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Une grande première à Monte-Carlo. Roma

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Une grande première à Monte-Carlo
(De notre envoyé spécial)
« Roma », opéra tragique en cinq actes, de M. Henri Cain, d’après « Rome vaincue », d’Alexandre Parodi, musique de M. Massenet.

Comment juger tout sainement une œuvre, lorsque, quittant Paris, ses turbulences et ses ciels complexes, on se trouve brusquement au bord de l’azur liquide qu’est la Méditerranée, baigné dans l’azur fluide qu’est Monte-Carlo ? Pour moi, tout enveloppé de ce ciel, tout irradié de cette mer, je sais bien que Roma, la nouvelle œuvre de Massenet, flotte dans mon esprit comme le souvenir d’un immense palmier ondulant au vent tiède, comme le souvenir d’une fête solaire sur la mer bleue, au crépuscule… Étrange état d’esprit pour raconter une œuvre, ses splendeurs et ses défaillances, et plus simplement sa substance, livret, musique, jeu des interprètes ? Le livret est fort adroitement tiré par M. Henri Cain, de la célèbre Rome vaincue, d’Alexandre Parodi. Cette Rome vaincue-là, doit beaucoup de sa célébrité à ce qu’elle fut créée naguère par Sarah Bernhardt et Mounet-Sully… Le sujet en est également célèbre. Il met aux prises l’amour et le Devoir envers la Patrie. Cette sorte de conflit ne va pas sans quelque désuétude, quand ce n’est point un poète de génie qui en écrit… M. Henri Cain en a su cependant fournir au musicien la charpente, les membres d’une belle œuvre lyrique. Quant à l’âme quelque peu boursouflée et bien plate, hélas ! dès qu’une sensibilité un peu aiguë la pique au passage – de la tragédie d’Alexandre Parodi – M. Henri Cain parvint fort bien à donner à M. Massenet des facilités de la vivifier, de la regonfler, de lui réinsuffler quelque chaleur, quelque générosité. M. Massenet est un homme extraordinaire. On ne peut nier son génie, non plus que les multiples aspects par quoi se manifeste ce génie. Mais quoi qu’ait tenté, au cours de son œuvre innombrable, quoi que tente – et pourquoi ne pas le supposer, devant cette production perpétuelle, infatigable, quasiment miraculeuse – quoi que doive tenter l’auteur de Werther et de Manon, c’est toujours, c’est toujours le tendre, le doux, le voluptueux Massenet qui ravit nos suffrages, plus que le Massenet violent, tombant et fracassant. Un air, entre autres, restera parmi les plus précieux et les plus célèbres du compositeur, un air du vrai Massenet – celui que chante Junia au deuxième acte. On pourra aimer moins chèrement et oublier plus vite les motifs, et l’orchestration des grands morceaux des chœurs. Mais quoi ! Un tel sujet, sans tiède intimité, un sujet où l’on sent qu’arbitrairement – ah ! combien – le sort de Rome, ce qui pour l’époque veut dire le sort du Monde — est suspendu aux sens de la jeune Fausta, rendrait malaisée la tâche à quiconque. Que si plus simplement il s’agissait d’amour, M. Massenet nous eût dispensé de belles pages ! Mais la Patrie, mais le destin de l’univers sont là, sont tout le temps là, qui certainement venaient jeter à travers les fluides, les subtiles déités, les déités veloutées, compagnes familières de l’inspiration de Massenet leurs grands frissons farouches, leurs redoutables gesticulations. Et c’est là l’impression que j’ai emportée de la représentation de Roma. Représentation magnifique, au demeurant, tant par le lustre attaché à tout ce qui est de Massenet, que par la somptuosité des décors, la richesse de la mise en scène, le talent des artistes, l’aristocratie du public. S. A. le prince de Monaco occupait une avant-scène avec le Prince héritier, et les deux altesses donnaient aux spectateurs le signal de bravos qui étaient sans cesse prêts à partir d’eux-mêmes. Mme Kousnietzoff, la Vestale, fut à la fois gracieuse et puissante. Mme Guiraudon, l’ingrate Guiraudon, qui, pour notre chagrin, préfère les calmes joies de son foyer aux triomphes de la scène, Mme Guiraudon, Mme Henri Cain, fut toute charmante. Ah ! la délicate et suave artiste ! Et Mme Lucy Arbell ajouta à ses succès passés et présents, un légitime très grand succès nouveau. D’entre les hommes, M. Muratore et M. Delmas furent harmonieux et puissants. M. Noté se fit grandement applaudir dans le rôle de l’esclave gaulois, et M. Clauzure fut un très beau et très digne Pontife. Mais que dire de l’invisible main qui poussait les plus obscurs des figurants, qui animait les cris, les gestes, les lumières même ? Que dire de M. Raoul Gunsbourg, metteur en scène inégalable, et qui répand comme à pleines poignées, sur tout ce qu’il entreprend, les magnificences de sa vision, de sa sensibilité et de son expérience.

Louis Peltier

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date de publication : 31/10/23