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Les premières. Thaïs

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LES PREMIÈRES
OPÉRA. — Thaïs, comédie lyrique, en cinq actes et sept tableaux, de M. Louis Gallet, musique de M. Massenet.

D’un précieux roman de M. Anatole France — roman dont le mysticisme mi-païen mi-chrétien se pimentait d’une exquise ironie — M. Louis Gallet, pourtant expert en ces sortes de travaux, a extrait un livret d’opéra qui a paru grêle et décousu, dépourvu de couleur comme de véritable intérêt.

La Thaïs de cette « comédie lyrique », c’est un peu Izeyl du drame de MM. Silvestre et Morand. Seulement, c’est au christianisme et non plus au bouddhisme que se convertit cette nouvelle courtisane. Celle-ci n’a pas non plus à affirmer son ardeur de néophyte par le meurtre d’un de ses amants. Mais, sauf cette scène mélodramatique où triomphe Mme Sarah Bernhardt, l’aventure de Thaïs est celle d’Izeyl, et il s’agit à l’Opéra comme à la Renaissance de la pécheresse joyeuse qu’un homme, touché par la grâce et transformé en une sorte de visionnaire inspiré, amène au renoncement et à la mortification.

Nous sommes au quatrième siècle de l’ère chrétienne. Athanaël — le Paphnuce du roman — est devenu le disciple fidèle du Christ. Dans la Thébaïde, il vit et prie en la compagnie des Cénobites. Mais un souvenir profane l’obsède, celui de la belle courtisane Thaïs qu’il aperçut à Alexandrie. Il veut la voir pour essayer d’éveiller la foi en son âme. Il quitté le désert et part pour la ville.

Le deuxième tableau nous conduit à Alexandrie, sur la terrasse de la maison de Nicias. Ce Nicias est un libertin que connut Athanaël aux heures de sa jeunesse. Le religieux parle de Thaïs à Nicias qui se rit de son dessein de vouloir ramener cette fille folle à Dieu. Survient alors Thaïs elle-même dont le premier accueil est pour décourager Athanaël en sa tentative de prosélytisme. « J’irai dans ton palais te porter le salut », lui répond le saint homme. Et Thaïs lui lance un adieu plein de défi : « Ose venir, toi qui braves Vénus ! »

Au tableau suivant nous sommes chez la courtisane, qui chante l’hymne à Aphrodite. Athanaël arrive, qui renouvelle sa mystique entreprise. Il parvient à toucher Thaïs, à réveiller dans son âme des sentiments tout nouveaux. Mais une joyeuse chanson que chante au loin Nicias suffit à emporter sur son aile un zèle si nouveau. « Je reste Thaïs la courtisane ! » s’écrie-t-elle dans un subit revirement.

Mais, au tableau suivant, elle vient trouver Athanaël qui veille à sa porte. Elle veut qu’il l’emmène bien loin, au désert, et qu’il l’arrache à sa vie impure. Elle renonce aux biens du monde, demandant à conserver seulement une statuette d’Eros — car l’amour aussi est une vertu rare. Cette statuette lui vient de Nicias… Et à ce mot Athanaël, dans un transport jaloux, brise la statuette et met le feu au palais de Thaïs. Athanaël et Thaïs partent au milieu des imprécations et des menaces de la foule.

Le cinquième tableau nous ramène à la Thébaïde. Athanaël cherche dans la prière un refuge contre le souvenir de Thaïs, profane vision qui l’obsède. Il s’endort et revoit l’aimée dans son rêve. Ce rêve prend corps à nos yeux et nous assistons au ballet de la « Tentation » que termine l’apparition de Thaïs, tout de blanc vêtue, pâle et mourante. Athanaël s’enfuit éperdu et au dernier tableau, dans le jardin du monastère d’Albine où Thaïs expire, il reçoit l’âme purifiée de la courtisane.

Tel est le fond de ce poème. La forme en est nouvelle ou, pour mieux dire, renouvelée. M. Louis Gallet a eu recours à ce qu’il appelle la « poésie mélique ». C’est tout simplement le vers blanc essayé au siècle dernier, ce vers qui s’interdit l’hiatus et conserve l’hémistiche dans l’alexandrin, pour ne s’affranchir que de la rime.

Cette tentative n’a pas paru très heureuse. Elle est pour confirmer cette opinion, bien simple, que dans un opéra la poésie — avec la rime qui en est une des conventions essentielles — se doivent prêter un mutuel concours et qu’à vouloir trop débarrasser la déclamation lyrique de ses entraves, on risque de lui enlever son caractère et son accent.

Quant à la partition de M. Massenet, elle a sa place marquée parmi les moindres œuvres du maître. L’originalité en a semblé absente et plus d’une réminiscence est apparue.

La partie mystique, qui est la dominante en somme, manque de cette sincérité dont les accents de l’orgue ne sauraient prétendre à nous donner l’illusion. Et nous avons reconnu M. Massenet seulement à quelques phrases de grâce tendre et passionnée qui portent la marque de son inspiration et de sa maîtrise. « C’est Thaïs, l’idole fragile » est, par exemple, une de ces exquises mélodies qui ont conquis le public.

M. Delmas a créé le rôle d’Athanaël avec un art qui achève de le tirer hors de pair. Sa voix est superbe et il n’est guère de chanteurs qui aient à un égal degré la science et l’autorité. Mlle Sibyl Sanderson donner merveille l’impression plastique de son personnage. Elle aussi a une belle voix, mais il lui manque toujours un peu la passion et la flamme. M. Alvarez (Nicias) et Mme Héglon ont été de leur côté justement applaudis.

Il nous reste à noter un beau décor au quatrième tableau et un ballet soi-disant mystique qu’on a trouvé d’un attrait modéré, bien qu’y apparaisse la toujours triomphante Rosita Mauri.

Perdican

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(1842 - 1912)

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date de publication : 02/11/23