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Prix de Rome

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CONCOURS DE L’INSTITUT.

Le Gladiateur, tel est le titre de la scène lyrique de M. E. Moreau, que les concurrents pour le prix de Rome ont eu pour mission de traduire musicalement cette année. Voici le sujet en peu de mots : Narbal, fils aîné de Jugurtha, le chef des révoltés Numides, a été vaincu et fait prisonnier par le consul romain Métellus. Après avoir suivi au Capitole le char du triomphateur, il a été enfermé dans une prison attenante au cirque, en attendant le moment de paraître dans l’arène pour y mourir de la mort des gladiateurs. Cependant Fulvie, propre fille de Métellus, subitement éprise de Narbal, pénètre dans le cachot de ce dernier, lui avoue son amour et le supplie de fuir avec elle. Narbal refuse…

            Tu ne boiras pas la coupe d’infamie, s’écrie Fulvie.

            Va ! (répond Narbal) tu seras témoin, j’en atteste le ciel !

            J’aurai tes yeux couleur de ciel

            Pour y plonger mes yeux mourants, fidèle amie !

À la fin de cette scène d’amour, apparaît soudain Métellus ; le consul romain, après avoir préalablement maudit sa fille, s’apprête à jouir de sa vengeance.

            Viens Narbal, (dit-il,) tes vainqueurs n’ont que trop attendu

            Viens !

                                   Narbal.

            Allons !

                                   Fulvie.

            Arrêtez ! (à Narbal)

            De la honte voulue, je prétends te sauver

                        (elle lui tend un flacon.)

            Prends et bois.

                                   Narbal.

            Du poison !

Le dénouement se devine. Narbal s’empoisonne, Fulvie saisissant à son tour le flacon, boit et tombe expirante dans les bras de son amant. C’est, comme on voit, à peu de chose près, la scène finale du cinquième acte de Hernani. Parmi les cinq élèves admis au concours définitif, MM. Vidal, Debussy et René, (ceux-là même que l’Institut a récompensés) ont été heureusement inspirés par le poème dont nous venons de donner l’analyse succincte. M. Vidal, bien que fort jeune, connaît à fond toutes les ressources de son art ; il est de plus doué d’un instinct musical rare et d’une très réelle intelligence. La scène finale de la partition écrite par M. Vidal sur le poème de M. E. Moreau, témoigne notamment, chez son auteur, d’un sentiment poétique singulièrement élevé. Le duo entre Narbal et Fulvie n’est pas moins heureux. Les jolis vers qui suivent :

            Sous ton ciel brûlant, au pays des palmes,

            Le destin nous garde encor des jours calmes ;

            Je veux m’exiler avec toi là-bas,

            Voir l’aube dorée, la tente de toile

            Et le soir fermer les yeux en tes bras,

            À l’heure où l’azur est fleuri d’étoiles.

ont fourni à M. Vidal le prétexte d’écrire une des choses les plus exquises que je sache. En un mot comme en cent, je suis heureux que l’Institut ait pour cette fois (une fois n’est pas coutume) octroyé ses faveurs à un jeune artiste aussi recommandable par son talent que par la vive sympathie qu’il a su inspirer à tous ceux qui le connaissent. Ajoutons que l’interprétation de la cantate de M. Vidal, confiée à Mlle Lureau et à MM. Van Dick et Giraudet, a été parfaite de tous points. M. Debussy, premier second Grand Prix, moins expert que M. Vidal dans la technique de son art, me paraît, en revanche, avoir une personnalité plus originale encore. Il est regrettable que l’Institut n’ait pu disposer, cette année, de deux premiers prix ; la scène de M. Debussy était digne à tous égards de la récompense suprême. Le succès très significatif de M. Debussy, surtout auprès des musiciens qui assistaient samedi à la séance de l’Institut, doit rejaillir sur M. Guiraud, que je soupçonne fort, sous son apparence modeste, d’être tout simplement le meilleur professeur que le Conservatoire ait possédé depuis longtemps. J’ai entendu la scène de M. René, deuxième second Grand Prix, dans de trop mauvaises conditions pour pouvoir porter sur elle un jugement suffisamment motivé. Quant à M. Missa, j’estime que la place de sa musique n’est pas à l’Institut, mais bien plutôt dans les théâtres de genre où M. Missa pourrait remplacer avantageusement les triomphateurs actuels, MM. Lecoq, Planquette, Audran et tutti quanti. La musique de M. Missa est claire, spirituelle et gaie… mais, en toute conscience, insuffisamment dramatique. Somme toute, excellente journée pour MM. Vidal, Debussy et René, ainsi que pour leurs trois professeurs respectifs, MM. Massenet, Guiraud et Léo Delibes.

Personnes en lien

Compositeur

Xavier LEROUX

(1863 - 1919)

Compositeur

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(1863 - 1931)

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(1863 - 1935)

Œuvres en lien

Le Gladiateur

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/

Émile MOREAU

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date de publication : 14/09/23