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Les premières à Paris. Ariane

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Les premières à Paris
THÉÂTRE DE L’ODÉON. — Ariane, opéra en cinq actes, de MM. Catulle Mendès et Massenet. 
(Compte rendu du Petit Parisien).

M. Catulle Mendès et M. Massenet sont presque du même âge. L’un est né en mai 1841, l’autre en mai 1842 ; le premier a 65 ans, et le second, 64. L’un s’est affirmé depuis longtemps comme un fervent et beau poète, lyrique ou dramatique ; l’autre, avec MM. Reyer et Saint-Saëns, soutient l’honneur de l’école musicale française. Après s’être longtemps coudoyés, pour ainsi dire, ils se sont unis ; de leur collaboration est née une œuvre capitale, qui a été longuement et chaleureusement applaudie, mercredi soir, à l’Opéra.

Sans doute, il n’est pas besoin de rappeler longuement la légende d’« Ariane ». Fille du roi de Crète, Minos, et de la trop fameuse Pasiphaë, qui s’abandonnait aux ardeurs brutales d’un taureau, Ariane s’éprit du beau Thésée. Le jeune fils du roi d’Athènes était venu en Crète pour délivrer sa patrie du tribut de jeunes hommes et de jeunes filles que l’on offrait au taureau fabuleux, le Minotaure, lequel séjournait dans le labyrinthe construit par Dédale. Ariane donna au jeune héros le fil — le fil d’Ariane — grâce à quoi il sortit du labyrinthe. Thésée emmena sa bienfaitrice, mais il l’abandonna dans l’île de Naxos, d’où elle se précipita dans la mer. Suivant d’autres traditions, les sirènes, après avoir entraîné Ariane dans la mer, la ramenèrent dans l’île : Dionysos (ou Bacchus) ayant abordé à Naxos rencontra sur son chemin Ariane endormie et il la trouva si belle qu’il l’épousa. Pour être complet, il faudrait pénétrer encore le sens mystique de ces légendes : on y découvrirait qu’Ariane était sans doute une personnification de l’éclair, ou de l’aurore, comme Thésée est le soleil qui entre dans la caverne du nuage ou de l’hiver : ces discussions nous entraîneraient trop loin.

De tous temps, la touchante histoire de l’amante abandonnée a fixé l’attention des artistes, poètes et sculpteurs : elle figure sur les fresques ressuscitées de Pompéi et sur les menus objets retrouvés, dont s’entourent les jolies femmes de la Grèce ou de Rome. Les musiciens et les poètes l’ont un peu délaissée, bien qu’elle ait été chantée pour la première fois, au dix-septième siècle, par un compositeur français. Le frère de Pierre Corneille, Thomas, qui n’était pas un auteur dramatique de mince mérite, écrivit une « Ariane », qui est son chef-d’œuvre. Dans l’« Ariane » de Thomas Corneille apparaît Phèdre, la sœur de l’amante abandonnée : et c’est parce qu’il s’est épris de Phèdre que Thésée abandonne Ariane.

La même lutte, le même ressort tragique animent le bel ouvrage de M. Catulle Mendès. Nous voyons, tout d’abord, Thésée sortir vainqueur du labyrinthe : les jeunes gens délivrés l’acclament. Pirithoüs, son ami, qui est un homme sérieux, veut qu’on se rembarque au plus tôt. Thésée demande à la tendre Ariane si elle veut le suivre : c’est son plus cher désir. « Me laisserez-vous seule sur les bords désertés ? » s’écrie Phèdre aux regards ardents. On emmène Phèdre.

Alors la galère vogue vers Athènes, emportant les deux amants, qui se disent de douces choses, tandis que Phèdre s’isole, rêveuse et troublée. Une tempête éclate, qui pousse la galère vers l’île de Naxos.

Dans l’île, le drame se noue et se développe. Thésée délaisse la douce Ariane pour sa sœur passionnée. Ariane surprend les coupables dans les bras l’un de l’autre. Un moment évanouie, elle ne revient à elle que pour maudire sa sœur. Phèdre s’éloigne. Bientôt les serviteurs annoncent que Phèdre, ayant voulu frapper l’image d’Adonis, la statue est tombée sur elle et l’a écrasée : on apporte le corps de la sacrilège. Ariane se désole. Cypris apparaît, qui lui dit : « Le crime était grand, mais mon courroux fut trop sévère. Tu peux aller aux enfers, guidée par mes charités : tu tireras Phèdre de l’infernal séjour. »

Ariane descend aux enfers, comme la fable nous dit que firent Thésée et Pirithoüs ou Orphée. Elle délivre Phèdre.

Rendus l’un à l’autre, les deux amants n’ont rien de plus pressé que de s’embarquer pour Athènes, en laissant Ariane à Naxos. Les sirènes appellent l’amante abandonnée : Ariane, docile à leur voix, disparaît dans le gouffre amer.

On comprend que ce livret, clair, poétique, émouvant, ait séduit M. Massenet.

Le premier acte est parfait. Le compositeur, avec un art consommé, nous montre le caractère des personnages que le drame mettra aux prises ; Ariane, douce et tendre, et que son extrême tendresse semble vouer au malheur ; Thésée, valeureux, ardent, tout de première impulsion, et de premier mouvement ; Phèdre, vibrante et fatale ; Pirithoüs, amical et grave. De la façon la plus heureuse, les instruments se mêlent aux voix, accentuant les sentiments et les états d’âme qu’elles manifestent.

La traversée de la galère s’accomplit sur un développement symphonique, tout de grâce au début, et qui termine dans un déchaînement de tempête.

L’acte de Naxos, le troisième, littérairement et musicalement, est le plus dramatique ; c’est un des beaux actes que l’on puisse entendre sur une scène lyrique. Les reproches de Pirithoüs à Thésée, le chœur des Vierges et les exhortations d’Eunoé la suivante à sa maîtresse, l’explication d’Ariane et de Phèdre, l’entrevue de Phèdre et de Thésée, la mélancolie d’Ariane sera, demain, aussi célèbre que la méditation de Thaïs, toutes ces pages concourent à donner un acte saisissant, d’une beauté classique. Cypris s’attarde un peu dans ses recommandations : que ne restons-nous sur l’impression des plaintes d’Ariane !

On goûtera encore, à l’acte suivant, les regrets de Perséphone, et, au dernier, les touchants adieux d’Ariane à la nef qui s’éloigne.

L’interprétation est à la hauteur de l’ouvrage.

Mlle Bréval déploie, dans le rôle d’Ariane, ses qualités de chanteuse et de tragédienne lyrique. Elle a trouvé des accents d’une émotion pénétrante et elle a largement contribué à l’effet considérable qu’a produit le troisième acte.

Mlle Grandjean, dans le rôle de Phèdre, a dépensé généreusement les amples ressources de sa voix ; elle a eu aussi de beaux élans de passion.

Mlle Lucy Arbell est une poétique Perséphone ; M. Delmas, à la superbe voix, incarne Pirithoüs avec son autorité coutumière ; M. Muratore est un Thésée héroïque.

Tous ont droit à nos éloges comme aux remerciements des auteurs ; le succès a été aussi vif pour les uns que pour les autres.

Related persons

Composer, Pianist

Jules MASSENET

(1842 - 1912)

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Ariane

Jules MASSENET

/

Catulle MENDÈS

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