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Théâtre Feydeau. La Méprise

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THÉÂTRE FEYDEAU.
Première représentation de la Méprise, opéra comique en un acte.

J’annonce aux amateurs, aux habitués, aux furets de coulisses, une grande nouvelle. On assure que le Théâtre-Feydeau ne tardera pas à éprouver, comme toute la France, les bienfaits de la restauration : on dit qu’une administration, à la fois sévère et juste, fera exécuter des règlements qu’on n’observait plus, sous prétexte qu’ils étaient trop vieux. On prétend que les rhumes de ces Messieurs, et les migraines de ces Dames ne pourront plus revenir aussi souvent, on ajoute que les acteurs qui reçoivent ou rejettent les pièces, ne considéreront plus s’il y a un rôle pour tel ou tel, mais seulement si l’ouvrage a du mérite, et s’il peut (pour parler l’argot théâtral) faire de l’argent ; on répand même le bruit que les nouveautés seront jouées selon leur ordre de réception, sans que la faveur ou la malveillance, puisse avancer ou reculer leur tour ; on dit encore... mais je m’aperçois trop tard que je commets une imprudence : annoncer tout ce qu’on va faire au Théâtre-Feydeau, c’est apprendre, ou du moins c’est rappeler au public tout ce qu’on n’y faisait pas ; c’est accuser les sociétaires de manquer d’égards pour le plus ancien et le plus estimable de leurs auteurs, M. de Marsollier, en ne s’empressant pas de jouer plusieurs ouvrages de lui, reçus depuis Iong-temps ; c’est reprocher à MM. les comédiens d’écarter sans cesse du répertoire les ingénieuses productions de M. Dupaty, tandis qu’ils ne donnent que trop souvent les pièces les plus médiocres ; enfin, c’est signaler les abus nombreux qui frappent, tout le monde, et qui ne peuvent convenir qu’à ceux qui en profitent ; je sens toutes les conséquences qu’on doit tirer de ma nouvelle ; mais j’ai dit : je ne me dédie pas, trop heureux, si j’ai été bien informé, et si le remède est aussi réel que le mal.

Quoi qu’il en soit, les nouveautés se succèdent assez rapidement à ce théâtre, et les acteurs, après avoir élevé leurs prétentions trop haut dans l’opéra d’Alphonse, sont revenus au genre, par la petite pièce de la Méprise. L’auteur a cru devoir prévenir le public qu’il avait pris sa donnée dans une comédie de Fagan ; cette déclaration, qu’on ne peut blâmer, et qu’il ne faut regarder que comme un excès de loyauté, était pourtant inutile : en pareille occasion, tout ce que le spectateur demande, c’est qu’on l’amuse : l’auteur de la Méprisen’a emprunté qu’une idée première ; mais eût-il prie davantage, le succès l’aurait absous. Nous jugeons le plagiat comme les Lacédémoniens jugeaient le vol ; on fait grâce aux fripons en faveur de leur adresse. 

Le plan de la Méprise est net, et facile à saisir. La scène se passe à Plombières, et s’ouvre par un concert d’amateurs : on y remarque ma dame de Ferville, jeune femme qui vient d’amener aux eaux son mari, beaucoup plus âgé qu’elle, et sa belle-sœur, madame de Belcour, veuve de 45 à 50 ans. Valmont, jeune étourdi, charmé des grâces et des talents de madame de Ferville, qui vient de chanter à merveille, demande en vain à tout le monde quelle est cette dame, et s’adresse pour le savoir à Cidalise, coquette, qui est aussi aux eaux et qui a été autrefois quittée par Valmont. Cidalise, par malice, trouve plaisant de lui dire que la dame qui chante si bien s’appelle madame de Belcour. Valmont, toujours plus épris, charge son frère Linval de parler pour lui à cette dame, et de lui demander en son nom son cœur et sa main. Linval va la trouver, et est bien étonné de voir de quelle femme charmante son frère, est amoureux. Cependant, comme il lui a toujours connu un très mauvais goût, il est moins surpris, et fait sa proposition à madame de Belcour, qui la reçoit très bien. De ce premier quiproquo, il en résulte plusieurs autres ; mais tout ne tarde pas à se découvrir : madame de Ferville, qui ne voudrait pas faire jouer un sot rôle à sa belle-sœur, imagine un moyen pour tirer tout le monde d’embarras : elle exige de Valmont qu’il demande toujours madame de Belcour, comme s’il l’aimait ; mais alors elle (madame de Ferville) déclare qu’elle ne peut consentir à ce mariage, parce que Valmont est, lui a-t-on dit, un mauvais sujet, Linval convient qu’en effet son frère est un mauvais sujet, et Valmont lui-même, pour échapper à cette union, avoue qu’il est un mauvais sujet. Madame de Belcour, très affligée, refuse Valmont, qui fait semblant d’être désolé aussi, et la pièce finit sans mariage. 

Il est juste de dire que si le fonds de ce petit acte est emprunté de L’Étourderie, la plupart des scènes, tous les détails et le dénouement appartiennent, à l’auteur moderne. J’ai même fait une remarque assit curieuse : Fagan, dans son ouvrage, a pris pour objet de la Méprise une vieille demoiselle ; d’où il résulte que, pour qu’il y ait une comédie, et qu’on puisse se tromper entre une dame et une demoiselle, il faut que dans tout le cours de la pièce on ne prononce pas une seule fois le mot de Mademoiselle et de Madame, chose tout-à-fait impossible. L’auteur a évité cet écueil en substituant une vieille veuve à une vieille demoiselle. 

Il y a dans la Méprise des couplets sur les eaux : nous citerons le dernier. 

En ces lieux où tout vous attire, 
Plus d’un amusement a cours ; 
Du prochain on y vient médire,
Mais on ne le liait pas toujours : 
Les malades de cette espèce, 
Souvent, dans un doux entretien, 
S’occupent d’amour, de tendresse.... 
Mieux que ceux qui se portent bien. 

Ces couplets, dont l’air est charmant, auraient produit plus d’effet, si M. Gonthier, qui du reste a un talent agréable, y avait mis plus d’expression : on assure que M. Paul, qui s’était d’abord chargé de ce rôle, l’a rendu après plusieurs répétitions : qu’on dise encore qu’Elleviou n’est pas remplacé. 

Madame Duret n’a qu’un air remarquable ; elle l’a chanté comme elle chante. Ce n’est pas sa faute, si le compositeur y a mis trop d’ornements, la vraie richesse est l’ennemie du luxe.

Après la pièce, quelques mécontents ayant voulu se servir de l’instrument fatal, la grande majorité du parterre est montée sur les banquettes, et a demandé les auteurs ; personne ne s’est présenté, et quand on a levé la toile pour le Tableau parlant, le même bruit a recommencé : au reste, les auteurs avaient été annoncés sur l’affiche du matin d’une manière aussi neuve qu’énigmatique. On donnera et soir la Méprise, paroles de M. ***, musique de M. *** Le dialogue est semé de traits piquants. On a trouvé dans les vers chantés quelques négligences et entr’autres celle-ci : 

Je suis aimé ! quelle nouvelle ! 
Je suis aimé ! ciel ! aimé d’elle ! 

Mgr. le duc de Berry a honoré cette représentation de sa présence. On a demandé Vive Henri IV ! Les Français aiment de plus en plus les airs de famille. 

A. D. C.

Personnes en lien

Compositrice

Sophie GAIL

(1775 - 1819)

Œuvres en lien

La Méprise

Sophie GAIL

/

Auguste CREUZÉ DE LESSER

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date de publication : 23/09/23