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Musique / La Soirée parisienne. Proserpine

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MUSIQUE
Opéra-Comique : Proserpine, drame lyrique en quatre actes de M. Louis Gallet, d’après M. Auguste Vacquerie, musique de M. Camille Saint-Saëns.

Ce n’est point de l’antique Proserpine qu’il s’agit — de cette mélancolique déesse enlevée par Pluton tandis qu’elle cueillait des fleurs, et associée par le dieu sombre à la royauté des enfers. La Proserpine de M. Vacquerie est une courtisane italienne à la façon du seizième siècle, imaginée selon les meilleures données du romantisme. On connaît l’auteur de Tragaldabas, poète d’une originalité laborieuse, grand chercheur de bizarreries sardoniques et sataniques, virtuose en menues antithèses, ennemi juré du « bourgeois ».

Son moindre défaut, c’est la simplicité, encore qu’il revendique souvent les droits du naturel et qu’il enchâsse volontiers en ses vers, d’un travail lyrique, quelque locution d’une trivialité bien voulue et bien apparente. Ceux qui ont lu les scènes de Proserpine dans le volume de M. Vacquerie, Mes premières Années de Paris, ont été surpris, par exemple, de ne pas entendre, à l’Opéra-Comique, le fameux : « Vous m’embêtez, madame !» du bandit Sqarrocca. Qu’ils se rassurent : le trait, supprimé à la représentation, demeure dans la partition gravée et dans le livret imprimé. Mais le genre d’affectation particulier à l’auteur ne se marque pas seulement en une bravade.

Proserpineest une série de variations brillantes sur le vieux thème de la courtisane amoureuse. Je ne connais rien de plus humain et de plus musical en soi que la légende de la dépravée, que l’amour épure, de la réprouvée que l’amour relève et qui succombe sous le poids de son passé. M. Vacquerie, par malheur, se préoccupe de faire saillir ses idées préconçues, non d’exprimer la vie humaine. Les personnages qu’il met en scène sont des truchements incarnés ; il m’est impossible de voir en eux des figures vivantes, agissant en vertu de mobiles propres et conformément à des caractères individuels. Au bref, l’action se meut en plein artifice, plaquée de lyrisme plutôt qu’essentiellement lyrique, tiraillée entre l’influence de Victor Hugo et celle d’Alfred de Musset. Je suis loin de prétendre que l’œuvre n’atteste point, en toutes ses pages, un écrivain très habile et un artiste extrêmement ingénieux ; mais je ne vois point d’affinité rigoureuse entre un tel poème et la musique. Aussi n’éprouvé-je aucun étonnement à trouver froid et sec ce drame lyrique, où il n’y a vraiment de lyrisme que dans les développements littéraires.

[Résumé de l’intrigue]

Je ne veux ni analyser plus longuement ni juger autrement cette pièce paradoxale, qu’il eût mieux valu, selon moi, laisser dans le recueil de M. Vacquerie. C’est là qu’elle fait exactement la figure qui convient à l’auteur à la scène, elle est singulière, décousue et plus agitée que vivante. Un seul tableau y appartient en propre à M. Gallet : c’est le tableau de l’intérieur du couvent. Il n’est pas, assurément, d’une invention fâcheuse au point de vue musical. Mais l’œuvre, en son ensemble, ne me paraît avoir ni la simplicité, ni la franchise des sentiments qui conviennent à la musique. Voyons, au surplus, comment s’en est accommodé M. Saint-Saëns.

Il est évident que sa partition déborde de mérites. M. Saint-Saëns peut compter parmi nos compositeurs les plus éminents. On ne saurait aller plus loin que lui dans la technique de son art, et telle est son ingéniosité qu’il est arrivé à rendre son impersonnalité originale. Car ses idées sont de nature impersonnelle. Ce qui les fait accepter, c’est le développement et la mise en œuvre polyphonique. Au théâtre, néanmoins, les qualités de goût, de mesure et de science, même portées au plus haut degré, ne peuvent suffire. L’émotion vraie est nécessaire. Or, je n’aurai garde d’affirmer qu’il y ait, dans Proserpine, grand sujet de s’émouvoir.

Point d’ouverture ; à peine un prélude et la toile se lève sur une scène d’introduction dialoguée dans une forme très connue. À l’entrée de Proserpine se place une sorte de madrigal andante alla siciliana, confié tour à tour à un ténor et à un baryton, entrecoupé d’ensembles et accompagné assez gracieusement par un chant de flûte et des accords arpégés de harpe.

La scène entre Renzo et Sabatino se développe en récits soulignés par l’orchestre, bien plutôt que commentés. De temps en temps s’ébauche une phrase mélodique mais j’ai le regret de trouver que M. Saint-Saëns est également loin de la mélodie continue et de la mélodie ancienne.

Après une ritournelle à l’italienne, il commence une romance italienne sur ces paroles « Laisse que j’épouse cet ange ! » Ensuite, il se souvient de M. Gounod. On reconnaît de l’élégance à la pavane jouée dans les coulisses : seulement, qui se permettrait de louer M. Saint-Saëns d’une pavane agréable ? Les notes suraiguës du violon et le solo du violoncelle enveloppent poétiquement la rêverie de Proserpine « Amour vrai, source pure où j’aurais voulu boire », et nous amène à l’entretien, un peu bien sec de musique, entre l’héroïne et Sabatino. Je glisse sur l’épisode de Squarocca, bien qu’il s’y rencontre des mouvements de scherzo assez piquants à l’orchestre. Le finale de l’acte est un chœur d’orgie, mêlé de soli à vocalises de la première chanteuse. Cela m’a rappelé le faciamo un brindisi, dont on parlait hier. M. Saint-Saëns fait son brindisi le plus sérieusement du monde et sans qu’il s’impose aucunement. En somme, ce n’est pas ici un franc drame lyrique : c’est un opéra, où la déclamation tient une grande place. M. Saint-Saëns instrumente de main de maître. Malheureusement son orchestre roule plus de menus dessins, d’harmonies fines et de sonorités bien ordonnées que d’idées neuves. D’autre part, aucune expansion. L’artiste hésite-t-il à se livrer, ou l’imagination lui manque-t-elle ? — Poursuivons.

J’aime le prélude du second acte, écrit sur un rythme ternaire, et où le cor et les bois s’allient très heureusement. Le public applaudit une cantilène de Sabatino, que la violoncelle solo et le hautbois enguirlandent. Un peu après Sabatino, Angiola et Renzo nous donnent un trio de peu d’ampleur et, tout de suite, le finale s’engage — un finale où le chœur des mendiants se mêle au chœur des novices et des jeunes filles et aux voix des personnages. Ce long morceau, très mélodieux, a produit d’autant plus d’effet qu’il se déroule sur un rythme de danse obstinément prolongé. L’oreille du spectateur n’a rien qui la déconcerte...

Je déclarerai tant qu’on voudra que M. Saint-Saëns est un maître, que sa déclamation a généralement de la justesse, que son orchestre est précieux, varié, intéressant. Mais, encore une fois, où met-il son imagination durant l’orage du troisième acte ? Le musicien se montre en possession de toutes les ressourses de son art, et c’est une triste vérité qu’il n’en fait pas grand’chose. Veut-on me faire admirer la chanson à boire ? — Non, sans doute. Est-ce la scène de Proserpine en bohémienne dont il faut s’émerveiller ? Elle n’est que curieuse. Et ne nous parlez pas, au surplus, de ces personnages tous présentés de biais et en des situations fausses. Proserpine n’est pas une bohémienne ; Squarocca n’est qu’un bandit pour rire. Les incidents que l’on nous rapporte ne souffrent pas l’examen. La musique, art sincère entre tous, se perd en ces artifices, qu’elle n’a nul pouvoir pour exprimer.

Au quatrième acte, le trio final a principalement retenu l’attention en rappelant le quatuor d’Henry VIII. Cependant, on ne saurait cacher que le public, après avoir assez vivement goûté le premier acte et très vivement le second, a paru las aux deux derniers. On avait espéré que Proserpineserait une pièce de combat ; ce n’est qu’un dernier compromis entre ce qu’on nomme le vieux jeu et le nouveau jeu. Proserpineest un opéra dissimulé. La question du drame lyrique français n’a pas marché d’un pas. Et je crois, que nul artiste n’est mieux fait que M. Saint-Saëns pour la tirer en avant.

L’heure qu’il est m’interdit toute discussion en règle. Je pourrais indiquer, dans la partition, nombre d’heureux détails mais à quoi bon ? Nous demandons à l’auteur de la symphonie en ut mineur autre chose que des détails, fussent-ils plus heureux encore. Au demeurant, sa partition est sèche et grise, sans expansion, malgré une grande dépense de couleurs orchestrales. Mais les plus belles nuances de l’orchestre ne peuvent rien sur les thèmes incolores ! En terminant, je n’ai que des éloges à décerner aux interprètes. Mme Salla a semblé belle et dramatique dans le rôle de Proserpine, et Mlle Simonnet, touchante et gracieuse dans celui d’Angiola. Au personnage de Squarocca, M. Taskin a su conserver toute sa truculence, et MM. Lubert et Cobalet font merveille sous les pourpoints de Sabatino et de Renzo. L’orchestre et les chœurs ont été à la hauteur de leur tâche, sous la direction de M. Danbé. Ce n’est pas ma faute, après tout, si je n’ai pas à enregistrer une plus complète victoire.

Fourcaud

[...]

La Soirée Parisienne
PROSERPINE

Les nombreux admirateurs de M. Camille Saint-Saëns auraient tort de supposer que ce célèbre compositeur a voulu donner un pendant à Orphée aux Enfers.

La Proserpine dont il s’agit n’est pas du tout l’épouse de Pluton ; c’est une simple courtisane de la Renaissance, ce qu’à Paris on nomme une horizontale, ce qu’à Florence on appelait une universelle. Cette personne, de mœurs peu recommandables, n’était pas née tout d’abord pour être mise en musique. Son père, Auguste Vacquerie, l’avait ciselée en forme de drame et logée dans son beau volume Mes premières Années de Paris. C’est là que M. Louis Gallet fit sa connaissance et en devint subitement amoureux. Incapable de résister à ses passions, l’aimable librettiste enleva Proserpine, la fit habiller par Saint-Saëns, le grand couturier musical, et lui loua un appartement fort, bien meublé à l’hôtel Carvalho, place Boieldieu. On pendait la crémaillère hier soir. M. Vacquerie laissa faire ; c’est un poète.

Le nouveau drame lyrique de M. Saint-Saëns est en quatre actes, ou, pour mieux dire, en trois actes et quatre tableaux. Le milieu florentin dans lequel l’action se déroule a bien heureusement inspiré M. Carvalho, qui a réalisé des merveilles de mise en scène. Il n’y a pourtant ni ballet, ni grand défilé, ni cortège d’animaux ; mais la grande part du directeur consiste dans la beauté des décors, la richesse des costumes, l’harmonie des couleurs et l’ingénieux groupement des personnages.

Le premier acte, par exemple, offre aux yeux une série de véritables tableaux, tous plus exquis les uns que les autres : nous sommes dans les jardins de Proserpine. Au fond s’élève le palais dont l’entrée est défendue par d’énormes lions de marbre blanc. Des arbres touffus protègent les jeunes gommeux du temps contre les ardeurs d’un soleil brûlant, et l’on devine de tous côtés les charmilles épaisses, propices aux doux aveux.

Dans ce cadre délicieux, MM. Herbert, Collin et Caisso, débitent de tendres madrigaux à Mme Salla, fort belle avec sa lourde chevelure blonde et dans sa robe décolletée de femme qui n’a pas de secrets pour ses amis. Outre son rôle, qui est important, Mme Salla a eu à étudier ses poses, qui sont nombreuses. J’en ai compté plus de trente-deux. Une sorte de chaise-longue, préparée à cet effet, lui permet de se placer successivement sur le dos, sur le côté gauche, sur le côté droit, sur le ventre, assise, à genoux ; la main soutient la tête pour exprimer le sommeil, elle se crispe pour exprimer la colère, elle cueille des fleurs pour exprimer l’indifférence. C’est ce que, dans l’école wagnérienne, on appelle : la main caractéristique.

Je me hâte de dire que tous ces mouvements sont accomplis avec une grâce parfaite, et il serait difficile d’être plus femme que Mme Salla coquetant avec MM. Cobalet et Lubert, deux amis qui font un très bon ménage, dans lequel l’un porte une jupe et l’autre les culottes.

À côté de toutes ces élégances, M. Taskin forme un contraste frappant sous le débraillé pittoresque du bandit Squarocca. On n’est pas plus débraillé, plus déguenillé, plus dépenaillé ; un vrai costume le pour le bal de Incohérents.

Le second acte se passe dans un couvent qui ressemble d’une façon curieuse à celui de l’Amour mouillé des Nouveautés, mais avec une nuance plus grandiose qu’un théâtre ne saurait atteindre s’il n’est subventionné. Parmi les pensionnaires blanches et bleues de ce joli couvent se trouve Mlle Simonnet, sous le pseudonyme d’Angiola. Pour être juste, il faut dire que cet acte entier n’est pas dans le drame primitif de M. Vacquerie et a été complètement imaginé par M. Gallet.

Après une entrée de pèlerins et de mendiantes fort convenables, un ravissant finale avait été vigoureusement applaudi. Le rideau tombe. On le fait relever aussitôt en l’honneur des interprètes, puis il retombe de nouveau. Alors, chose curieuse, le public se dit qu’il réentendrait volontiers ce finale, qui lui a fait tant plaisir. On crie « bis », on insiste, on crie de plus en plus fort. M. Danbé, tout surpris, n’ose tirer sa petite sonnette. Que bisse-t-on ? Où doit-il reprendre ? Enfin, devant les réclamations de plus en plus vives des spectateurs, il prend un parti héroïque, fait re-relever le rideau et recommence le morceau entier pendant que quelques habits noirs, qui ne s’attendaient pas à cette brusque décision, s’enfuient effarés derrière les arbres du couvent.

S’il est vrai, comme on l’affirme, que M. Camille Saint-Saëns soit l’ennemi juré des bis, l’infortuné compositeur a dû vraiment bien souffrir.

Le troisième décor représente une pauvre cahute délabrée par les orages qui désolent la contrée. À travers les lattes disjointes du toit, les éclairs entrent comme chez eux, et il suffit d’un simple coup de pied pour démolir les murs. Fichue maison de campagne !

Parmi les grondements du tonnerre, j’ai cru distinguer Mme Salla, en bohémienne, et M. Taskin, confortablement vêtu d’une casaque en vrai buffle. Chargé de molester la pauvre Mlle Simonnet, ce baryton se conduit comme sa casaque.

Le quatrième acte nous réservait une surprise. C’est là que M. Saint-Saëns a placé son ouverture, par suite d’un raisonnement qui me semble ingénieux.

— Si je mets l’ouverture au commencement, s’est-il dit, Carvalho s’empressera de la transporter ailleurs. Mettons-la tout de suite à la fin, ça lui évitera d’être dérangée.

L’ouverture terminée, nous nous sommes trouvés dans un superbe palais poétiquement éclairé par la lune, et où Mme Salla, habillée de peluche rouge, a essayé d’assassiner Mlle Simonnet. Mais qu’on se rassure, la police est arrivée à temps. Heureuse Florence !

Les noms de MM. Vacquerie, Gallet et Saint-Saëns ont été accueillis par des bravos unanimes. J’ai pourtant vu quelques mécontents parmi les compositeurs très avancés.

— Voyez-vous, disait l’un ; le public est resté jusqu’à la fin, on a applaudi à outrance, on a bissé un morceau ; ça se jouera cent fois….. Saint-Saëns est fini !

Frimousse

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Louis GALLET

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publication date : 31/10/23