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Les premières. Soirée parisienne. Thaïs

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LES PREMIÈRES
Opéra. — Thaïs, comédie lyrique en trois actes (7 tableaux), d’après le roman de M. Anatole France, prose de M. Louis Gallet, musique de M. Massenet.

En prenant la forme d’une comédie lyrique, le beau livre de M. Anatole France semble avoir perdu quelque peu sa puissance évocatrice, sa fougue sauvage et son ironique mysticisme. Mais il a gagné en tendresse amoureuse, en charme voluptueux. Ce n’est plus la lutte du monde païen et du monde chrétien synthétisée par la rivalité des deux religions, de deux fois contraires : le culte de la forme, de la beauté plastique d’une part, et, d’autre part, l’idée de renoncement, de sacrifice, de mépris de la chair. — Le drame de M. Anatole France a perdu sa portée psychique et sa ferveur hautaine : il n’y a plus, à l’Opéra, qu’une jolie historiette d’amour entre une courtisane lassée de désirs et de plaisirs et un cénobite qui l’aime moins avec son cerveau qu’avec ses sens. — Paphnus, dénommé maintenant Athanaël, n’est plus un apôtre qui veut écraser en la personne d’une courtisane adorée de tous ce culte de la forme et de la volupté qui procède du génie des Grecs et qui demeure à ses yeux comme une injure à l’idéale chasteté du christianisme ; non, c’est tout bonnement un amant brûlé de concupiscences charnelles. Ici il ne s’agit plus de foi, mais de jalousie. S’il veut arracher Thaïs à ses débauches, c’est moins pour la convertir que pour la séparer de ses amants et, s’il la conduit au cloître, c’est pour que son beau corps n’appartienne plus à personne. Et Thaïs se laisse convaincre, bien moins par enthousiasme mystique que par curiosité de blasée ; cet amoureux impétueux et primitif la ravit parce qu’il la change. Voilà tout. Ainsi l’œuvre s’est humanisée, rapetissée à notre mesure et les héros hautains d’Anatole France sont devenus proches parents celle-ci de Manon et celui-là, du diacre Frollo.

Les personnages de M. Massenet ont, avec cela, je ne sais quel modernisme subtil qui leur donne un air très parisien un peu surprenant au désert de la Thébaïde. Mais n’épiloguons point. M. Massenet n’a sacrifié le caractère de Thaïs et d’Athanaël que pour demeurer plus libre en la manière de déployer sa virtuosité mélodique, la légèreté exquise, la tendresse pâmée de sa musique infiniment élégante et câline.

Le drame religieux est devenu une idylle d’amour, mais combien souriante et voluptueuse, combien sensuellement morbide !

Le livret de M. Louis Gallet, écrit en prose rythmée, c’est-à-dire en vers non rimés, se prête aux moindres caprices de l’inspiration musicale et cependant il est charpenté de main de maître avec une incontestable solidité. L’œuvre tout entière s’est tempérée et une langueur vague, caractérisée par la discrétion des voix et des instruments s’est répandue sur tous les sept tableaux.

Voici, en deux mots, la trame de la comédie. Chez Nicias, en la ville maudite, tandis que les hommes devisent frivolement après un festin, entourées de belles femmes très galamment dévêtues, le cénobite Athanaël rencontre Thaïs. Il s’enfuit au désert, mais en emportant avec lui la blessure d’amour. Dans la solitude, les tentations l’assaillent sous les formes légères de danseuses, qui exécutent un petit divertissement assez terne.

Mais Thaïs, dont l’âme de pierre s’est fondue de foi et d’amour à la vue d’Athanaël, a renoncé aux plaisirs et le cénobite la voit maintenant en songe mourant dans un monastère. Il quitte le désert, court à la ville et recueille enfin le dernier soupir de la repentante qui meurt sanctifiée par la pénitence en les bras de celui qu’elle aime.

M. Massenet a écrit sur cette trame légère une musique dont j’ai dit la grâce sensuelle et la délicate mièvrerie. Elle est d’une conviction absolue et d’une clarté singulière. Son style léger sied à ravir aux accents de tendresse qui composent le rôle de Thaïs écrit tout entier avec un soin et une recherche infinis.

Le rôle d’Athanaël est moins bien venu, il manque de puissance : et, visant quand même à la force, il demeure criard et redondant.

On craignait que la voix de Mlle Sybil Sanderson, dont les solides qualités ne sauraient faire oublier le peu de volume, ne se perdit dans l’immense vaisseau de l’Opéra. Il n’en a rien été, grâce au rôle sans doute qui a mis en valeur tous les mérites de la cantatrice, sans lui faire courir d’inutiles dangers. La beauté souvent dévoilée de Mlle Sybil Sanderson a eu aussi sa part au triomphe. M. Delmas est de verbe puissant et de haute allure en Athanaël.

Mme Marcy et Héglon chantent avec beaucoup de charme deux rôles de courtisanes assez court vêtues. Elles y obtinrent toutes deux succès de chanteuses et de jolies femmes.

La comédie lyrique de M. Massenet a été montée avec un luxe inouï de décors et de costumes et il n’est point besoin d’ajouter que l’orchestre conduit par M. Vidal a fait vaillamment son devoir.

Émile Duret-Hostein.

SOIRÉE PARISIENNE
« Thaïs »

La comédie lyrique en trois actes et sept tableaux, représentée hier soir à l’Opéra, a été tirée par M. Gallet de Thaïs, l’admirable livre de M. Anatole France. Ce livre est un pur chef-d’œuvre et il m’a laissé une impression, que la représentation d’hier, peu glorieuse au point de vue artistique, n’a heureusement pu ternir.

Au premier acte, nous sommes en pleine campagne thébaine, dans le désert où vivent les cénobites ; et nous assistons à la petite collation de carême qu’ils font devant leur hutte. Parmi ces cénobites, j’en remarque un, Athanaël, parce que Athanaël, c’est Delmas !...

Mais déjà le voici qui dort, cet excellent Athanaël, il dort du sommeil du juste, et alors lui apparaît en songe — et à nous en réalité — la blonde et divinement belle courtisane d’Alexandrie, Thaïs !...

En un coin du théâtre qui, pour cette floraison soudaine, s’illumine, elle apparaît, n’ayant pour vêtement qu’une mousseline diaphane qui la trahit. Elle danse, morbide et voluptueuse, excitant par ses poses lascives la foule clamante d’un cirque... À la fin, elle se cambre, et, d’un beau geste d’impudeur, elle jette son voile, et s’offre aux regards, immobile et nue comme un grand lys de blancheur perverse.

Ah !.... Messieurs les sénateurs, je vous garantis qu’on ne s’ennuie pas dans la salle à ce moment là !... Et ce n’est rien encore ; nous verrons mieux tout à l’heure, car vous le supposez, ce n’est pas Mlle Sybil Sanderson qui s’est prêtée à cette exhibition plastique.

Vous pensez si cette vision met ce brave Athanaël en émoi ?... En une minute, sa mission sur terre lui apparaît ! il va partir pour Alexandrie, où il essaiera de catéchiser la courtisane et de la ramener à Dieu...

Partons aussi pour Alexandrie...

... Et allons tout droit au palais de Nicias — un vrai palais de féerie, de la terrasse duquel on aperçoit, au lointain, la mer d’azur, toute ensoleillée... Ah ! je vous assure que le maître de céans ne s’embête pas !... (N’est-ce pas, Nicias-Alvarez ?). Le voici, en effet, qui s’avance, vêtu somptueusement et constellé de bijoux à rendre jalouse la belle Otero. Et deux esclaves, très déshabillées, soutiennent sa marche, Myrtale et Albine (Mmes Héglon et Marcy)...

Ce pauvre Athanaël est tout interloqué, quand il arrive, de se voir en robe de bure au milieu de gens aussi bien mis.

Il dit à son ami Nicias la cause de sa venue et Nicias, pris d’une douce hilarité, l’invite à vêtir un vêtement plus élégant pour se présenter à la courtisane !... Il accepte, mais après quelles hésitations ! Songez donc, ce sont des femmes qui vont l’habiller, et quand on n’a pas l’habitude !...

Alors commence — pour se continuer jusqu’à la fin — une véritable tentation de saint Antoine... pardon de saint Delmas !... Il n’y manque que le traditionnel petit cochon...

... Mais je ne vous ai pas encore parlé de Thaïs ? Elle paraît, en effet, pour la première fois, en ce second acte et elle est délicieusement personnifiée par Mlle Sanderson, qui entre en scène, entourée de danseuses, et belle, d’une beauté troublante et magique...

La tentation d’Athanaël continue...

Et elle dure encore, à l’acte suivant, chez Thaïs. O le joli intérieur de courtisane ! Des bibelots, des fleurs, des statuettes... il semble même que des parfums s’envolent vers la salle.

Thaïs paraît et elle chante :

Ah ! je suis bien fatiguée !...

Pourquoi ?... M. Gallet a oublié de nous le dire !...

Athanaël paraît et engage contre la courtisane une belle lutte !... La lutte de la vertu contre le vice !... Athanaël menace Thaïs... et Thaïs tombe à genoux, et ses jambes se découvrent... un peu... beaucoup... trop... tandis que se braquent vers la scène les lorgnettes tremblotantes de MM. les abonnés...

Au tableau suivant nous sommes dans la rue, où Athanaël prend le frais... Et il a bien raison de prendre le frais, Athanaël !... Thaïs, elle, a été touchée par la grâce ; elle renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres. Au loin, l’incendie rougeoie de son palais de pécheresse, où elle vient de mettre le feu...

Nous nous retrouvons ensuite au désert !...

Et la tentation d’Athanaël continue toujours, toujours !...

D’où, un ballet !...

Ce cénobite voit en songe des femmes qui, autour de lui, s’échevèlent en guirlandes folles, en grappes provocantes au milieu desquelles triomphe royalement Rosita Mauri !...

Et, ainsi, pendant un gros quart d’heure, Delmas fait son petit Rossi…

Pour comble, deux nouvelles apparitions de Thaïs se succèdent... Thaïs, en courtisane, et Thaïs mourante au milieu de religieuses ! C’en est trop ! Delmas n’y tient plus, et, prenant ses jambes à son cou, il repart, pour rejoindre la pécheresse convertie...

.... Mais il arrive trop tard et seulement pour voir expirer, en ses bras, la blonde Thaïs, purifiée et déjà sainte...

Henry de Grosse.

Personnes en lien

Compositeur, Pianiste

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

Librettiste

Henry de GORSSE

(1868 - 1936)

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Louis GALLET

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date de publication : 23/09/23