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Cantates et prix de Rome

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CANTATES ET PRIX DE ROME. 

M. de Lajarte, notre collaborateur, a fait paraître dans le Public, à propos des Cantates et prix de Rome de cette année, un excellent article, qui avait été d’abord destiné à la France Musicale, et que nous sommes heureux de mettre sous les yeux de nos lecteurs. Les deux partitions, qui ont ensemble remporté le prix de Rome viennent d’être exécutées, l’une au Théâtre Lyrique, vendredi dernier ; l’autre, mardi, à l’Opéra Comique. Je dois avouer que le public, appelé à ratifier le jugement, ne s’est pas bien expliqué cette double récompense. Une seule de ces cantates, celle de M. Rabuteau, chantée à l’Opéra Comique, dénote un talent sérieux qui pourra donner plus tard quelques bons résultats. Ce jeune musicien semble avoir déjà l’intuition scénique. Il y a de l’intention dans ses effets d’orchestre ; la coupe de ses morceaux est rationnelle. Il y a en lui le respect de la forme. Quant à son camarade, M. Wintzweiller, il donne, dans son œuvre, un aperçu terrible des ravages que la nouvelle école ténébreuse a pu faire dans les rangs des élèves de composition. Ces échappés du contre-point n’ont même plus, pour désarmer la critique, ce parfum charmant de jeunesse et d’inexpérience que possédaient leurs devanciers, en sortant des loges de l’Institut. On n’aperçoit pas dans leurs partitions une idée suivie, un chant tant soit peu bien venu. Leur harmonie même n’est plus d’aplomb, tant ils craignent la simplicité et le naturel, tant ils se donnent de peines pour qu’on les croie « de savants musiciens. » Voilà tout leur rêve ! Qu’ils sont à plaindre, ces pauvres adolescents ! Ils sont, certes, bien excusables, car ils n’ont eu qu’à se laisser séduire par la mode actuelle ; mais vraiment il est impossible de considérer froidement à quel degré de nullité en est arrivée notre jeune génération musicale, sauf quelques rares exceptions. Je range parmi celles-ci M. Rabuteau, dont je ne connais le nom que depuis ces jours-ci seulement ; il n’y a donc aucun parti pris de ma part et je ne fais que généraliser mon opinion. Il faut avouer une chose : c’est que les cantates ont fait leur temps. Voilà une réforme urgente à opérer. Quand on concourait, que l’on jugeait et exécutait les cantates à l’Institut, elles avaient leur raison d’être. L’auditoire gourmé et cérémonieux qui assistait à la distribution des prix, ne pouvait accueillir que froidement l’œuvre couronnée par le docte aréopage. Les lois de l’étiquette lui en faisaient une obligation. Les mains fraîchement gantées de ce public bien élevé ne pouvaient produire que des applaudissements réservés et décents. Tout le monde se rappelle cette fameuse coupole de l’Institut où l’orchestre et les chanteurs, juchés dans une haute tribune, jetaient de temps en temps quelques bouffées sonores sur les assistants résignés, qui les acceptaient sans mot dire. La cantate servait alors d’entracte aux discours académiques et d’accessoire à l’épanouissement des habits à palmes vertes. Heureusement, tout est changé maintenant. Le jury est choisi par les candidats eux-mêmes sur une liste contenant le nom des compositeurs les plus connus ; ce n’est plus sous « les plombs » de l’Institut, mais bien au Conservatoire que se font le concours d’essai et le concours en loges ; quand le prix a été décerné, c’est sur un théâtre subventionné par l’Etat que la partition doit subir l’épreuve de l’exécution en public. Ici se présente une impossibilité radicale. Le poëme mis au concours est resté dans les mêmes conditions que la cantate de l’Institut. C’est toujours un sujet plus ou moins dépourvu d’action dramatique, suffisamment lyrique, mais toujours fort déplacé devant la rampe d’un théâtre. Figurez-vous, par exemple, la cantate de cette année ayant nom : Daniel. Les personnages sont, en outre du prophète échappé à la fosse aux lions le roi Balthazar et sa femme Adena. Ces trois noms bibliques vous rappellent aussitôt le récit émouvant et terrible de la chute du trône d’Assyrie ; vous voyez briller en trait de feu les fameux mots : Mané, thécel, pharès, au milieu d’une orgie barbare. Le palais s’écroule et les chariots des Mèdes passent bruyamment sur les décombres qui fument. Ah ! vous êtes bien loin de ce qui va paraître après le lever du rideau. Vous apercevez alors deux hommes en habit noir et en cravate blanche, puis une dame en robe blanche ou en robe bleue - la couleur n’y fait rien - un décor fermé et trois fauteuils ; voilà ce qui doit représenter à vos yeux éblouis le festin de Balthazar. Il n’existe pas de chef-d’œuvre qui puisse résister à une pareille mise en scène. Je sais combien le ministère des Beaux-Arts est bien intentionné envers la musique et les musiciens. Il leur a prouvé souvent toute sa sollicitude ; d’abord en enlevant à l’Institut le jugement de la cantate, c’était déjà un grand pas de fait ; ensuite en organisant les trois concours d’opéras. Sûr de sa bienveillance, je me permets de lui soumettre un plan de réforme radical. Avant tout, pourquoi continue t-on d’envoyer à Rome le logiste couronné ? Ce voyage pouvait être nécessaire au commencement de ce siècle, en 1803, à l’époque où l’Institut fut organisé par Napoléon sur les débris de la vieille Académie française. L’Italie était alors le pays musical par excellence. L’élève compositeur n’avait qu’à profiter des leçons qu’il y pouvait prendre. A l’heure présente, la péninsule a perdu son vieux prestige, et ce n’est plus ni à Rome, ni à Florence, ni à Naples, que la musique est dignement fêtée. C’est à Paris surtout et en Allemagne, que l’on peut entendre les meilleures exécutions et avoir les plus profitables enseignements. Les trois ans, que le prix de Rome va passer à la Villa Médicis, ne sont plus utiles à son éducation artistique ; au contraire, c’est un temps perdu pour ses travaux et pour ses relations à Paris. Comme il doit s’attendre, après les quatre années de sa pension, à reprendre la vie besoigneuse du compositeur ; c'est-à-dire les leçons ou une place d’orchestre, ne vaudrait-il pas mieux le laisser, dans son milieu, jouir d’une aisance relative qui puisse lui permettre de penser à son avenir ? Au retour de la ville éternelle, il devrait avoir un acte représenté ; mais cette clause du cahier des charges n’est que rarement observée. Voici onc le moyen que je propose et qui se rattacherait un peu à l’organisation des concours que l’on juge en ce moment. Au lieu d’une cantate informe, donnez un vrai poëme. Que les candidats au concours de Rome présentent, comme par le passé, les conditions sérieuses de savoir et d’études. Chaque année, à tour de rôle, un des trois théâtres subventionnés exécuterait la partition couronnée. Les librettistes devraient alors écrire leur pièce dans le genre du théâtre indiqué, et les meilleurs artistes de la troupe seraient désignés d’office par le ministère. Quand la partition paraîtra devant le public, celui-ci pourra juger sainement l’œuvre du jeune musicien. Si cette œuvre a du succès, elle suivra un cours ordinaire de représentations ; l’on aura ainsi un vrai début dramatique dans d’excellentes conditions, au lieu de cette exécution triste et lourde d’une cantate inepte. Mon projet est très réalisable, et je crois qu’il serait salutaire. Je le livre au courant de la publicité. Puisse-t-il faire son chemin ! 

TH. DE LAJARTE.

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