Chronique musicale. Fausto
Chronique musicale.
Théâtre-Italien. Fausto, opéra en trois actes. Première représentation.
L’auteur du livret de Fausto a suivi la marche du drame allemand. Je donnerai pourtant l’analyse de l’opéra nouveau, car tout le monde ne connaît pas le Faust de Goethe, et ceux qui l’affectionnent désirent peut-être savoir si les plus belles scènes ont été admises dans le cadre offert au musicien.
Au lever du rideau Fausto, vieux et tourmenté par l’ambition et la misère, désespéré de l’indifférence que ses compatriotes montrent pour ses talens et son prodigieux savoir, veut terminer sa vie et ses infortunes. Le poison est versé dans la coupe, il la porte à ses lèvres ; mais un chœur religieux, chanté dans une église voisine, frappe vivement son esprit et lui fait abandonner ce projet. Une jeune fille, Margarita, vient consulter le docteur et demande les secours de la médecine ou de l’alchimie pour sa tante qui se meurt. Fausto se rend avec d’autant plus d’empressement aux prières de Margarita qu’il n’a pu la voir sans en devenir amoureux. Une nouvelle passion vient agiter son cœur ; mais il est vieux, infirme, pauvre : sa barbe grise est un moyen de séduction sur lequel il n’ose pas trop compter.
Comment faire pour inspirer autant d’amour qu’il en ressent ? Il faut nécessairement avoir recours aux moyens extraordinaires. Le docteur amoureux feuillète son grimoire, ouvre ses livres cabalistiques, et d’une voix ferme et sonore évoque l’esprit de ténèbres. Mefistofele ne se fait point attendre, il arrive à l’instant pour offrir ses services à celui qui l’appelle, et promet d’accomplir tous ses désirs, de se soumettre à ses ordres quels qu’ils puissent être, sous la condition expresse que Fausto lui livrera son âme. Le docteur est épouvanté de cette clause du contrat ; il fait des objections dont Mefistofele triomphe à l’instant en prononçant le nom de Margarita. Le docteur aime encore plus la jeune fille qu’il ne redoute les flammes de l’enfer ; il se décide, s’abandonne au compagnon de Satan, et le suit aux lieux où il voudra bien le conduire.
La scène change et représente l’antre d’une sorcière, il est minuit, les gnomes, les nains aux pieds de chèvre, les esprits, les diables, les magiciens procèdent à leurs mystères et l’on danse une ronde du sabbat autour d’une chaudière flamboyante. C’est à cette société fashionable, à cette vezzosa compagnia, que Melistofele présente son protégé. Fausto frappe de terreur d’abord, est bientôt séduit par l’image de Margarita qu’on lui montre dans un tableau magique. C’en est fait, il veut la posséder à quelque prix que ce soit, et boit hardiment la coupe qui doit lui rendre tous les charmes de la jeunesse. Sa barbe tombe, sa robe disparaît et laisse voir le costume élégant et riche d’un homme à bonnes fortunes, le docteur se réjouit d’une si brillante métamorphose et les sorciers chantent leur victoire. Cette longue scène, dont les détails ont été présentés avec beaucoup d’adresse et de vérité, si l’on peut employer ce mot pour une chose tout-à-fait imaginaire, forme le finale du premier acte.
Au second acte, nous voyons Margarita filant avec ses compagnes et chantant des chansons. Fausto suivi de son horrible aide-de-camp, fait sa déclaration ; son esprit et ses grâces ont bientôt séduit la naïve bachelette, le diable aidant. Mefistofele se poste dans le fond de la scène et son influence funeste agit sur le cœur de Margarita. Un duo plein de grâce, de suavité, d’une expression délicieuse, termine cette scène. Mefistofele veut faire convenablement les choses, il se soumet aux règles de l’étiquette et va demander à la tante Catherine la permission de lui présenter son ami. Catherine est en parfaite santé grâce aux remèdes du docteur : on propose une partie de promenade ; Fausto prend le bras de sa bien-aimée et le diable est assez courageux, assez dévoué aux intérêts de son protégé pour s’emparer de la tante et lui conter fleurette. La partie carrée se rend au jardin public passant devant les spectateurs et disparaissant tour à tour dans les bosquets, fait entendre les fragmens des deux conversations qui se croisent comme les promeneurs. C’est le sujet d’un quatuor très bien dessiné et d’une forme piquante et nouvelle.
Valentino, frère de Margarita, arrive de l’armée. Mefistofele lui apprend que sa tante Catherine est morte, que sa sœur a des liaisons criminelles avec Fausto. Valentino est à peine entré chez Margarita que son infernal conseiller engage le docteur à chanter une romance sous les fenêtres de sa maîtresse. Le soldat sort furieux ; Mefistofele dit à Fausto que c’est un amant, un rival. Fausto met l’épée à la main, attaque Valentino ; le diable détourne le fer de celui-ci qui tombe mortellement blessé. Avant de rendre le dernier soupir, il a nommé sa sœur, et Fausto voit alors toute l’horreur du crime qu’on lui a fait commettre. Mefistofele se rit des remords et de la colère de sa victime. Le désespoir de Margarita pleurant sur le corps de son frère, l’indignation du peuple éclatent à la fin de cet acte qu’ils terminent par un ensemble général.
Au troisième acte, Fausto est retourné dans son laboratoire il a rompu son association avec le diable. Mefistofele arrive et l’instruit des dangers qui menacent Margarita : cette fille dont la raison s’est égarée, accablée par l’excès de ses infortunes, poursuivie par les femmes de son voisinage que ses fautes ont révoltées, est allée à la rivière pour s’y noyer avec son enfant. Le peuple l’en a empêchée en l’arrêtant au moment ou elle allait se précipiter, mais l’enfant était déjà dans l’eau et Margarita traînée devant le tribunal est accusée d’infanticide. Fausto ne peut retenir son courroux et maudit les funestes secours de son compagnon ; celui-ci lui remet le pacte qu’il a signé, le rend libre de le détruire et lui annonça qu’il reviendra bientôt pour connaître le résultat de ses réflexions. Fausto relit avec horreur cet acte abominable, il est sur le point de l’anéantir lorsque le crieur public proclame, dans la rue, le jugement qui condamne Margarita à la peine capitale. Il faut la sauver et Mefistofele seul est capable de l’arracher aux mains du bourreau. Sa résolution est prise, le voilà de nouveau dans les griffes du démon, Mefistofele promet de sauver Margarita, et comme le diable a la clef de toutes les serrures, les deux champions s’introduisent dans le cachot de la jeune fille sans avoir besoin de séduire le geôlier. Margarita a perdu l’esprit et fait connaître ses infortunes à Fausto qu’elle ne reconnaît pas, elle retrouve cependant sa raison un instant, et c’est pour refuser la proposition que son amant lui fait de se sauver, et de le suivre. Fausto s’éloigne désespéré ; Margarita meurt de douleur au moment de leur séparation. Mefistofele, témoin de cette scène affreuse, triomphe et son sourire atroce insulte au désespoir de ses victimes. Fausto ne sort du cachot que pour tomber entre les mains des démons. Une flamme rouge brille à la porte par laquelle il s’est échappé. Un chœur funèbre annonce qu’il est dévoué aux tourmens de l’Enfer. Un chœur d’anges annonce que la bonté divine a fait grâce à Margarita.
On voit que l’auteur du livret a su conserver toutes les belles situations du drame de Goethe et qu’il a fourni au musicien un canevas parfaitement disposé pour la musique. Force dramatique, discours gracieux ou passionnés, sabbat de sorcières, chansons villageoises, chœurs angéliques, cris de désespoir : on trouve tout cela dans Fausto. Voyons comment l’auteur de la musique a tiré parti des moyens qui lui étaient offerts. Cet auteur est une jeune demoiselle, ainsi que je l’ai dit avant-hier ; on ne s’attendait pas à voir traiter par une dame un sujet d’une couleur aussi fortement prononcée et qui réclame toute la virilité du talent. L’entreprise était périlleuse, le succès l’a justifiée.
Bien que l’auteur soit une femme et qu’un journaliste puisse être embarrassé pour mêler quelques traits de critique aux approbations que méritent un talent aussi remarquable, un sentiment dramatique aussi profond, cet article ne sera point un concert d’éloges et je tâcherai de signaler les endroits faibles de l’ouvrage sans déroger aux lois de la galanterie. Cette petite précaution oratoire est d’autant plus nécessaire, que je commence par condamner le premier morceau, l’ouverture. Cette symphonie, où l’on remarque d’ailleurs un groupe d’instruments de cuivre, dont les parties forment un ensemble harmonieux et solennel, marche un peu trop au hasard quand l’orchestre attaque le second mouvement. L’effet est plus bruyant que vigoureux ; il y a du désordre et les idées n’y sont pas enchaînées avec cette logique musicale que l’on aime à rencontrer, même dans les morceaux où le compositeur se livre aux folies de son imagination.
L’air de Fausto qui sert d’introduction à l’opéra, le chœur religieux qui lui succède sont d’un très bon effet. Le trio chanté par le docteur, son valet et Margarita renferme de très jolies idées disposées avec adresse. Le chœur du sabbat, brillant et barbare, est coupé à plusieurs reprises par une phrase de ténor pleine de franchise et de noblesse : ce morceau vigoureux et bien caractérisé a fait une vive sensation sur le public. La chanson du second acte a de la grâce, de la naïveté et un tour fort original. Mais le petit duo chanté par Fausto et Margarita est d’une expression à la fois suave et passionnée et d’une mélodie charmante. Le dernier trait, dit tour à tour en mineur et en majeur, est d’une élégance parfaite : il serait difficile de donner un accent plus vrai, plus tendre à ces paroles : ella mia sarà. Ce duo a été couvert d’applaudissements. Le duo bouffe Vi saluto est bien posé. On a trouvé que ces mots y revenaient trop souvent. C’est la faute du poète : le musicien s’arrange de ce qu’on lui donne et quand les vers sont trop courts ou trop peu nombreux pour sa période, il faut bien qu’il ait recours aux répétitions.
Le quatuor de la promenade m’a paru un peu froid. Des compositeurs d’un grand renom ne sont pas de mon avis. Peut-être la mise en scène sur un théâtre trop étroit nuit-elle a l’effet de ce morceau, il faudrait que les acteurs ne fussent pas obligés d’entrer dans les coulisses pour disparaître et que des bosquets adroitement disposés leur permissent de se séparer, de se dérober à l’œil des spectateurs sans quitter la scène et surtout sans s’arrêter. L’air chanté par Valentino est original sans doute, mais il n’est pas heureusement coupé pour un ténor du genre de Bordogni. La prière de Margarita a été très goûtée par les amateurs.
Le second finale contient quelques endroits remarquables, mais il est inférieur au premier. Le troisième acte est très court ; la grande scène de la prison le termine et cette belle scène a particulièrement inspiré l’auteur de la musique et les acteurs. Le trio dont elle se compose a été dit avec une expression si forte et si déchirante par Donzelli, Santini et Mme Méric-Lalande, que toute l’assemblée en a été saisie.
Ces trois acteurs représentaient Fausto, Mefistofele, Margarita ; ils méritent des éloges pour la manière dont ils se sont acquittés de leurs rôles. Mme Méric-Lalande s’est élevée au sublime du pathétique et sa belle voix s’est déployée avec tous ses avantages dans les situations fortes de la pièce, dans le dernier trio surtout. Donzelli a rendu avec un égal talent les deux parties du rôle de Fausto. Il a joué et chanté avec une rare énergie. Santini est un Mefistofele parfait ; sa taille, sa voix, son jeu, sa physionomie, tout se rapportait au caractère du personnage et son costume vert ajoutait encore à la vérité du portrait. Cet acteur leste, d’une taille élancée, avait beaucoup de ressemblance avec un lézard : il paraît que les diables, en prenant la forme humaine, devaient toujours conserver quelque chose du reptile tentateur. Les costumes, dessinés par M. Duponchel, sont d’un très bon goût et d’une irréprochable fidélité.
Parmi les décors peints par M. Ferri, on a remarqué l’antre de la sorcière et son effet de clair de lune, une place publique avec un lointain dont la perspective est calculée avec beaucoup d’art.
Les effets d’instruments de cuivre sont un peu trop abondants sans doute dans cet opéra, mais la bizarrerie du sujet, l’obligation où l’auteur était de conserver à son Mefistofele la physionomie de ses charmes et son cortège harmonique est la cause de cette abondance.
Les applaudissements qui ont suivi la pièce pendant le cours de la représentation ont éclaté à la fin avec plus de force. On a demandé l’auteur, mais on est venu annoncer qu’il désirait garder l’anonyme. Cet ouvrage entrepris par une jeune personne possédée par l’amour de son art a éprouvé bien des difficultés avant d’arriver sur la scène ; il est fâcheux qu’il y ait paru dans des circonstances où la politique absorbe tout, où Le Messager des Chambres vient offrir ses feuilles encore humides à l’auditeur, qui le lit sur les ritournelles et le continue même pendant les duos et les trios. Dans d’autres temps, un phénomène tel que Fausto aurait fait bien plus d’impression sur le public.
X.X.X.
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Louise BERTIN
/Louise BERTIN
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date de publication : 03/11/23