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Chronique des spectacles. Les premières. Passionnément

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CHRONIQUE DES SPECTACLES
LES PREMIÈRES
THÉÂTRE DE LA MICHODIÈRE : Passionnément, comédie musicale en 3 actes de M. Maurice Hennequin ; lyrics de M. Albert Willemetz ; musique de M. André Messager.

Quel joli brin de laurier André Messager vient d’accrocher à la fraîche couronne où figurent la Basoche et Véronique, Isoline et les Petites Michu.

Brin de laurier ou rameau de pampre ? Car c’est, en vérité, une rude satire du régime sec, que Passionnément ; un joyeux plaidoyer en faveur des vins de France ; plus particulièrement de ce lui qui se recueille entre le Tardenois et le Rémois, entre Épernay et Reims — terre aimée des dieux, — vin réputé entre tous pour l’esprit qu’il donne aux garçons comme aux filles.

Combien le musicien a bien su prouver que la musique se suffit à elle-même et peut se passer de mille choses, fût-ce d’une pièce faite à sa mesure, d’une pièce où personnages et situations attendent sa venue, de même qu’un joli visage attend la poudre et le fard qui en aviveront l’éclat.

Ici, le joli visage, c’est la musique qui en dessine les traits ; on serait même tenté de dire qu’elle est à la fois le visage, la poudre et le fard, si d’aussi jeunes charmes avaient besoin de se parer d’artifices.

*

Comme dans la manière des grands artistes, il y a deux époques dans la carrière de William Stevenson, citoyen américain, milliardaire et propriétaire, à la fois, du yacht Arabella, de vastes territoires dans le Colorado et de Ketty, sa femme.

Les « procédés » d’ayant Deauville et ceux d’après.

Avant et après la première — les trois premières — bouteille de Champagne.

Dans l’une, Stevenson est « sec » ; ne songe qu’aux affaires, rudoie son personnel, Harris et Julia, capitaine et camériste, tient en mince estime les Français, oblige sa femme a se coiffer d’une perruque blanche, à chausser des lunettes bleues, et se montre fermement décidé à « rouler » Robert Perceval, en obtenant de sa candeur la cession — pour une obole — de terrains qu’il a hérites, précisément dans le Colorado, d’un grand-oncle, et dont il ignore qu’ils sont magnifiquement pétrolifères.

Dans l’autre, il naît, en titubant quelque peu, à la vraie vie. Il joue au naturel la « vérité dans le vin » ; devient bon, généreux, tendre.

Cette petite Julia, qu’il dédaignait de regarder, il s’aperçoit soudain qu’elle est riche de mille attraits ; c’est désormais le seul domaine qu’il « prospectera ».

Ce petit Perceval dont il voulait abuser l’esprit ingénu, il se sent pris pour lui d’une furieuse sympathie. Le contrat qui allait dépouiller la victime, c’est le criminel qui le déchire. Bien mieux, c’est l’ancien voleur qui révèle à l’ancien volé que son terrain vaut plus d’un milliard. Bien mieux encore, il lui donne sa femme.

Comment et pourquoi ?

C’est ce qu’ont rendu plausible M. Maurice Hennequin par son « tour de main », M. Willemetz par son adresse à filer un couplet.

C’est ce qu’explique mieux encore le musicien par le délicieux pouvoir de sa musique.

*

Elle est, cette musique, faite des mêmes attraits que celle des ouvrages dont j’évoquais plus haut les titres. Dès les premières mesures de l’introduction, elle s’installe, elle s’organise dans le style dont elle ne se départira pas : celui des meilleurs musiciens de notre musique légère ; j’entends les maîtres de notre opéra comique et de son adorable passé.

Avec tout le piquant qu’y apporte un esprit moderne, il a des vertus classiques ; l’ordre y règne avec la clarté.

Les motifs qui ornent ces trois actes et les font vivre sont marqués à un coin qu’on reconnaît aussitôt. La mélodie, bien et facilement jaillie, semble courir tout d’abord à ras terre, elle murmure avant que de chanter ; elle se redresse soudain, circule un instant dans l’air qu’elle parfume de son arôme, puis s’infléchit avec grâce, mais alors que nous croyons surprendre sa chute, l’arabesque s’échappe de nouveau, palpite en frôlant un artifice imprévu de l’harmonie et se pose doucement là où nous ne pensions pas la voir retomber.

Le rythme a des grâces égales : il est ferme, net, léger.

C’est l’écriture — si élégante sous la simplicité de ses dehors — qui le fait impondérable en même temps que décidé.

Mélodie et rythme offrent des « dessous » ravissants. C’est merveille que d’être, dans les conjonctures les plus badines, élégant de ton et de forme, de demeurer musicien, et le plus fin, en commentant les propos les plus épicés, de dérober au regard le savoir pour ne laisser briller que la fantaisie, d’être toujours neuf en restant toujours soi-même, de faire redevenir français un rythme syncopé — autre revanche de l’humide sur le sec — de faire circuler, sans la voix, et sans en avoir l’air, de délicieux dessins dans un orchestre ravissant de couleur, de construire d’une plume alerte et sûre d’elle-même des couplets, des duos, des trios, des ensembles où la maîtrise se dissimule sous le masque de l’abandon.

Cette merveille, le musicien de Passionnément nous l’offre à chaque détour de sa partition dans le Trio sur le Régime sec, dans l’air de Julia, sur le « petit oiseau qui vient de France », dans l’air de Robert effeuillant des marguerites, dans le duo-valse, dans chaque page qu’il a parée d’un accent, d’un timbre, d’un motif.

*

Grand succès à la première, où M. Georis qu’on applaudira les autres soirs, avait eu le bon goût de céder à l’auteur sa baguette. Acclamé lorsqu’il est monté au pupitre, André Messager l’a été bien davantage encore au baisser du rideau.

Ses interprètes ont eu leur part dans le chaleureux accueil. Ils sont excellents. L’un d’entre eux est remarquable. On ira voir M. Koval dans Stevenson. Il y est sans cesse surprenant de naturel, de vérité. Sa sobriété rend son jeu, ses gestes, son attitude, son masque plus surprenants encore. On ne saurait être plus comique et plus vrai.

Mlle Saint-Bonnet a bien du charme dans Ketty ; beaucoup de réserve aussi et un air de distinction qui donne du piquant à son personnage. M. Géo Bury incarne avec vraisemblance Robert Perceval. Mme Le Marrois — la folle maîtresse que Robert abandonne pour Ketty — fait apprécier la grâce de Mlle Duller ; et son mari, sous les traits de M. Lorrain, prête, selon l’habitude, au rire. M. Lucien Baroux est un bon capitaine.

Quant à Mlle Denise Grey — la petite bonne — elle est une des joies de la soirée. On ne saurait esquiver avec, plus de drôlerie les difficultés du chant, ni montrer plus d’esprit, d’enjouement et de verve.

La mise ne scène de M. Edmond Roze est vivante au possible. Le Théâtre de la Michodière a donné à cet ouvrage charmant le cadre harmonieux dont il est digne.

Robert Brussel

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