Spectacles. Académie royale de musique. Robert le Diable
SPECTACLES.
Académie royale de musique. Robert le Diable, opéra en cinq actes, poëme de MM. Scribe et Germain Delavigne, musique de M. Meyerbeer, décorations de M. Cicéri, ballets de M. Taglioni.
Enfin voici du nouveau ; ce ne sont plus ces anciens palais, ébranlés par les dernières lueurs d’un quinquet qui s’éteint, ces antiques débris, ces vieilles colonnes qui tremblent au seul attouchement d’une Vénus en papillottes ou d’un amour en escarpins ; ce n’est plus du Gluck abâtardi, du Mozard [sic] efféminé, ce n’est pas même du Rossini ; ce n’est plus un héros criant son amour en la mi la, une princesse s’époumonant à rendre le dernier soupir, une bergère se mirant dans une fontaine, ou respirant la fraîcheur du matin à l’ombre d’un chêne d’huile et de toile ; c’est autre chose ; écoutez d’abord :
Vous avez ouï, dans votre jeunesse, l’histoire merveilleuse de Robert-de-Diable, de ce fameux duc de Normandie, qui, après avoir perdu ses états, courut le monde, espèce de Joconde armé de pied en cap, usant de tous les moyens pour apaiser les mères, séduire les filles, écarter les jaloux. Vous connaissez déjà ce Robert ; il doit vous souvenir de l’avoir vu jadis aux boulevards. Pourtant, à l’Opéra ce n’est plus tout-à-fait le même ; il a grandi en s’élevant, il a su s’acclimater aux lieux et aux temps ; vous allez voir :
Un moment, cependant, n’attendez point que je vous dise tout ; ce serait trop long ; et puis est-il bien nécessaire de tout savoir, de tout comprendre à l’Opéra ? Non sans doute ; il n’y aurait plus de plaisir, il n’y aurait plus de surprise. Sachez donc seulement ce qui suit et allez apprendre le reste dans la rue Lepelletier ; vous irez, j’en suis sûr.
C’est d’abord un assez mauvais garnement que ce Robert. Chassé de Normandie, il exploite, à la tête d’une bande de chevaliers, la riche et volcanique Sicile ; un pauvre hère se permet-il innocemment de parler de lui en termes peu courtois ? il sera pendu ; une jeune fille, au moment de se marier accourt-elle pour implorer la grâce de son fiancé, elle sera livrée à la discrétion des compagnons de Robert. Fort heureusement pour elle, la jeune fille se trouve être précisément la sœur de lait du chef de tant d’honnêtes gens ; sans cela son affaire était faite, aussi bien que celle de son prétendu. Après cette bonne œuvre, Robert, inquiet, fatigué, tourmenté peut-être du poids d’une bonne action, ne sait plus que faire ; ne sachant plus que faire pour se désennuyer, il joue ; il joue et il perd son argent, ses bijoux, ses chevaux et jusqu’à ses armes. C’est là que l’attendait son ami Bertram. Ce Bertram est un ami d’étrange sorte, d’origine toute diabolique ; le bien lui fait mal et le mal lui fait du bien ; le ciel n’est pas son lot, il n’a de prédilection que pour l’enfer. Il a déjà, d’ailleurs, avec l’enfer, des relations assez intimes, et il ne tarde pas à s’y dévouer tout entier. Son but, désormais, est d’entraîner dans son dévouement le farouche Robert, mais Robert, plus spécialement que tout autre ; vous saurez tout-à-l’heure d’où vient cette préférence.
Ainsi Bertram met tout en œuvre pour séduire Robert : le vin, le jeu, les femmes, rien n’est oublié ; le vin n’a rien fait, le jeu n’a causé que quelques momens passagers d’irritation et de violence ; mais les femmes, les femmes, oh ! c’est autre chose ; Bertram espère bien que son disciple n’échappera pas à leur irrésistible ascendant ; il a là, sous la main, une épreuve toute prête. Il s’agit de la princesse de Palerme ; jeune et belle, elle va épouser le prince de Grenade ; les noces sont sur le point d’être célébrées. Une princesse ! une souveraine belle, jeune, aimable, n’est-ce pas plus qu’il n’en faut pour tenter un chevalier, alors même qu’il ne serait pas ruiné, et qu’il n’aurait pas l’envie de se donner au diable ? Robert se laisse tenter, il fait plus : il se laisse séduire par les charmes de la princesse, qui, de son côté, n’est pas si prompte à la tentation. Ses refus, ses dédains irritent Robert à ce point qu’il n’est rien dont il ne soit capable pour arriver à ses fins. Bertram, le diabolique Bertram, ne manque pas de profiter de l’occasion ; il dit à Robert : non loin de Palerme il existe un vieux monastère abandonné ; dès long-temps il est devenu l’asyle des morts ; pour y pénétrer vivant il faut un grand courage, une grande résolution ; vas-y ; empare-toi du rameau vert qui décore la tombe de Sainte-Rosalie patronne de ta mère, et, dès-lors, la souveraine puissance et l’immortalité t’appartiennent, la princesse de Palerme est à toi. Robert frémit, hésite d’abord ; mais la souveraine puissance, l’immortalité, la princesse de Palerme... il part.
Le voilà donc au milieu de vastes ruines peuplées de tombeaux. À peine y a-t-il pénétré que ces ruines se transforment en une sorte d’Élysée où se trouvent mêlés et confondus les dieux du Tasse et ceux d’Homère ; les tombes s’ouvrent, les marbres s’animent, les ombres errantes des jeunes nonnes reprennent leurs dépouilles mortelles, ou plutôt elles empruntent à l’Olympe, pour s’en revêtir, les formes et les attraits des nymphes et des sylphides. Entouré de tant de charmes, les dernières hésitations de Robert s’évanouissent ; son imagination est en délire ; il n’est plus maître de ses sens ; rien ne saurait le retenir : il s’abandonne à la profanation et s’empare du rameau vert.
Muni de ce précieux talisman, Robert, on s’en doute, court chez la princesse de Palerme, et, pour arriver plus vite, il pénètre tout d’abord dans sa chambre à coucher ; le rameau suffit à éviter tous les obstacles, il suffit même à mettre la princesse à la discrétion de Robert ; mais ses larmes sont si douces, ses accens sont si purs, ses prières sont-si touchantes, que Robert se laisse attendrir ; il n’abusera pas de la vertu, de l’innocence ; il aime, il adore la princesse ; à ses yeux, il brise le talisman qui le rendait maître de tant d’attraits, et fait ainsi à la beauté le sacrifice de sa puissance et de son immortalité.
Le voilà seul, abandonné, désarmé par un rival, et cherchant à se dérober aux gens de justice qui le poursuivent pour venger ce qu’ils appellent l’outrage fait à la princesse ; il se réfugie dans une église, où vient le rejoindre Bertram, Bertram qui ne lâche pas sa proie, Bertram qui, pour l’entraîner, lui avoue qu’il est son père. C’est le secret de la préférence qu’il accorde à Robert ; le père s’est donné au diable, il veut que son fils partage sa destinée. C’est alors que se livre dans l’âme de Robert, avec plus de violence que jamais, ce combat perpétuel entre le vice et la vertu, entre le bien et le mal. D’un côté, son père et ses penchans fortifiés par sa propre origine ; d’un autre côté, le souvenir de sa mère, un acte de sa dernière volonté, qui lui est remis au moment décisif, et enfin la princesse de Palerme, débarrassée de son prince de Grenade, et qui, devenue sensible, l’attend à l’autel ; comment hésiter encore ? Robert n’hésite plus ; Bertram seul est plongé dans l’abîme, et Robert court accepter la main de sa maîtresse.
Voilà tout ce qu’il m’est possible de recueillir aujourd’hui. Vous dire maintenant tout ce qu’il y a de beau, de véritablement neuf dans la musique ; vous parler de tous les morceaux admirables de cette grande composition, d’un chœur infernal qui saisit d’horreur, d’un trio qui enchante et ravit, d’un chœur religieux, avec accompagnement d’orgue, qui inspire presque du recueillement ; essayer de vous peindre toutes les magies produites par le pinceau de Cicéri, qui jamais n’avait été aussi merveilleux ; vous donner une idée même imparfaite de la décoration du troisième acte, qui représente l’intérieur animé du vieux monastère ; de la décoration de la fin, qui offre l’aspect de la cathédrale de Palerme au moment de la bénédiction nuptiale ; vous raconter l’exactitude et la richesse des costumes, le charme des ballets, toutes les pompes du spectacle, sont choses impossibles ; il faut le voir pour le croire. C’est prodigieux ! c’est prodigieux ! Voilà ce que tout le monde répétait hier au soir, et ce qu’on répétera long-temps, car, dans plusieurs mois, il y aura encore foule à l’Opéra pour Robert-le-Diable.
Un mot, avant de finir, sur l’exécution musicale et dramatique : orchestre parfait ; Mme Cinti-Damoreau d’une suavité et d’un goût exquis dans la princesse ; Mlle Dorus, chantant à ravir le rôle de la petite villageoise ; Levasseur, trouvant l’occasion de développer la puissance de sa belle voix et de son talent dans le personnage de Bertram, et enfin Nourrit, qui a une âme brûlante, qui chante comme Rubini et joue comme Talma.
P. S. Quelques accidens de machines, qui heureusement n’ont eu aucun résultat trop fâcheux, ont troublé la première représentation ; Nourrit est tombé dans une trappe, où il pouvait se briser ; il en sera quitte pour le danger, mais il lui faut deux ou trois jours de repos, et la seconde représentation est remise à vendredi.
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publication date : 24/09/23