Aller au contenu principal

Le Timbre d’argent

Catégorie(s) :
Éditeur / Journal :
Date de publication :

La représentation du Timbre d’argent, de M. Saint-Saëns, au Théâtre-Lyrique, répond à l’idée que nous nous en faisions. Succès d’estime et de mise en scène : c’est là tout ce qu’on en peut dire. Quant à la pièce de MM. Jules Barbier et Michel Carré, elle n’est ni meilleure ni plus mauvaise que toutes les inventions de ce genre qui ont pour but de fournir des situations prêtant au développement des qualités du musicien et des machinistes.

Les auteurs du Timbre d’argent ne se sont même pas donné la peine de chercher un point de départ nouveau. Ils l’ont tout simplement emprunté aux Mémoires du diable de Frédéric Soulié. Le diable apparaît à un peintre ambitieux du nom de Conrad et lui fait don d’un timbre magique qui, chaque fois qu’il le frappera, lui procurera l’objet de tous ses désirs ; mais, en même temps qu’il obtiendra à souhait l’or, la gloire, les plaisirs, un de ses parents ou de ses amis les plus chers mourra. Il n’en faut pas davantage pour perdre le malheureux jeune homme qui, brûlant d’un funeste amour pour une danseuse de renom, la Fiametta, use et abuse de son talisman, au point de voir tomber autour de lui tous ceux qu’il aime. Aussi, bientôt tiré de son erreur et de son rêve, car c’en était un, il revient à la réalité et à sa fiancée Hélène qu’il épouse à la satisfaction générale.

Nous avons dit que le Timbre d’argent avait obtenu un succès de mise en scène. Tout l’honneur en revient à l’intelligent directeur du Théâtre-Lyrique, M. Vizentini, qui n’a rien épargné pour faire passer la partition d’un compositeur aussi peu inspiré que l’est M. Saint-Saëns : ballets ingénieux, décors luxuriants, la salle de l’Opéra de Vienne étincelante de lumière, un palais magique, une table de festin se succèdent ici comme dans la plus vulgaire féerie du théâtre du Châtelet.

Pour ce qui est du succès d’estime, il appartient au musicien, et il faut admirer l’étonnement de ceux qui ont découvert quelques bribes d’imagination dans les quatre actes et les huit tableaux de Timbre d’argent. Il eut été bien plus admirable de n’y en point rencontrer du tout. Ce n’est pas, croyez-le, que M. Saint-Saëns boude la mélodie. Oh ! non ; il est bien trop bon musicien, il connaît trop bien ses auteurs pour cela. Mais c’est la mélodie qui paraît le plus souvent rebelle à ses appels désespérés, et quand, par hasard, la bonne fille condescend jusqu’à s’asseoir à ses côtés, il se montre si gauche dans ses avances pour gagner ses faveurs, il l’écrase sous de tels fagots de colifichets, que la pauvrette s’empresse de reprendre son vol vers le ciel de l’harmonie à la recherche d’un maître moins brutal.

M. Victorien Joncières, qui sait pour quel saint il pontifie dans la Liberté, a écrit qu’il y a un tel parti pris contre M Saint-Saëns que si ce musicien s’imaginait de glisser Au clair de la lune au milieu d’une de ses pièces symphoniques, on ne manquerait pas de s’écrier : « Comme cette musique de M. Saint-Saëns est ardue et difficile à comprendre ! » M. Joncières a parfaitement raison, il oublie seulement que les voiles dont M. Saint-Saëns entourerait Au clair de la lune seraient si épais que le public ne reconnaîtrait plus cet air.

Et bien ! il peut se trouver dans le Timbre d’argent des joyaux mélodiques incomparables ; mais le tout est de les trouver. Les détails, en revanche, y abondent et surabondent depuis l’ouverture jusqu’aux airs de ballets. Écoutez par exemple ce pas de l’abeille : entendez-vous ce léger bourdonnement de l’orchestre, ces bruits d’ailes qui s’approchent, s’éloignent, se rapprochent encore. Tout cela est délicieux, mais c’est toujours un effet matériel et rien de plus : un riche vêtement qui couvre un mannequin d’atelier. Rien de nouveau, rien d’ému. M. Saint-Saëns nous paraît appartenir à l’école de Bridoison, « la fo-orme, monsieur, la fo-orme ! »

En résumé, après un certain nombre de soirées peu lucratives pour le Théâtre-Lyrique, cette partition est allée rejoindre, sur les rayons de la bibliothèque du Conservatoire, un nombre considérable d’autres partitions qui, il y a une soixantaine d’années, ont aussi fait un certain bruit dans le monde harmonique sans qu’il en soit resté seulement le souvenir de leur nom.

Delphin Balleyguier.

Personnes en lien

Compositeur, Organiste, Pianiste, Journaliste

Camille SAINT-SAËNS

(1835 - 1921)

Œuvres en lien

Le Timbre d’argent

Camille SAINT-SAËNS

/

Jules BARBIER Michel CARRÉ

Permalien

https://www.bruzanemediabase.com/node/5510

date de publication : 24/09/23