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Faust de Gounod

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Ce n’est pas d'aujourd'hui que nous admirons le talent de M. Gounod. Chaque fois que ce musicien, d'un rare savoir, a livré une œuvre nouvelle au public, nous l'avons applaudi sincèrement, tout en faisant nos réserves. M. Gounod a vu s'ouvrir devant lui toutes les portes : il a écrit pour la Comédie Française des chœurs superbes, pour l'Opéra deux grandes partitions, Sapho et la Nonne sanglante, pour le Théâtre-Lyrique le Médecin malgré lui pour ; pour les temples, les concerts et les salons, des messes, des chœurs, des romances, des symphonies. Il a touché à tous les genres ; il a eu cette bonne fortune de voir tous les obstacles disparaître devant lui à mesure qu’il marchait, et s’il n’est pas encore arrivé à la grande position qu’il ambitionne, ce n’est la faute de personne.

Qu’avons-nous toujours dit à M. Gounod ? Qu’il portait au théâtre ce qu'il fallait laisser au concert ; qu'il abusait du genre symphonique, et qu'il oubliait trop que lorsqu'on parle à la foule, il faut, avant tout, trouver des accents qui pénètrent le cœur et l'entraînent aux émotions du drame. Les musiciens s'intéressent, à coup sûr, aux brillantes arabesques qui sillonnent l'orchestre ; ils admirent l'imagination du compositeur qui, à force d'habileté et de travail, est parvenu à donner à son style un coloris séduisant et d'une irréprochable pureté ; mais le public, qui n'a point fait des études au Conservatoire, est-il également séduit par toutes ces enluminures ? Si c'est pour ce public que le musicien dramatique travaille, qu'il étudie ses goûts et qu'il laisse un peu de côté ses rêveries intimes, pour trouver les idées, les formes qui lui ouvriront les portes du succès.

Faust est certainement une œuvre des plus remarquables. Il y a là un sentiment de l'art admirable, un goût parfait, une merveilleuse adresse dans le maniement des instruments, une science, en un mot, au-dessus de tout éloge ; mais tout cela ne constitue pas la musique dramatique, c'est-à-dire l'expression vraie et émouvante, qui doit s'appliquer à chaque caractère, à chaque situation.

La pièce est calquée sur la création de Goëthe, sauf la fin qui est de l'invention des auteurs français, et ce n'est pas précisément ce qu'il y a de plus heureux. Les personnages y sont distribués, au point de vue musical, d'une manière intéressante, et, si l'on accepte le sujet, qui nous semble un peu trop philosophique pour les habitués du boulevard du Temple, nous n'avons qu'à louer MM. Carré et Barbier.

S'il fallait détailler tout ce qu'il y a dans cette partition d'effets intéressants, de combinaisons heureuses, la besogne serait trop longue. C'est d'un bout à l'autre une marqueterie charmante, une splendide mosaïque à laquelle, à la vérité, manquent les figures. Hormis deux chœurs pleins d'originalité et fort beaux, et une magnifique scène dans les jardins, entre Faust et Marguerite, tout ce qui se chante est morne, incolore, sans feu ; tout ce que joue l'orchestre est gracieux, poétique, riche de couleurs. Et c'est là, selon nous, l'erreur de M. Gounod ; ce n'est pas dans les voix qu'il a mis l'effet, c'est dans les instruments.

On a bissé les deux chœurs ; ce sont deux pages d'un cachet différent ; l'un affecte le style vieillot, l'autre des allures chevaleresques ; tous les deux sont réussis, et certes il ne viendra à l'idée de personne de reprocher à M. Gounod d'avoir fait deux unissons. Le chœur des soldats est entraînant ; l'idée en est élevée. Il y a dans l'orchestre une superbe sonorité ; ce morceau est digne des plus belles inspirations des maîtres. Le duo de Marguerite et de Faust est très-poétique ; ici le musicien a été à la hauteur de la situation ; il règne dans ce passage un sentiment de tendresse amoureuse vraiment délicieux ; tout jusqu'à l'adieu de Marguerite y est intéressant. L'orchestre y soupire de douces caresses et marie avec une grâce adorable ses suaves harmonies aux voix émues des deux amants. A la bonne heure ! et que nous voudrions que toute la partition de M. Gounod fut à la hauteur de cette inspiration !

Tout ce que chante seule, merveilleusement du reste, Mme Carvalho, n’est point original ; il faut tout le talent de l’artiste pour avoir réussi avec éclat dans un rôle qui est loin d’abonder en mélodies fraîches et riantes. Mme Carvalho a su trouver dans son cœur de femme délaissée des accents qui ont ému l’auditoire.

M. Barbot a appris son rôle en quelques jours ; il faut lui savoir gré d’un pareil tour de force. Il chante dans l'introduction un air qui lui a valu des applaudissements répétés.

M. Ballanqué, qui représente Méphistophélès, est plutôt grotesque qu'amusant. Il a de l'intelligence, une bonne méthode ; mais il ne peut mettre de l'esprit dans un rôle fantastique, où le compositeur a oublié lui-même d'en mettre.

Mlle Faivre et un débutant, M. Raynal, complètent l'ensemble de l'exécution.

Les chœurs et l'orchestre sont irréprochables, et il faut louer M. Deloffre de s'être tiré avec le plus grand honneur de l'interprétation d'un ouvrage aussi difficile et aussi compliqué.

La mise en scène et les décors sont d'une richesse éblouissante. Il n'y a qu'au grand Opéra où l'on puisse montrer au public un aussi merveilleux spectacle. M. Carvalho mérite de plus en plus l'appui du gouvernement. Il aura sa subvention.

L. ESCUDIER.

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Composer

Charles GOUNOD

(1818 - 1893)

Journalist, Editor

Léon ESCUDIER

(1815 - 1881)

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Charles GOUNOD

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Jules BARBIER Michel CARRÉ

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publication date : 21/09/23