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La Vie parisienne

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N’ayant pas reçu le moindre service pour la Vie Parisienne, il nous est aussi impossible qu’à notre ami Julien Deschamps de rendre compte de la nouvelle pièce du Palais-Royal. A défaut de notre appréciation propre, que nous donnerons dans huit jours, dussions-nous pour cela acheter à prix d’or la complaisance du contrôle, nous emprunterons à M. Francisque Sarcey le compte rendu de la pièce. Tout le monde y gagnera, et les lecteurs du Foyer les premiers.

« Henri Meilhac a un peu de cette sorte d’esprit, qui est fort rare en France. Vous trouverez dans la plupart de ses pièces, même dans les plus raisonnables, un coin d’imagination libre, où il a été en quelque sorte lancé, s’échappant par la tangente d’un mot, d’un détail à peine indiqué ; moins que cela encore, d’un sentiment inexprimé, mais entrevu, à propos de l’idée premières, comme à travers une brume. 

Il a donné dernièrement, dans la Vie Parisienne de Marcelin, sous un pseudonyme, quelques histoires qui, à ce point de vue, étaient fort curieuses à examiner. La réalité s’y échappait sans cesse dans le champ des fantaisies tantôt gracieuses, tantôt burlesques, et l’on ne savait plus où commençait le rêve et finissait la vérité. L’auteur lui-même, qui se jouait en ces imaginations, y était pris, comme un homme aux songes où il se berce, et arrivé au terme d’un de ces contes, qu’il avait écrits avec un grand air de sincérité, il ajoutait en souriant, moitié de sa crédulité, moitié de la vôtre : “Et le seul tort de cette histoire, c’est qu’elle n’a pas un mot de vrai et qu’elle n’a pas le sens commun.”

J’ai vu de lui, dans la Revue française, une petite comédie en un acte et en vers, les Païens, qui n’était ainsi qu’un rêve éveillé, plein d’imagination, de grâce et de caprice. Tournez au grotesque ce procédé, et vous aurez la nouvelle pièce du Palais-Royal.

Toutes ces fantaisies de la Vie parisienne sont insensées, mais à la façon des songes, qui, partant d’une idée première, dévient, aux hasards d’accidents imprévus, vers des visions qui ont avec elles des relations obscures et lointaines. C’est toujours de la logique, il n’y a pas de théâtre sans cela, mais une logique souterraine et inaperçue.

Deux étrangers arrivent à Paris, un Suédois et sa femme. La femme est jolie. Tiens ! tiens ! si je les amenais chez moi, en leur disant que c’est un hôtel, en me proposant pour guide. Voilà le point de départ. Rêvez là-dessus maintenant.

Toutes les visions qui naissent de ce mot d’hôtel vont se présenter à la file. Ils voudront dîner à table d’hôte. Comment leur constituer une table d’hôte ? Vous avez vu votre cordonnier dans la journée ; votre imagination, lancée sur cette voie, peuplera de cordonniers votre table d’hôte, et comme il est impossible de penser à une table d’hôte sans songer au major qui découpe, vous vêtirez votre cordonnier de l’habillement fantasque d’un major de régiment. Ces deux idées de bottes et de grosses moustaches se mêleront incessamment dans des quiproquos que le contraste fera toujours plus grotesques : le major voudra vous prendre mesure de bottes, et le cordonnier vous pourfendra de son épée, etc., etc.

De là votre imagination se portera naturellement sur une fête de nuit à donner à ces nobles étrangers. Vous retrouverez ces mêmes personnages, affublés de costumes nouveaux et bizarres ; il est impossible que vous n’y mêliez pas des cocottes, dont l’image, par une invincible liaison d’idées, se présentera à l’esprit. Toutes les fantaisies deviennent probables alors, même celle de ce célèbre amiral suisse, qui est né avec éperons à ses bottes ! 

C’est ce qui explique comment le quatrième acte n’a pas réussi au premier soir. M. Meilhac s’était, je ne sais comment, avisé de rentrer dans les données de la logique ordinaire du vaudeville. Les personnages s’asseyaient et rendaient compte de leur conduite. Il semblait qu’une vraie pièce commençât. Tout le public s’est senti désappointé, comme un homme à cheval sur les hallucinations du rêve, qui en serait tiré tout à coup par le coup de sonnette matinal du porteur d’eau. Les visions se sont enfuies, au bruit sec et strident de la réalité, le songe s’est évanoui, et le plaisir en même temps.

Ce genre de théâtre a-t-il des règles ? Hélas ! non ; pas plus que les autres, du reste. Il faut une imagination tournée au rêve, et qui ait encore le don de le rendre visible à la scène. M. Meilhac va, comme beaucoup d’artistes, au hasard, cédant à son goût, à ce que Boileau eût appelé son astre, et ne sachant pas trop, souvent, ce qu’il fait. 

On assure qu’il ne comptait pas sur la Vie parisienne. Il est certain que le Palais-Royal, directeur et acteurs, en avaient une peur horrible et déclaraient que la pièce ne passerait pas le troisième acte. Ces erreurs sont communes au théâtre, et elles se comprennent mieux encore dans ces sortes de pièces, qui échappent aux lois de la logique ordinaire, et n’ont d’autres règles que de réussir.

Je me suis étendu avec plus de complaisance sur le livret ; c’est qu’il n’y a rien à dire sur la musique d’Offenbach. Elle est ce que vous l’avez vue dans toute partition. Beaucoup de gens affectent de la traiter avec mépris. Elle amuse pourtant, et ce n’est pas là un petit mérite. N’est-ce donc rien que d’avoir égayé toute une génération, d’avoir fourni des mélodies faciles et agréables à tous les théâtres de genre, des polkas et des valses à tous les bals de l’univers ? Musiquette tant qu’on voudra, cette musiquette est charmante, et il y a dans la Vie parisienne nombre de morceaux qui vont devenir populaires, et qu’on retrouvera cet hiver sur tous les pianos. » 

Alphonse Baralle

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