Soirées parisiennes. Mam’zelle Nitouche
Soirées Parisiennes
Mam’selle Nitouche
En montant la Revue des Variétés, M. Bertrand comptait sur un bon petit mois de recettes honorables lui permettant d’arriver sans difficultés au morceau de résistance de son hiver, la pièce pour Judic.
Fragilité des jugements humains !
Il se trouve que la petite Revue a été un gros succès, qu’au lieu de trente représentations elle en a eu presque le triple, et qu’on l’arrête sur de très plantureuses recettes, dépassant trois mille francs.
Mam’selle Nitouche est la première infidélité faite par M. Albert Millaud à son collaborateur habituel des Variétés, M. Alfred Hennequin. L’association si heureusement inaugurée avec Niniche, continuée avec la Femme à Papa et Lili, se trouve définitivement rompue avec Mam’selle Nitouche.
Pour la première fois aussi, l’excellent Dupuis qui, dans toutes les pièces précédentes, avait si justement partagé avec Mme judic la faveur du public, n’est pas de la fête. Il paraît que, malgré les efforts des auteurs, le rôle qui lui était destiné n’est pas sorti suffisamment. Ce que je parierais bien, par exemple, c’est que, coûte que coûte, les auteurs s’arrangeront pour qu’il sorte la prochaine fois.
Très brillante salle, comme c’est la coutume à toutes les premières des Variétés. La charmante Mlle Mauri, dans l’avant-scène de premières, est le point de mire de toutes les lorgnettes.
La princesse d’Arenberg, Mme Standish et la belle Mme Benardaki, quine manquent jamais une première de Mme Judic, applaudissent à tout rompre leur diva. À l’orchestre, la fleur des clubs, et le jeune M. Reinarh, qui rit comme avant la mort de Gambetta.
Au premier acte nous sommes dans le parloir du couvent des Hirondelles. L’entrée de Baron en organiste qui occupe ses loisirs à composer des opérettes, met tout d’abord la salle en belle humeur. Il est vraiment d’un comique irrésistible avec ses longs cheveux bouclés, sa redingote noire qui traîne à terre, et son pantalon trop court laissant voir ses bas bleus.
Christian, en chef d’escadron de dragons, cheveux gris en brosse, moustaches hérissées, est l’idéal des culottes-de-peau.
Très gentilles, les religieuses sous leurs longues robes mauve et bleu pâle et leurs grands voiles blancs. C’est le premier costume de Mme Judic. La charmante diva, qui a un tantinet maigri, est ravissante en pensionnaire. Elle chante d’une voix exquise son cantique d’entrée.
Ce n’est pas le couvent des Hirondelles, c’est le couvent des Rossignols.
Dans Lili, Mme Judic jouait de la trompette ; elle joue de la harpe dans Nitouche. De quoi pourra-t-on bien lui faire jouer dans sa prochaine pièce ?
On fait à l’élégant M. Cooper son succès habituel. M. Cooper, qui a du talent, a en outre celui d’être un des très rares comédiens de Paris qui sachent réellement s’habiller. Sa redingote noire forme anglaise, son pantalon clair sont irréprochables de correction.
Le deuxième acte se passe au foyer du théâtre de Pontarcy. Tout à fait musant à l’œil, le fouillis des uniformes des officiers de dragons, et des costumes Pompadour des petites femmes auprès desquelles ils viennent papillonner, Mlles Baumaine, Marguerite, Caro et Dupont.
La gentille Mlle Baumaine ne fait que paraître, le temps de nous donner des regrets et de montrer, en même temps que son joli minois, un charmant costume azur tout parsemé de nœuds roses.
Avatar de Baron, qui, d’organiste, est devenu compositeur d’opérettes : son pantalon gris-perle, et l’habit noir avec une touffe de roses énormes à là boutonnière, est le digne pendant de sa redingote du premier acte.
Après une courte apparition sous un long fourreau de voyage en drap bleu ardoise, Mme Judic se métamorphose en comédienne. Il est vraiment merveilleux de rapidité, ce changement qui s’opère en un clin d’œil derrière une psyché sous les yeux mêmes du public ; et je connais bien peu d’artistes à Paris capables de l’exécuter avec cette prestesse.
Il est d’ailleurs fort réussi, ce costume Louis XV. Jupe mousse, toute brodée de coquelicots et de marguerites, bordée au bas d’herbes et de coquelicots. Paniers et retroussis satin rose. Corsage velours rouge décolleté et garni, tout le long du décolletage, d’une broderie d’herbes et de coquelicots. Énorme perruque Lamballe poudrée, traversée en biais par une guirlande de coquelicots.
Le seul reproche que je ferais à l’ensemble du costume, si j’étais puriste, c’est l’anachronisme du costume Louis XV et de la perruque Lamballe. Mais, bast ! au théâtre de Pontarcy, le costumier n’est pas tenu d’avoir fait ses classes.
Le troisième acte nous transporte en plein quartier de cavalerie. Quatrième toilette de Judic : robe de toile bleu pâle à entredeux blancs formant épaulettes sur le corsage.
Troisième avatar de Baron, qui, de maestro se transforme en réserviste pour échapper au major Christian.
— On ne monte pas la garde dans l’intérieur du quartier, lui dit celui-ci.
— C’est le tort qu’on a, répond tranquillement Baron, en continuant sa faction.
L’uniforme de lieutenant de dragons que porte Cooper a été dessiné par Detaille.
Notre grand peintre militaire avait vivement recommandé au jeune comédien, les gants chamois avec l’uniforme, ce qui est, paraît-il, en ce moment, dans la cavalerie, le comble du pchutt. Cooper n’a eu garde de les oublier.
Transformation de Mme Judic en dragon.
En voyant la ravissante diva en uniforme, on ne peut réellement pas reprocher au gouvernement de mal nourrir l’armée.
C’est ici que le dragon Judic, pour ne pas se trahir, est obligé d’enfourcher, sur une selle d’ordonnance, un des coursiers du régiment. Elle se tire de cette difficulté avec une maestria étonnante. Il y a bien des réservistes qui voudraient pouvoir en faire autant.
Le dernier tableau nous ramène au couvent du premier acte.
Cinquième toilette de Mam’selle Nitouche. Robe rose pâle et blanc toute semée de gros pois brodés à même.
Le rideau tombe ; on proclame, au milieu des applaudissements, les noms des auteurs, M. Henri Meilhac et Albert Millaud, sans compter M. Ernest Blum ; qu’on n’a pas nommé.
La partie musicale est de M. Hervé, même les cantiques, les airs religieux et des parties d’orgue. Une nouvelle manière qu’abordait là l’auteur de l’œil crevé.
— Cela va faire enrager Gounod, disait-il ; mais, moi aussi, je veux faire mon petite Hervé Maria.
Choufleur
Related persons
Related works
Mam'zelle Nitouche
HERVÉ
/Henri MEILHAC Albert MILLAUD
Permalink
publication date : 28/09/23