Skip to main content

Indiscrétions parisiennes. Première de Cinq-Mars

Category(ies):
Publisher / Journal:
Publication date:

Indiscrétions parisiennes.
La première de ce soir

C’est à Montretout, dans la propriété de Mme Zimmermann, sa belle-mère, qu’est venue à M. Gounod la première idée de faire un drame lyrique avec Cinq-Mars. Dans l’origine, et sur les conseils de M. Carvalho, le compositeur avait pensé s’adresser à M. Victorien Sardou ; ce projet n’ayant pas eu de suite, MM. Poirson et Gallet s’emparaient à leur tour du sujet et écrivirent sur le roman d’Alfred de Vigny un libretto en quatre actes qu’ils lurent à M. Gounod, lequel s’en montra enthousiasmé, et promit de se mettre promptement au travail.

Rentré à Paris quelque temps après, M. Gounod s’enferma chez lui, non dans son appartement, mais dans un petit logement qu’il possède au quatrième étage. Puis il fit dire à tout le monde qu’il était parti pour Nice, et on ne le vit plus… que le jour où la partition de Cinq-Mars fut complètement terminée.

Ce jour-là, Gounod fit prévenir M. Carvalho qu’il était prêt, et on fixa la date de la lecture. Le premier jour, Gounod lut le poème et, le second, la musique. L’un et l’autre produisirent un très grand effet sur les artistes. On raconte même qu’au dernier acte toutes les femmes pleuraient. Gounod est d’ailleurs un charmeur, dans toute l’expression du mot ; nul mieux que lui ne sait émouvoir ceux qui l’écoutent.

Cinq-Mars, une fois à l’étude, marcha très rapidement. En six semaines la pièce fut apprise, répétée et mise à la scène ; ce qui, lorsqu’il s’agit d’un grand opéra, peut-être considéré comme un véritable tour de force.

Gounod a été malade pendant presque toute la durée des études de Cinq-Mars. Une forte grippe, dont il a souffert un mois, l’empêchait non-seulement de chanter, mais même de parler. Il suivait de l’avant-scène le travail des répétitions, avalant de temps en temps une gorgée de lait, dont il se faisait apporter un pichet tous les jours. La répétition finie, c’était à qui parmi les petites marcheuses du corps de ballet hériteraient du restant du pichet. Gounod l’offrait généralement à la plus jolie, lui passant à la fois son pichet et son verre ; il est vrai qu’il ne manquait jamais d’ajouter :

— Buvez de ce côté-ci, mon enfant, j’ai bu de l’autre.

Il paraît qu’on a eu un mal énorme à régler les danses, par suite d’une erreur de Mlle Marquet, qui n’en avait pas tout d’abord saisi les rythmes, et qui, pendant trois semaines, s’est évertuée à faire danser tout son personnel à contre-temps. Le jour où l’on s’est aperçu de l’erreur, les choses ont marché toutes seules.

Je n’ai pas à donner mon avis sur la nouvelle partition de Gounod, c’est l’affaire de mon collaborateur Georges ; je n’ai pas plus à raconter la pièce : il y a une limite, même à l’indiscrétion ; toutefois, comme je me suis promis d’offrir aux lecteurs du Gaulois un avant-goût de la représentation de ce soir, je me permettrai de noter ici au fur et à mesure les morceaux qui ont produit le plus d’effet aux répétitions.

Je citerai d’abord au premier acte, le chœur des amis de Cinq-Mars, au moment où celui-ci se dispose à partir pour aller rejoindre le roi :

Allez, par la nuit claire,
Allez, beau-voyageurs !

puis la cantilène en si majeur de Marie, chantée par Mlle Chevrier.

Au deuxième acte, chez Marion, je citerai le sonnet chanté par Mlle Lévy, costumée en petit berger ; puis la chanson de Fontrailles contre le cardinal, chantée par Barré, et enfin un chœur de Conspirateurs que termine une sorte de Marseillaise royaliste :

Sauvons le roi !

Il y a beaucoup de musique de danse dans cet acte. De l’avis de l’orchestre et des artistes, la musique de danse, qui tient une place importante dans la pièce, sera l’un des succès de Cinq-Mars. La prophétie se réalisera-t-elle ? nous le saurons ce soir.

Le troisième acte, qui se passe dans la forêt de Saint-Germain, contient un chœur de Chasseurs qu’on met, dès à présent, au théâtre, au-dessus du fameux chœur des Soldats de Faust. M. Carvalho, qui compte sur un grand effet, a engagé spécialement de nombreux choristes supplémentaires.

Au quatrième acte, je citerai une cavatine en demi-teinte chantée par Cinq-Mars, et le cantique chanté par Cinq-Mars et de Thou dans la prison, avant de marcher à la mort.

Je n’ai pas la prétention d’avoir indiqué tous les morceaux remarquables de la nouvelle partition de Gounod ; je n’ai cité, je le répète, que ceux qui ont produit le plus d’effet sur les musiciens de l’orchestre, ce qui ne veut pas dire que ces effets ne se déplaceront peut-être pas ce soir. Tout est possible, au théâtre, et rien ne se ressemble moins comme généralité d’impression qu’une première représentation et une répétition générale.

J’ajouterai seulement un détail : quand ils parlent de la partition de Cinq-Mars, les artistes de l’Opéra-Comique sont tous d’accord pour dire :

— C’est de la musique claire et facile, nous avons eu tant de plaisir à l’apprendre, que le public ne peut manquer d’en éprouver à l’entendre.

Et, de fait, les répétitions de l’œuvre nouvelle de Gounod ont marché de la première à la dernière sans le moindre accroc, j’allais presque dire : sans la moindre peine. En attendant leur tour d’entrer en scène, les dames s’occupaient à divers petits travaux d’aiguille, qu’elles ne quittaient pas toujours pour venir chanter. Mlle Chevrier faisait des petits ronds au crochet pour un dessus de canapé ; Mlle Périer, en bonne femme de ménage qu’elle est, confectionnait layette sur layette pour les enfants pauvres, et Mlle Lévy faisait des babouches en tapisserie.

Au temps où elle n’était pas encore remplacée, Mlle Vergin, que ses camarades de théâtre appelaient tantôt Fleur-de-Noblesse et tantôt Vertébrale – nous n’avons jamais pu savoir pourquoi – se bornait à potiner sur tout le monde, histoire de tuer le temps.

Je pourrai, pour finir, parler des costumes et de la mise en scène ; je dirai seulement que les premiers ont été scrupuleusement copiés sur une collection de dessins prêtés par M. Gérôme, dessins qui portent tous au bas une légende du temps, très originale et très curieuse. Quant à la seconde, je préfère ne pas la déflorer par une indiscrétion. C’est bien le moins que les spectateurs de ce soir aient une surprise.

Jehan Valter.

Related persons

Man of letters

Jehan VALTER

(18.. - 19..)

Composer

Charles GOUNOD

(1818 - 1893)

Related works

Cinq-Mars

Charles GOUNOD

/

Paul POIRSON Louis GALLET

Permalink

https://www.bruzanemediabase.com/en/node/1658

publication date : 26/09/23