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Chronique musicale. Roma

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CHRONIQUE MUSICALE
Théâtre national de l’Opéra : Roma, opéra tragique en cinq actes, poème de M. H. Cain (d’après la Rome vaincue, d’A. Parodi), musique de M. Massenet.

Aux temps où M. Massenet fut professeur au Conservatoire (et nul de ses élèves n’a pu oublier quel maître c’était, admirable et vraiment unique), je me souviens qu’il lui arriva, parfois, d’attirer notre attention sur le plaisir singulier qu’on éprouve à traiter un sujet tout différent de ceux auxquels on se donne d’habitude. C’est, pour une nature imaginative, une seconde vie que l’on croit vivre. C’est la plus grande jouissance, peut-être, du musicien de théâtre. C’est l’illusion de sortir de soi-même, d’être un autre… Tout l’œuvre de M. Massenet révèle de constants efforts de s’évader de sa propre personnalité, témoignant d’un sincère et irrésistible besoin de se renouveler, de renaître en de multiples avatars. Roma fut pour lui l’occasion d’essayer de vivre dans ce monde austère et guerrier, si complètement opposé à sa nature. Jamais il n’a joué partie plus difficile ; jamais, d’ailleurs, il n’a joué aussi serré ; jamais il ne s’est montré plus sûr de son intelligence, de son écriture, de son orchestration. Il s’est surveillé avec une discipline toute romaine, et n’a écrit « du Massenet » que lorsque la situation l’exigeait impérieusement. Comparez les récits du grand-prêtre et ceux de Fabius avec tel air d’Hérode ou de Scindia, et voyez avec quelle stricte volonté le musicien a exigé de son inspiration qu’elle fût sévère et classique. Cela est proprement un tour de force, d’une grande hardiesse et d’une extrême habileté.

Et pourtant, il faut bien que je l’avoue, cette conception musicale et théâtrale n’est pas celle qui m’attire le plus. Je préfère, en art, l’instinct au raisonnement. Au risque de paraître illogique, je regrette de ne pas retrouver davantage ici de la vraie personnalité de M. Massenet, comme je regrette toujours d’en entendre trop chez ses imitateurs. Dans tout son œuvre, nul n’a jamais avec plus de charme et de conviction dit cette phrase (que chante aussi Lentulus au 3e acte de Roma) : « Non, tu ne fus pas coupable d’aimer. » Sous cette musique l’amour est toujours excusable (de là vient qu’Athanaël nous semble exagérer l’anathème, et que nous ne jugeons pas le Cid avec des sentiments Cornéliens). Les sénateurs, le grand-prêtre surtout, nous paraissent odieusement et affreusements cruels. Un souffle d’anticléricalisme nous fait haïr le culte de Vesta et la superstition des foules capables d’admettre que la défaite d’Hannibal dépend de la mort de Fausta. Si je ne craignais quelque pédantisme, j’invoquerais le souvenir de Lucrèce…

L’interprétation de Roma est excellente. Mais surtout les décors méritent une mention spéciale ; notamment celui du troisième acte, où les effets pittoresques, bien qu’exquis par eux-mêmes, ne prennent pas la place prépondérante ; l’impression reste celle d’un ensemble harmonieux et noble. Il me semble qu’on n’a rien fait de mieux à l’Opéra ces dernières années, ni même à l’Opéra Comique.

Charles Koechlin.

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