danse des jeunes Israélites rappelle quelque danse bretonne plutôt qu’un chant oriental. Le compositeur n’a pas très bien vu l’effet qu’il avait à produire avec les plaintes d’un père forcé de sacrifier sa fille, et cette partie de sa cantate est à peu près manquée. Par contre, il a très bien traduit les plaintes de Seïla, et l’andante de ce passage est d’une expression touchante. C’est cette petite page qui a dû valoir le second grand prix à M. Rousseau. Notons encore un trio bien conduit, et, dans le finale, une phrase de Jephté que soutient une marche des basses qui a beaucoup d’expression. Cette cantate a été exécutée par Mlle de Stucklé, MM. Villaret fils et Auguez.
M. Broutin attaque la situation après quelques mesures descriptives d’introduction. L’air de Seïla est mélodique et bien conduit. La marche triomphale est franche et bien venue et le cri de la jeune fille, bien qu’un peu commun, a de l’élan et du rythme et produit de l’effet. Il y a de l’habileté dans le duo entre Seïla et son fiancé Jaïr ; la forme en est ferme, il est bien développé et d’un bon mouvement dramatique. La danse des jeunes Israélites, écrite avec soin et d’un bon coloris, forme une heureuse opposition avec la marche militaire qui la précède ; le retour de cette danse réunie à la marche est ingénieux. L’air de Jephté, d’un bon style, est bien accompagné par les syncopes des violons. Notons encore deux assez bons trios, et surtout les plaintes de Seïla. Il est curieux que les deux concurrents aient tous deux compris ce passage de la même façon. Une grave mélopée rappelle au père ses serments solennels ; une douce cantilène exprime la douleur de la jeune fille. M. Broutin a fait précéder cette mélodie d’une ritournelle de clarinette basse d’un excellent effet.
Mlle Mézeray, de l’Opéra-Comique, MM. Talazac et Lorrain ont exécuté la cantate de M. Broutin avec talent et succès, et le public, en applaudissant l’œuvre du premier grand prix, a confirmé le choix de l’Académie.
H. LAVOIX fils.
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date de publication : 21/10/23