Aller au contenu principal

Phryné / Autour de la pièce / Opinions des journaux

Catégorie(s) :
Éditeur / Journal :
Date de publication :

« PHRYNÉ »
UNE PREMIÈRE REPRÉSENTATION À L’OPÉRA-COMIQUE
Le poème de M. L. Auge de Lassus – La partition de M. Camille Saint-Saëns – L’interprétation et la mise en scène.

M. Saint-Saëns sera sans doute fort étonné d’apprendre que sa Phryné constitue une éclatante revanche de la musique française sur la musique allemande. Nous l’avons entendu dire hier soir, non par le public qui juge plus sainement, mais par certains de nos confrères que hante toujours désagréablement le succès de la Valkyrie

Il est certain que le puissant auteur de Samson et Dalila et du Déluge n’a eu, cette fois, d’autre prétention que d’écrire un charmant opéra comique. Il y a pleinement réussi. La véritable revanche est donc celle que M. Saint-Saëns a prise sur bon nombre de compositeurs français, dont nous attendons en vain, depuis vingt ans, un opéra comique digne de ce nom. Et à ce propos, je félicite M. Carvalho d’être rentré dans la véritable voie du théâtre qu’il dirige et dont il s’est parfois trop écarté. Il n’a pas à le regretter aujourd’hui, puisque Phryné vient de remporter un brillant succès. 

Le livret.

Le sujet de Phryné est des plus simples. Il s’agit naturellement de la célèbre courtisane dont la beauté révolutionna les Béotiens. Un vieux magistrat d’Athènes est pris d’une affection tardive pour Phryné qu’adore précisément son neveu. La courtisane se moque du barbon qu’elle amène à payer les dettes du jeune homme. 

Voilà l’argument, mais je dois à mes lecteurs quelques explications supplémentaires. 

Au premier acte, Athéniens et Athéniennes couronnent gaiement le buste de l’archonte Dicéphile, le vieux et austère magistrat. La joie de Dicéphile serait complète si son chenapan de neveu, le jeune et prodigue Nicias, ne venait lui réclamer de l’argent, sous le fallacieux prétexte de payer ses créanciers. Cet argent, Nicias y a quelque droit, car Dicéphile est son tuteur et détient ses biens. Mais le vieillard reste sourd à toutes les réclamations ; bien plus, il donne l’ordre à deux démarques de fourrer Nicias en prison. Seulement, il arrive que les esclaves de Phryné rossent les démarques, que Nicias, pour se venger de son oncle, coiffe la statue du magistrat d’une outre grotesque, après quoi il se réfugie sous le toit hospitalier de la belle courtisane. 

La fureur de Dicéphile l’y poursuit, et le jeune homme passerait sans doute un fort mauvais quart d’heure, si Phryné ne se chargeait de faire tomber la colère de l’archonte. Dans une scène de savante séduction, elle enflamme son cœur et ses sens. Les choses vont même si loin que la direction de l’Opéra-Comique a été forcée de substituer à Mlle Sybil Sanderson une statue en plâtre représentant la belle Phryné dans le plus simple appareil. 

L’aréopage de l’Opéra-Comique attendait ce moment avec curiosité il a certainement regretté la substitution. 

L’illusion disparue avec la statue, Dicéphile se retrouve en présence de la véritable Phryné. Au moment où il cherche à la saisir dans ses bras, Nicias paraît. 

Honteux et confus, le vieillard, qui craint un scandale public, est forcé de pardonner à son neveu. Nicias rentrera en possession de ses biens. Phryné triomphe. C’est la victoire de la beauté. 

Ce livret ne manque ni d’agrément ni d’esprit. Si la trame en est un peu légère, si les vers en sont parfois un peu. prosaïques, l’action est bien menée quelques situations comiques sont adroitement amenées. Et puis, il y a la musique et, je l’ai dit déjà, elle est charmante. 

La partition.

Peut-être pourrait-on reprocher au compositeur de s’être, par-ci par-là, laissé entrainer à des motifs plus légers encore que le costume de sa Phryné. Son œuvre dégénère, de temps à autre, en opérette mais comment en vouloir au musicien érudit et délicat qui vous présente si merveilleusement ces choses, sous des couleurs si vives, si brillantes, avec une telle richesse d’écriture, d’harmonie et d’instrumentation ! 

Au premier acte, on a surtout applaudi le duo bouffe entre Nicias et Dicéphile. D’un rythme amusant, avec son accompagnement cocasse de bassons, ce morceau est traité de la plus comique façon. C’est un vrai bijou.

Le chœur des jeunes Athéniens venant porter à Phryné des guirlandes de roses, avec ses pénétrantes harmonies, les moqueries de la courtisane, la déclaration d’amour de Nicias, les danses folles autour de la ridicule statue de Dicéphile, sont les principaux morceaux du premier acte. 

Le second acte, qui est à mon avis le meilleur, débute par une jolie mélodie de Nicias avec, au-dessous, un gracieux dessin des violons que nous entendrons plus tard, largement developpé, dans la scène de l’Invocation. 

Le duo entre Nicias et Phryné est d’un gracieux effet, sans grande originalité d’idées, cependant ; je lui préfère l’air de Phryné qui suit :

Un soir, j’errais sur le rivage 

d’un exquis sentiment poétique et dont la phrase principale est reprise en trio par les deux femmes et Nicias.

L’ariette : C’est ici qu’habite Phryné, chantée par Lampito, l’esclave favorite, est d’un tour mélodique aimable. Les couplets de Dicéphyle L’Homme n’est pas sans défauts, sont d’un comique irrésistible, grâce à Fugère, qui les dit avec son esprit habituel. 

Enfin, la grande scène de séduction, ou le compositeur, semblant oublier la règle qu’il s’est imposée, se laisse aller à son tempérament dramatique, est la page principale de la partition c’est aussi la meilleure.

Les artistes.

On assure que M. Saint-Saëns a écrit son œuvre sous les rayons étincelants du soleil d’Alger. Le musicien n’a certes pu rêver à une Phryné plus ensoleillée que Mlle Sybil Sanderson. Elle traverse la pièce comme un astre superbe, resplendissant de beauté, de chaleur et d’attraction. 

Avec ses grands yeux où flambent on ne sait quelles troublantes lueurs, ses cheveux d’or aux mystérieux reflets, sa bouche toute de séduction et de cruelle moquerie, elle évoque merveilleusement l’image de la belle amoureuse qu’ont glorifiée les poètes. 

Mais l’artiste m’en voudrait avec raison de ne parler que de sa beauté, et je m’empresse de constater que c’est avec une rare virtuosité, mêlée à je ne sais quel charme et quelle douceur étranges, que Mlle Sanderson a chanté « l’Invocation » du second acte. 

Dicéphile, c’est Fugère qui a mis dans ce rôle tout ce que son talent a de fin, de varié, d’imprévu. L’excellent artiste a, cette fois encore, enthousiasmé le public, et comme chanteur et comme comédien. Il a trouvé d’inimitables effets comiques dans ses couplets du deuxième acte, el il faut lui entendre dire :

Eurydice est là ?...
Gardez-la !

C’est tout un poème. 

La jolie voix de M. Clément prend chaque jour plus de consistance, plus d’autorité. C’est avec un réel plaisir que, d’un bout de l’ouvrage à l’autre, on a écouté ce jeune ténor qui pourrait bien, prochainement, n’avoir pas de rival à l’Opéra-Comique. 

Mlle Bulh, la voix terriblement incolore, est tout à fait insuffisante dans le rôle, heureusement effacé, de Lampito. Il y avait pourtant quelque parti à tirer de l’ariette du deuxième acte. 

MM. Barnolt et Jean Périer personnifient cocassement les deux démarques et il n’y a que des éloges à adresser à l’orchestre et aux chœurs. 

C’est le costumier de l’Opéra-Comique qui se charge d’attrister ce gai tableau : ses costumes révèlent un art vraiment trop décadent. Ils jurent étrangement dans ces décors très soignés et au milieu de cette mise en scène à laquelle M. Carvalho a apporté tout son goût artistique. On serait presque tenté de regretter que les choristes de l’Opéra-Comique – et Dieu sait si c’est là un rêve d’artiste – ne paraissent pas dans le simple attirail de Phryné.

Georges Street. 

 

AUTOUR DE LA PIÈCE
Théâtre grec – Victor Roger et Saint-Saëns – Le Buhl-dog de Phryné – 1893 et 308 & av. J.-C.

Phryné !... Titre alléchant quand on sait que l’hétaïre la plus fameuse de l’antiquité va être incarnée par la flavescente Mlle Sanderson. Phryné vient un peu tard en saison, mais nul n’ignore que cette belle personne portait volontiers des costumes qu’on peut classer parmi les toilettes d’été. C’est ce qui explique que M. Carvalho n’ait pas craint de faire passer l’ouvrage de MM. de Lassus et Saint-Saëns à la fin de mai. 

On devine, sans avoir consulté ni la sibylle de Cumes ni la Sibyl-Sanderson ni aucune autre somnambule extra-lucide, que Phryné, comme la Belle Hélène, comme Sapho, comme Lysistrata, se passe en Grèce, ce qui rendait l’art d’habiller les personnages essentiellement facile et n’exigeait pas de grands efforts d’imagination. C’était encore trop cependant pour le dessinateur Thomas. Nous n’aurons pas la cruauté d’établir une comparaison quelconque entre les costumes de Phryné et ceux, de Lysistrata, la dernière en date des pièces grecques. 

M. Saint-Saëns rêvait depuis longtemps d’écrire une opérette, et il paraît qu’à l’époque de Joséphine vendue par ses sœurs, les lauriers de M. Victor Roger troublaient le sommeil de l’auteur d’Henri VIII. Sans être une opérette, Phryné ceci n’est pas une critique ne ressemble en rien à Ascanio et à la Danse macabre

Le succès ne s’en est pas moins dessiné dès le premier baisser du rideau. Entendu pendant l’entr’acte :

— Les hétaïres avaient donc le goût des toutous comme nos horizontales ? 

— ?...

— Sans doute, puisque Phryné se promène avec un petit Buhl-dog. 

Si M. Saint-Saëns n’a rencontré hier soir que des éloges, son librettiste, M. de Lassus a suscité bien des colères. On lui en voulait d’avoir triché avec son sujet. 

En vain tous ceux qui ont des lettres, autant qu’un Télémaque-Dupuy, attendaient la comparution de Phryné-Sanderson devant le célèbre tribunal dans le costume classique. 

On n’a offert aux amateurs que la vue d’une statue toute nue. 

À part cette petite déception, les auteurs et le directeur ont gagné leur procès. L’Aréopage de 1893 s’est déclaré satisfait comme celui de l’an 308 av. J.-C, et le nom de K 1 500 a été accueilli par des applaudissements phrynétiques

M. O. 

Opinion des journaux.

De M. L. Kerst, du Petit Journal :

Il n’est même pas besoin de dire, quand il s’agit de M. Saint-Saëns, que la musique en est supérieurement établie, qu’elle s’identifie à merveille avec le sujet proposé, qu’elle a de la vivacité d’esprit, des grâces non douteuses et de fort intéressants détails d’orchestre il est plus utile d’ajouter qu’elle a fait grand plaisir, qu’on a savouré le badinage, et dégusté, aussi, les pages d’une beauté plus essentielle. 

De M. E. Pessard, de l’Événement : 

Non, l’école française, l’école de la clarté et de la finesse dans l’orchestration, de la franchise dans les rythmes, de l’esprit dans les mélodies et du bon sens théâtral, n’a rien craindre du contact des œuvres de Wagner ; la preuve en est dans l’éclatant succès qu’a obtenu, au lendemain de la première de la Valkyrie, l’opéra-comique adorable de Camille Saint-Saëns. 

De M. Fourcade, du Gaulois 

Croyez-moi, cette œuvre sans pompe fait oublier bien des œuvres pompeuses. Elle ne prétend rien résoudre elle ne veut être qu’un intermède gracieux, coquet déluré, d’une inégalité plaisante, où le grand talent d’un maître se joue, comme à l’étourdie, dans les petites choses. Et le public a raison d’applaudir. 

De M. Biguet, du Radical :

Phryné a été très applaudie et très goûtée des dilettantes il convient d’ajouter que l’excellent Fugère a largement contribué au succès, en interprétant le personnage de Dicéphile à la perfection.

De Dom Blasius, de l’Intransigeant :

Le maître n’a jamais compté avec ses admirateurs, qui seront, cette fois, nous l’espérons bien, le public tout entier. Il est temps que le nom de l’un de nos plus grands musiciens devienne enfin populaire.

De M. C. Darcours, du Figaro :

Sujet piquant, partition délicieuse, artistes aimables, tel est le bilan du spectacle d’hier. Il faudrait avoir vraiment l’esprit morose pour ne pas s’y être agréablement récréé. 

De M. A. Goullet, du Soleil 

C’est un joli badinage d’opéra-comique, célébrant les jeux et les ris les plus innocents, toujours fin et spirituel et d’une exquise tenue, œuvre d’un musicien expert entre tous. 

Personnes en lien

Compositeur

Georges STREET

(1854 - 1908)

Librettiste

Maurice ORDONNEAU

(1854 - 1916)

Compositeur, Organiste, Pianiste, Journaliste

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Œuvres en lien

Phryné

Camille SAINT-SAËNS

/

Lucien AUGÉ DE LASSUS

Permalien

https://www.bruzanemediabase.com/node/14951

date de publication : 05/10/23