Folies-Dramatiques. L’Œil crevé

FOLIES-DRAMATIQUES
L’Œil crevé, paroles et musique de M. Hervé. […]

Voici ce que l’auteur de l’Œil crevé écrivait à un de nos confrères pour l’engager à assister à la répétition générale :

Vous qui aimiez le gendarme dans le Hussard persécuté, vous le retrouverez dans l’Œil crevé ; seulement au lieu de Livarot il s’appelle Géromé. J’ai changé de fromage, mais c’est toujours Louis XV.

Tout le livret de l’Œil crevé est écrit dans ce ton décousu et insensé qui fait le charme de M. Hervé, car il a une manière à lui, ce M. Hervé, et c’est en cela qu’il se distingue de bien d’autres fous. Les aliénés ordinaires disent généralement tout ce qui leur passe par la tête ; lui, Hervé, l’écrit en prose et en vers. Cela le calme, et quand il a retrouvé sa raison, le compositeur plein de fantaisie, de grâce et d’invention brode sur le livret de l’halluciné une de ces petites partitions dont il a le secret ; car il faut qu’on le sache enfin, ce grand diable d’Hervé est plus qu’un compositeur de café-concert, c’est bel et bien un musicien, et le jour où il aura renoncé à faire composer ses poëmes par l’auteur dramatique qui doit user un certain nombre-de camisoles de force dans son mois, le succès viendra à lui pour ne plus le quitter.

II est tout à fait impossible de raconter l’Œil crevé. M. Hervé lui-même ne pourrait pas vous expliquer son livret qui ressemble à un feu d’artifice trempé par la pluie. Par ci, par là, une fusée, qui n’a pas été mouillée s’élève aux applaudissements de la foule, mais l’ensemble est détruit ; les grandes pièces manquent leur effet ; les soleils et le bouquet qui devaient éblouir le spectateur refusent de partir ; on voit bien l’artificier mettre le feu aux mêches, mais la poudre ne prend pas.

Si, voilà encore une fusée qui s’élève et éclate en voici deux, trois, quatre ; quelques mots heureux, quelques calembours drôles, deux ou trois récits insensés Voilà tout.

Mais si la pièce fatigue parfois, on écoute la musique avec plaisir et souvent avec beaucoup d’intérêt. Mon confrère Tarbé vous eût dit mieux que moi ce qu’il y a de science et de talent dans l’orchestration de M. Hervé. Je me contenterai de vous apprendre que cette légère partition contient quelques morceaux délicieux un final et deux duos qui ont été redemandés par toute la salle et applaudis par toutes les mains. Deux actrices de talent, mesdemoiselles Baron et Berthal, on enlevé le succès du côté des femmes ; du côté des hommes, M. Milher accapare à lui seul les applaudissements c’est lui qui fait le gendarme Géromé, que nous avons déjà vu dans le Hussard persécuté, mais dont la bêtise a fait d’énormes progrès dans les dernières années. C’est une création qui lui sera comptée et appellera sur cet acteur l’attention des directeurs des Variétés et du Palais-Royal. 

[…]

Albert Wolff.