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Adrien de Méhul

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Depuis d’opéra Anacréon, ce théâtre n’avait point donné de nouveauté, et c’est aux nouveautés seules qu’il peut devoir son éclat.

La première représentation d’Adrien devait par plusieurs motifs attirer beaucoup de monde, premièrement à cause du nom connu de ses auteurs, et en second lieu à cause des contrariétés que sa mise au théâtre, projetée en 1791, avait suscitées, et qui sont, comme on sait, un stimulant très actif pour la curiosité du public.

L’action de ce poème et l’intérêt qui peut en résulter, ne tenant point au nom et au rang des personnages, mais seulement à leur caractère, il paraît que les changements commandés par les circonstances, ou plutôt par l’espèce de respect qu’on doit à l’ombrageuse susceptibilité de quelques têtes ardentes, n’ont aucunement nui à la vraisemblance de la fable, ni à la conduite de l’action.

Adrien, non pas Empereur, mais Général romain, vainqueur de Cosroès, reçoit dans Antioche les honneurs du triomphe. Dans ses nombreux combats contre les Parthes, la fille de Cosroès est devenue sa captive ; or, suivant les us tragiques bien connus, le vainqueur devient bientôt lui-même l’esclave de la beauté dans les fers. Adrien soupirant pour Emirène, oublie tout ensemble et la foi qu’il a jurée à Sabine, et la sévérité des lois romaines qui ne lui permettent pas d’épouser la fille d’un roi. Ce ne sont pas encore là les seuls obstacles à son amour, la princesse aime Pharnace ; et Corsoès, toujours implacable dans sa haine, ne cesse, quoique vaincu, de conspirer contre le vainqueur et de le forcer à reprendre sans cesse les armes. Adrien se trouve ainsi dans la cruelle position ou d’oublier son amour ou de se venger des mépris d’Emirène sur son père et sur le rival qu’elle lui préfère. Mais bientôt, ramené par un retour généreux sur lui-même, par la noble fierté de Sabine, qui s’apprête à la quitter, par les conseils sages et fermes d’un ami ; qui ne fait rougir de sa faiblesse et lui rappelle sa gloire, il pardonne à Corsoès, unit Emirène à Pharnace, rend son cœur à Sabine, et ajoute à l’éclat de ses victoires celle qu’il remporte enfin sur lui-même.

Il faut convenir que ce dénouement, du genre admiratif, peut paraître un peu froid, que le caractère d’Adrien est peut-être trop monotone, qu’il ne paraît avoir ni assez d’emportements dans sa passion pour Emirène, ni assez d’énergie contre des ennemis tels que Pharnace et Cosroès qui conspirent sans cesse contre lui et qui méditent même le complot de l’assassiner ; sa patience à se laisser perpétuellement accuser de tyrannie, et presque insulter par Corsoès, rend son abandon moins intéressant : on ne sait gré d’un sacrifice qu’en raison de ce qu’il coûte, et, si l’auteur l’a bien indiqué, il ne paraît pas l’avoir assez détaillé dans le développement du caractère. Il se pourrait aussi que l’action manquât un peu de clarté dans la contexture de l’intrigue, surtout au second acte : on a de la peine à concevoir l’imbroglio du souterrain. Mais l’auteur a bien racheté ces légers défauts, et par la manière énergique dont il a tracé les caractères de Corsoès et de Sabine ; et par la pompe dont il a revêtu son ouvrage : c’est enfin là le vrai génie de l’opéra ; et l’on doit savoir gré au citoyen Hoffmann d’avoir cherché à le ramener en luttant contre l’invasion du mauvais goût et en rendant enfin à la musique un domaine aliéné depuis longtemps. C’est dans la peinture seule des passions qu’elle peut exercer son génie, et ce n’est par conséquent que dans des actions vraiment dramatiques, et dans des caractères fortement dessinés, qu’elle peut prendre son véritable essor.

Méhul, déjà si avantageusement connu par les beaux opéras de Stratonice et d’Euphrosine, vient de confirmer dans cet ouvrage l’opinion qu’on avait conçue de son grand talent. Il se met avec éclat sur la ligne des Gluck, des Sacchini, des Mozart, et de plus il a cet avantage à nos yeux, que né sur le sol français, il donne à notre nation le droit de ne plus aller chercher des talents musicaux chez les peuples voisins.

Les chœurs sont d’un effet large et neuf tout-à-fois ; les airs de Sabine, ceux de Corsoès, les marches, les airs de ballets offrent des beautés du premier ordre et une variété qui en augmente le charme.

Les décorations sont d’un style flatteur et noble, on remarque au premier acte un combat sur un pont qui s’écroule pendant l’action, à cause de la surcharge ; cet effet, parfaitement rendu ; fait honneur et au décorateur qui l’a préparé, et au machiniste qui en a dirigé l’exécution.

Les ballets du dernier acte sont un peu froids ; ceux du premier sont charmants : les costumes réunissent la richesse à l’élégance, et tout l’ouvrage est mis avec un soin qui rappelle enfin les beaux jours de ce théâtre national ; aussi obtient-il un succès réel et bien mérité.

On sait que cet opéra dont la représentation avait été défendue en 1791, à cause du couronnement d’un Empereur, qui blessait les yeux républicains, mais n’offre aujourd’hui, comme l’a très bien dit le Ministre de l’Intérieur, ni Empereur, ni couronnement, vient néanmoins d’exciter encore quelques réclamations au Conseil des Cinq-Cents. Un républicain énergique qui ne l’a sans doute pas vu représenté, et qui ne l’a jugé que sur l’ancienne édition, s’est permis d’en faire l’objet d’une dénonciation presque sérieuse, et de la dévouer en quelque sorte, en termes peu mesurés, à l’indignation des patriotes. Il eût mieux valu aller soi-même à la représentation, avant de compromettre par une diatribe sans fondement sa véracité et sa justice à la tribune nationale. Il faut espérer que le rapport du Ministre de l’Intérieur et celui du Ministre de la Police, détruiront l’impression fâcheuse qu’on a voulu donner au Conseil sur un ouvrage qui ne mérite aucun reproche d’incivisme, qui ne fournit absolument aucun prétexte à l’allusion la plus légère, et donc l’interruption par l’effet d’un zèle indiscret, causerait à l’Administration, c’est-à-dire au Gouvernement, une perte réelle de plus de 60 mille francs.

L. C.

La Décade philosophique, t. 21, no 26 du 20 prairial an VIII, p. 558-561.

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publication date : 15/09/23