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La Musique. Roma

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LA MUSIQUE
OPÉRA. – Roma, opéra tragique en cinq actes, d’après A. Parodi, livret de M. Henri Cain, musique de M. Massenet.

Je ne comprends pas bien le titre de Roma donné par MM. Massenet et Henri Cain à leur ouvrage. Il semble, en effet, que ce titre impliquât une évocation générale de Rome ou un symbole de sa grandeur et de sa décadence. Or, on sait que le très habile et très éloquent livret du nouvel opéra est tiré de la Rome vaincue d’Alexandre Parodi, qui relate l’histoire de la vestale Opimia (Fausta dans l’opéra), coupable d’avoir enfreint son vœu de chasteté et condamnée à être ensevelie vivante, châtiment infligé communément aux vestales qui commettaient ce crime, mais d’autant plus mérité par Fausta que son sacrilège, en indignant les dieux, a provoqué la défaite de l’armée, à Cannes. Un esclave gaulois, par haine pour les Romains, fait évader l’a coupable afin de la soustraire au supplice qui apaisera le ciel et rendra la victoire aux armes romaines. Mais la vestale, dont l’âme de patriote s’est ressaisie, vient d’elle-même se livrer à ses juges et subirait l’horrible mort à laquelle ils l’ont vouée si son aïeule aveugle, la vieille Posthumia, puisant dans son immense amour maternel un affreux courage, ne la poignardait afin de lui épargner le plus abominable des supplices.

Ce drame est puissant, noblement tragique, et, en dépit de son style, qui ne fut jamais, comme on dit, « le fort » de l’auteur d’Ulm le Parricide et de la Reine Juana, Rome vaincue obtint jadis un grand succès, auquel participa largement Mme Sarah Bernhardt, qui, toute jeune, fut sublime dans le rôle de Posthumia. Les années ont passé, les tendances intellectuelles et morales ont changé ; nous sommes moins imprégnés qu’on ne l’était, après la guerre de 1870, de pensers héroïques, civiques, fraternels ; pour tout dire, nous ne sommes plus très « Romains ». Et, pourtant, Roma a obtenu hier un grand, un très grand succès, tant l’art de M. Massenet y a tour à tour déployé de grandeur sobre et imposante, de grâce et de passion.

La Rome antique et pieuse était l’un des très rares aspects de l’histoire et du monde que M. Massenet n’eût point encore évoqués dans son œuvre si prodigieusement variée. Le poète exquis de toutes les divines faiblesses, de la tendresse et de la volupté, a voulu, cette fois, traduire l’amour austère de la patrie, le stoïcisme et la chaste exaltation du devoir. Il y a supérieurement réussi, et certaines pages de Roma ont la netteté sévère d’un paragraphe de Tacite ou de Tite-Live : tel le superbe et lugubre récit de la. mort de Paul-Emile, que M. Muratore a déclamé avec une émotion farouche, les entretiens du souverain pontife avec Fabius, et tout l’acte du Sénat. La plastique musicale de l’œuvre tout entière est également très romaine. M. Massenet est un grand visuel ; on sent que, tandis qu’il écrivait, il avait la mémoire pleine d’images gardées précieusement depuis son séjour à la Villa Médicis ; il en résulte une impression majestueuse et d’une riche simplicité, profondément vraie pour ceux qui ont erré dans le Forum, arpenté la cour du Capitole en méditant sur le divin équilibre de ses proportions ou admiré sur l’Aventin, dans quelque villa en ruine, les vestiges augustes d’une belle peinture fanée. Mais le sujet comportait aussi une grande part de passion. L’on devine que M. Massenet ne s’est pas dérobé à cette exigence de sa tâche. La scène de Fausta et de son amant Lentulus est l’une des plus vibrantes qu’ait jamais composées l’auteur de Manon et de Werther. Mlle Koustnezoff, dont la voix de cristal et d’argent est plus belle que jamais, et M. Muratore l’ont « enlevée » avec une frénésie magnifique. Le charme est délicieusement représenté par l’épisode si touchant de la jeune vestale Junia et par le poétique prélude du troisième acte, d’un calme idyllique et religieux. Quant aux scènes de Posthumia, elles sont d’un profond accent dramatique. Mlle Lucy Arbell les a interprétées de la façon la plus émouvante, avec un mélange de lyrisme et de réalisme qui témoigne chez la jeune cantatrice d’un instinct scénique remarquable. Son succès a été considérable et mérité. Mlle Koustnezoff, dont le jeu énergique et le chant brillant et pur ont fait merveille ; M. Muratore, palpitant et frémissant ; M. Noté, Gaulois à la voix rude et mordante ; Mlle Campredon, qui a soupiré avec une exquise pureté le naïf récit de Junia ; M. Delmas, qui, sous les traits de Fabius, a montré tant de courage dans la douleur et tant de pitié dans la colère ; enfin, M. Journet, solennel et familier à la fois sous la toge du pontife, ont tous mérité et obtenu de vifs applaudissements. L’orchestre, dirigé par M. Vidal avec une autorité que son dévouement envers son maître rendait doublement clairvoyante et chaleureuse, a rendu avec une variété et un ensemble exceptionnels l’instrumentation incomparable qui lui était confiée. Les costumes de M. Pinchon, les décors de MM. Rochette et Landrin, de MM. Bailly et Simas complètent l’éclat d’une représentation digne de ce bel ouvrage et de son illustre auteur.

REYNALDO HAHN.

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Reynaldo HAHN

(1874 - 1947)

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Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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date de publication : 05/10/23