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Première représentation de Maître Péronilla

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Première représentation de Maître Peronilla, opéra-bouffe, musique de M. Jacques Offenbach. 

L’imbroglio la vieille mode dramatique espagnole, qui fait le fond et enroule les incidents de l’opéra bouffon joué au petit théâtre du passage Choiseul, est un cas de bigamie assurément nouveau. Bien que l’attention des spectateurs ait eu quelque peine d’abord à en saisir les fils, la chose peut se raconter pourtant en quelques mots. Manuelâ Léona après avoir épousé le matin, par devant notaire, Don Guardona, qui est laid, qui est sot, qui est ridicule, et qu’elle n’aime point, se marie le soir, dans une chapelle aussi mal éclairée que le nécessite une substitution d’époux, au bel Alvarès, qu’elle aimait et n’avait point cessé d’aimer, mais avec lequel une tante romanesque et folle, éprise elle-même du jouvenceau chanteur et guitariste, avait réussi à la brouiller.

Par quel concours d’événements et quel jeu de sa destinée la fille unique de Maître Peronilla est-elle devenue bigame sans le savoir d’abord, mais non sans le vouloir ensuite, puisque le second mari la réconcilie avec le mariage ? — Dans un cas aussi embrouillé, la malice des auteurs consiste à laisser les spectateurs chercher dans l’obscurité la porte qui doit s’ouvrir sur un dénouement lumineux. Le point difficile est de faire que ce colin-maillard, triomphant de leur patience et tenant en haleine leur gaieté, les intéresse jusqu’au bout.

Les auteurs de Maître Peronilla se sont enveloppés les premiers de l’ombre qu’ils faisaient autour de leur pièce. Il faut chercher leurs noms dans la nuit… — N’achevez pas ! me dira-t-on ; qui sait ? une étincelle peut jaillir d’une syllabe innocente et trahir l’anonyme qui favorise leur modestie ou préserve leur amour-propre.

L’auteur ou les auteurs masqués ont multiplié les nœuds à la ficelle de leur action. Il y a d’abord un certain marquis, parodié sur le Sénateur de Béranger, qui s’est fait l’ami du mari ridicule, pour lui enlever sa femme, le soir même des noces. Viennent également, au second plan, le petit clerc Frimousquino et le vieux sergent Ripardos, cousins l’un et l’autre de la mariée. Ceux-ci s’intéressent tout de bon au second mari, le chanteur Alvarès, et l’introduisent dans la chapelle, à la place de Guardona, qu’ils ont réussi à éloigner, à l’heure de la bénédiction nuptiale, en le faisant chevaucher, sur la grande route, à la recherche du chapelain.

Quant à Maître Peronilla, le héros de l’affiche, les auteurs ont cherché le comique du personnage dans la situation perplexe de l’âne de Buridan, qui ne sait pas s’il doit tourner la tête d’un côté plutôt que de l’autre. Peronilla regrette sa profession d’avocat, et il est fier de s’être enrichi dans le chocolat (ce qui lui a même valu, dès les premières scènes, un petit succès politique sur lequel il comptait un peu, je crois). Bref, notre chocolatier beau parleur, placé entre une fille qu’il marie mal, et le sachant, et dont il ne voudrait point se séparer, et une sœur qu’il est tenté d’envoyer à tous les diables en leur donnant du retour ; interpellé de droite par son gendre n° 1, et de gauche par son fendre n° 2, qui enferment ce trop anxieux beau-père dans le dilemme de Salomon en lui demandant chacun sa moitié, Peronilla, pendant trois actes, va de ci, revient de là, souffle, se buttant à tout et à tous comme fait en ronflant sur sa table hérissée de piquants la toupie allemande. Sa gaieté se donne beaucoup de mal et n’est pas toujours bien récompensée.

En fin de compte il y a double mariage en effet, mais point de bigame, une ruse du petit clerc ayant marié à leur insu, dans le contrat du notaire, deux ridicules faits pour se voir définitivement appareillés : le sot fiancé et la tante romanesque. — C’est un vieux moyen de comédie qu’il n’était pas donné aux auteurs de rajeunir beaucoup. Un assez bon deuxième acte, devenu meilleur par la musique, les a pourtant tirés d’affaire. La scène du tribunal a été jugée trop longue et, le dirai-je ? attristée par la sotte hilarité des juges. Mais peut être faut-il donner le temps à l’avocat Daubray d’égayer son éloquence. C’est un orateur qui a l’oreille de son public. Mais il faut qu’il le tienne éveillé ; c’est le grand point.

Le compositeur, en se faisant nommer seul, a généralement assumé la responsabilité d’une tâche à laquelle se dérobaient ses collaborateurs bien avisés. Le succès décisif de la soirée, celui du second acte, lui revient donc tout entier. M. Offenbach l’a très certainement composé de verve d’un bout à l’autre ; ou s’il l’a écrit, comme on dit, à bâtons rompus, ce qui est possible, ces bâtons-là sont les raies d’une roue qui court à travers l’imbroglio avec une légèreté toute spirituelle. Les couplets à boire, lancés à toute volée, accentués par le chœur bachique, et ramenés avec grâce dans la demi-teinte par le goût de la chanteuse (madame Peschard) sont trouvés et ce qu’il faut appeler dans cet art à part de l’opérette, du bon Offenbach. La popularité attend pour s’en emparer à la sortie du théâtre, ce brindisi que les spectateurs ont vigoureusement applaudi et redemandé au chanteur Alvarès. Les deux parties du finale, — les épisodes du sommeil et de l’évasion des époux et la jolie valse finale de l’arrestation — sont traitées dans le ton de la bonne comédie musicale. Les développements en sont piquants, toujours en situation, et dénotent ce tour vif, aisé et prompt qui est, chez le musicien comme chez l’écrivain, le laisser-aller du talent dans une main légère.

La musique écrite par M. Offenbach, dans le premier et le deuxième acte de sa partition, avec des parties très agréables et improvisées toujours avec le même et gracieux abandon, rentre davantage et même tout à fait dans le genre qui fait réussir l’opérette. C’est une loi imposée à tout musicien par le goût des spectateurs, indifférents jusqu’au mépris sur les formes de l’art, mais impérieusement exigeants et intolérants en ce qui touche à leur droit d’être amusés dans un petit théâtre comme ils veulent l’être, et pas autrement. Si les ailes musicales qui emportent un lazzi heureux sont trop longues et montent trop haut, le pauvre compositeur prendra son parti d’aller au devant de l’humiliation qui l’obligerait à les couper. Son inspiration est un ballon captif dont la corde est dans la main du public, de sorte que pour lui la Muse, attentive aux moindres secousses, doit, non pas s’oublier dans les espaces, mais regarder en bas.

Il faut encore beaucoup, mais beaucoup de talent au musicien qui, se sacrifiant aux dures conditions faites au succès populaire, consent à se baisser sans abaisser son art. Dans cette posture difficile, M. Offenbach a réussi à exécuter dans ses meilleurs ouvrages, de véritables tours de force d’agilité musicale. Il a de l’esprit, et il sait en mettre jusque dans les plus futiles bagatelles. Il a en outre, – dans le petit genre où il gardera toujours sa note originale, — ce que j’appellerai le talent décoratif c’est-à-dire l’art ou le don, en éclairant sa musique des feux de la rampe. de l’échelonner dans une habile perspective théâtrale. Peut-être le compositeur a-t-il le tort relatif de compter sur ces effets d’éclairage et de perspective habilement combinée pour se dispenser du reste, — le reste qui seul m’intéresse, me touche et me ravit exclusivement ; mais quand je voudrais lui voir agrandir ou rajeunir le cadre où il enferme son inspiration, et qu’il préfère rester dans le petit art où il a rencontré de grands succès, nous parlons, lui et moi, une langue différente où il devient bien difficile de nous entendre ; ce sont mes exigences qui sont dans leur tort, et c’est son bon sens qui a raison,— même contre cette partie du public ingrat qui serait tenté de lui imputer à impuissance le travail soutenu de son incroyable fécondité !

Daubray, dans Maître Peronilla, a donné quelques bonnes touches à un portrait qu’il achèvera de peindre aux représentions suivantes. Daubray est un acteur amusant et fin — et pas toujours assez varié. Sa diction comique abuse d’un procédé, qui est le chuchotement. Je vous ai dit avec quelle verve ou quelle grâce, Mme Peschard enlevait ou caressait les phrases de son brindisi. Voilà bien, dans cette opposition du piano au forte les qualités de la chanteuse, — doublées de l’envers d’un défaut grave et fatigant, celui d’élargir démesurément chaque voyelle et chaque son dans l’expression passionnée, de dire par exemple Je t’aî-aî-aî-me ! Le franc et beau soprano de Paola Marié reste au second plan musical dans le rôle du petit clerc, et c’est grand dommage. Dans son personnage de vieille fille inflammable, Mlle Girard abordait avec succès les duègnes chantantes à l’Opéra-Comique — pardon ! sur la petite scène des Bouffes. M. Jolly, le mari ridicule, a dans sa gaieté peu mordante du naturel et de la justesse. Baryton voyageur, M. Troy a abordé aux Bouffes-Parisiens : est-ce un succès ? ou bien n’est-ce qu’un sauvetage ? ni l’un ni l’autre. Le rôle du sergent Ripardos est de ceux qui nagent entre deux eaux et deux emplois en queue des seconds rôles, en tête des comparses. M. Troy a été ce nageur-là. Mlle Humbert épouse deux maris et les enchante : le tour du public viendra probablement, mais il n’est pas venu encore.

Bénédict.

[...]

Les Parisiens savent déjà, par les bruits de la ville et des journaux, que la nouvelle opérette d’Offenbach met en scène un Espagnol, nommé Peronilla, qui se montre très fier d’avoir gagné sa fortune dans la fabrication du chocolat. Ils n’ignorent pas non plus de quels sourires ont été salués les passages où le spectateur, né malin, a pu trouver des allusions à certain millionnaire des environs du Parc Monceau. Voici. la scène et les couplets de Maître Peronilla où l’on s’est le plus diverti :

PERONILLA. — Et s’il me plaît, à moi, de dire que j’ai fait ma fortune dans l’épicerie !... s’il me plaît d’afficher mon ancienne profession ! …

LEONA. Et pourtant tu as été reçu avocat !

PERONILLA. — Oui, j’ai plaidé deux fois.

LEONA. — Le barreau vous aurait conduit à tout !

FRIMOUSQUINO, avec mépris. — Poronilla, marchand de chocolat !...

PERONILLA. — Oui, Peronilla, marchand de chocolat !... et pourquoi rougirais-je d’avoir fabriqué ce produit alimentaire auquel je dois mes revenus, ma liberté, deux maisons à Madrid, et cette délicieuse ville à ses portes !...

COUPLETS

I
Oui, je le dis, et m’en fais gloire,
Ces biens dont vous grise l’éclat,
Comme moi, gardez-en mémoire,
Nous les devons au chocolat !
Vous le nieriez en vain, madame,
Noirs encore de ma réclame,
Sur tous les murs, dans tous les journaux il y a…
Le meilleur chocolat est celui de Peron…
Est celui de Péron… nilla !...

II
J’ai fait du chocolat, et même
J’en ai fait, je le dis moins haut,
Par un ingénieux système
Avec succès, sans cacao !...
À mes clients vendant le nôtre,
À mes repas buvant d’un autre,
Sur tous les murs, dans tous les journaux il y a…
Le meilleur chocolat est celui de Peron…
Est celui de Péron… nilla !...

Nous n’avons rien à ajouter : nos lecteurs ont compris.

Jules Prével.

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(1819 - 1880)

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(1810 - 1886)

Librettist

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(1835 - 1889)

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publication date : 23/06/24