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Académie des beaux-arts. Séance publique annuelle

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Date de publication :

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.
Séance publique annuelle, le samedi 18 octobre.

[...]

Ainsi que la Gazette musicale l’a dit en temps et lieu, le premier grand prix de composition musicale a été remporté par M. Hue, élève de M. Reber, le second par M. Hillemacher, élève de M. Massenet. Une mention honorable a été accordée à M. Marty. 

Le sujet que les concurrents avaient à traiter était Médée. Certes, bien des fois nous avons plaint les malheureux compositeurs obligés de s’escrimer sur les scènes plus ou moins lyriques qui leur servent de canevas, mais on n’a pas souvent vu le poncif poussé aussi loin, même dans une cantate académique. Médée, jalouse de Jason, empoisonne Créuse, la nouvelle épouse de son infidèle ; Jason, furieux, la poursuit, mais Médée, plus alerte que lui, s’échappe, s’envole dans les airs en riant de sa fureur. Cette histoire n’a rien de bien neuf ni de bien palpitant ; en revanche, l’auteur n’a nullement cherché à relever par la beauté de la forme la vulgarité du fond. 

Je vois sur le programme que ces cent vingt vers ont été payés 500 fr. à M. Grimault et que la somme a été prise sur le prix Deschaumes, fondé en vue d’encourager des jeunes architectes se distinguant par leur aptitude pour leur art et leurs bons sentiments envers leur famille. De bonne foi, les cinq cents francs eussent mieux convenu à MM. Reynaud et Viée, les deux architectes qui ont partagé le prix Deschaumes avec M. Grimault, qu’à l’auteur de la cantate. Voilà un poëte qui du moins n’aura pas le droit de dire que la poésie n’est pas encouragée en France. 

[...]

L’envoi de M. Véronge de la Nux, comme la cantate de M. Hue, présentent ceci de particulier que toute cette musique manque de caractère et d’individualité. Le style est sage, sans éclat, et il ne s’élève pas au-dessus du niveau d’un honnête élève. 

L’ouverture de M. Véronge de la Nux renferme de bons passages, mais l’ensemble est malhabilement composé et laisse voir une certaine incohérence dans le développement et l’enchaînement des idées. Après l’introduction, dans laquelle un solo de trombone rappelle singulièrement certain passage d’Hamlet, l’auteur entre dans le développement de la phrase principale ; la conduite de ce développement rappelle beaucoup trop Mendelssohn. Le retour de la phrase mère, soutenue par les arpèges de violon, est le meilleur passage de cette ouverture, écrite par un pensionnaire de Rome pour obéir au règlement de l’école et non par un artiste désireux de traduire à sa manière une pensée dramatique, descriptive ou pittoresque. 

La cantate de M. Hue était chantée par Mlles Mézeray et Ploux et M. Lorrain. Nous avons dit notre opinion sur le poëme. M. Hue a tiré le meilleur parti possible d’une semblable scène lyrique. Il cherche la justesse de déclamation et la trouve quelquefois, comme dans le premier air de Médée, où la phrase : « Il est donc vrai, Jason me répudie », est empreinte d’une mélancolie profonde ; il y a d’excellents détails expressifs d’orchestre qui rappellent les meilleurs modèles classiques dans le développement de cet arioso, et dans l’invocation où le souvenir de Gluck a certainement poursuivi le compositeur ; la marche nuptiale est élégante et on l’a applaudie avec raison. 

Un duo d’amour de Jason et Créuse renferme de bons passages, sans marquer chez le musicien une bien grande originalité ; cependant ses juges lui ont certainement tenu compte de son intention quelquefois heureuse de bien marquer l’apposition du trouble inconscient de Créuse et de l’amour calme et un peu langoureux de Jason. La phrase de ce dernier : « Apaise ton cœur agité », est instrumentée avec finesse. 

Le meilleur morceau de cette cantate est à notre avis, le trio, qui ne présente rien de très neuf, mais est conduit d’une manière logique et claire. Il manque à toute cette œuvre un peu de jeunesse et de fièvre ; elle est convenable, bien faite, sage, trop sage même. On n’y trouve pas de ces bons défauts qui annoncent le plus souvent d’excellentes qualités.

H. LAVOIX fils.

Personnes en lien

Journaliste

Henri LAVOIX

(1846 - 1897)

Compositeur, Pianiste

Paul VÉRONGE DE LA NUX

(1853 - 1928)

Compositeur

Georges HÜE

(1858 - 1948)

Œuvres en lien

Médée

Georges HÜE

/

Albert GRIMAULT

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date de publication : 21/10/23