Répétition générale. Roma

Répétition générale
Après avoir composé tant d’œuvres séduisantes, M. Massenet donne à l’Opéra une sévère tragédie. C’est « Roma »

Un grand souci de variété, de contraste semble guider en ce moment l’auteur de Werther. An sourire attendri de Don Quichotte succède la sombre gravité de Roma que doit suivre sans retard l’exubérante joie de Panurge. Il ne faut donc pas s’étonner si la nouvelle partition de M. Massenet diffère assez sensiblement des précédentes, si l’on y rencontre moins fréquemment que d’habitude l’ardeur irrésistible, le charme captivant qui, depuis un demi-siècle, font triompher notre plus célèbre musicien. Une sorte d’austère simplicité s’y trouve. Elle a bien son prix, et ceux qui se rappellent la Rome vaincue d’Alexandre Parodi, dont M. Henri Cain a cru bon de tirer un livret, reconnaîtront qu’elle était nécessaire.

Pour les personnes, pas très rares, probablement, qui ont oublié cette pièce, j’en résumerai le sujet. Les Romains, battus par Annibal, attribuent leur malheur à la faute d’une des prêtresses de Vesta. Toutes sont interrogées. Naïvement, l’innocente Junia s’accuse d’abord. Mais elle n’a péché qu’en imagination, dans un rêve où elle a seulement entrevu Eros. La, vraie coupable, c’est Fausta, nièce du sénateur Fabius, qui se trahit dès qu’elle entend annoncer la mort de Lentulus, son amant. On lui a menti : on lui tendait un piège et elle y est tombée. Sur l’ordre stoïque de Fabius, on l’enferme et on la condamne, car, selon la sentence de l’oracle, son châtiment apaisera la colère des dieux, sauvera la patrie. Un esclave gaulois, Vestapor, espérant hâter la chute définitive de Rome, qu’il déteste, favorise son évasion. Elle fuit avec Lentulus et comprend alors l’énormité de son sacrilège. Pleine de remords, elle revient ; elle demande à subir la peine qui libérera les siens, à être enterrée vivante. Elle va descendre au tombeau quand Posthumia, son aïeule, s’approche. Aveugle, celle-ci, en tâtonnant, cherche Fausta, et, abrégeant le supplice, douloureuse, héroïque, farouche, elle poignarde la vestale. Aussitôt des acclamations, des fanfares retentissent, et l’armée romaine apparait, victorieuse.

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J’ai dit la sobriété que M. Massenet s’imposa cette fois. Il laisse soigneusement les voix à découvert et lorsqu’il les accompagne, c’est avec une extrême discrétion, sans jamais les mêler à aucune polyphonie instrumentale. Il leur confie des morceaux de forme précise où elles peuvent se déployer sans encombre. Il écrit une ouverture de proportions et de caractère classiques ; il réserve aux chœurs une partie importante et il les dispose en larges masses sonores. Mais l’homme de théâtre qu’il est n’abdique point complètement sa véhémence ni sa grâce coutumières. Elles se manifestent dans de nombreuses pages amples ou délicales, dont l’effet était certain d’avance et que l’on a vivement applaudies.

L’interprétation de Roma est des plus remarquables. Le généreux, pur, souple et clair soprano de Mlle Kousnezoff donne au rôle de Fausta autant de pénétrante expression que d’éclat dramatique. Sous les traits de la vieille aveugle Posthumia, Mlle Lucy Arbell a de tragiques attitudes et se montre émouvante. Mlle Campredon témoigne d’un fin sentiment dans l’air ingénu de la chaste prêtresse, et Mme Le Senne déclame avec autorité les récits de la grande vestale. En Lentulus, M. Muratore prodigue la richesse inépuisable de ses notes magnifiques ; en Fabius Maximus, M. Delmas a la virile fermeté qui convient. M. Journet est un digne Pontife et M. Noté un vigoureux Vestapor. Les costumes et les décors sont beaux, et l’orchestre, obéissant au geste sûr de M. Paul Vidal, traduit fidèlement la nette pensée du compositeur.

Alfred Bruneau.