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Musique / La Soirée parisienne. Lancelot

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MUSIQUE
Académie royale de musique. – Lancelot, drame lyrique en quatre actes et six tableaux, poème de Louis Gallet et de M. Édouard Blau, musique de M. Victorin Joncières.

M. Victorin Joncières a été, chez nous, un des admirateurs de Wagner de la première heure et l’un des premiers propagateurs du wagnérisme. Alors que le maître était méconnu, ses œuvres raillées et sa doctrine tournée en ridicule, l’auteur de Sardanapale proclamait courageusement son génie, l’avènement de sa méthode d’où l’entier renouvellement de l’art lyrique allait sortir. Il se peut que, par la suite, il ait reculé devant certaines conséquences des principes et fait preuve d’un éclectisme attaché aux traditions meyerbeeriennes, nous ne saurions oublier les services par lui rendus. C’est un fait que, pratiquement, l’esthétique wagnérienne, si claire et si large, demeure encore mal comprise de la plupart. Des formes éclatantes séduisent beaucoup d’artistes qui tardent à pénétrer le puissant et logique idéal. Mais, grâce aux vaillants des anciennes luttes, le droit est acquis d’admirer et de sentir. Nous nous acheminons vers la compréhension totale, vraiment féconde.

Lancelot est un de ses drames que l’on peut dire issus – au moins dans leur extériorité – de la première manière du grand poète musicien de Bayreuth. La donnée en dérive des légendes chevaleresques. Je dois convenir que l’action s’y présente surtout en surface, avec plus de recherche pittoresque que de force évocation, marquant chaque personnage de caractères humains profonds et décisifs. Mais c’est là un défaut commun au plus grand nombre des poèmes à mettre en musique, et je ne pense pas qu’il importe d’y insister aujourd’hui particulièrement. Les six tableaux conviennent, d’ailleurs, à la musique par la nature des événements, la simplicité des héros et la couleur des milieux. Et voici, brièvement, la trame de la fable : [court argument de la pièce].

Le simple exposé de ce drame en montre suffisamment les qualités et les défauts. On y a vu trop de remplissage, des indications d’humanité trop superficielle, peu de réelle passion. Par contre, une je sais quelle grâce voilée s’en dégage. Si l’on veut, au surplus, aller plus loin dans la critique, qu’on veuille bien se référer au poème de Tannhæuser. Les éléments essentiels des deux ouvrages sont à peu près semblables. Seulement, d’un côté, les idées sont plus nettes, la déduction plus haute, le sentimental de nature plus profonde jusque dans le symbolisme et la passion plus intense. De l’autre, la vérité même s’absorbe en d’arbitraires formules.

La musique de M. Joncières s’efforce de suivre pas à pas l’action qui, parfois, s’attarde à maints détails trop convenus. On ne s’étonnera donc pas à y trouver des cortèges uniquement décoratifs, des pages un peu flottantes et qui s’affilient à l’opéra bien plus légitimement qu’au drame lyrique. Mais il sied de noter, avant tout, que le musicien est d’une parfaite sincérité. Son souci constant est d’exprimer son émotion telle qu’elle a jailli du fond de son âme. Chacune de ses mélodies ou de ses déductions mélodiques répond à son intimité. Nous avons conscience qu’il n’a pu faire autrement. C’est son être intérieur qui s’est traduit avec pleine franchise. Les scènes entre Elaine et Lancelot, et la scène d’Arthus et de Guinèvre, au quatrième acte, semblent surtout résumer ses aspirations.

Un de mes collaborateurs dira la féerie du ballet-pantomime, où les mystérieuses couleurs ondoient parmi les lueurs fuyantes. L’orchestre y égrène des épisodes dont plusieurs sont ingénieux : mais j’aime peu la valse des Esprits. D’une façon générale, M. Joncières a voulu donner à sa partition une tenue simple. Les thèmes sont, non traités rigoureusement en leit-motive wagnérien, mais clairement exposés, variés de parures. Pas une page où l’on n’ait la sensation que l’auteur n’a rien négligé. Ses contrepoints, à l’occasion, se mettent en évidence. Je crois bien, au fond, que c’est ici sa meilleure œuvre.

Le public a bien accueilli ce drame, durant lequel nous assaillaient des ressouvenirs des vieilles campagnes wagnériennes – si loin de nous déjà. Si la jeunesse d’aujourd’hui a le droit de tout tenter, si les planches sont libres, si toutes les voies sont ouvertes, l’auteur de Lancelot est de ceux à qui on le doit. Que notre reconnaissance le salue. Il a été l’un des hérauts d’armes du mouvement d’émancipation. La musique peut être en hésitation momentanée, n’étant plus ce qu’elle était hier, n’étant pas encore ce qu’il lui appartiendra d’être en la lumineuse conscience de son rôle et de son idéal. Il n’importe ! Elle vit, elle vibre ; elle est le buisson sacré prêt à fleurir.

Les personnages de Lancelot ont été créés par M. Vaguet, dont la voix de ténor est exquise, par le baryton Renaud, chanteur de premier ordre, par la basse Fournets, artiste de grande autorité, et par Mmes Delna et Bosman. Il est superflu d’ajouter que l’action s’encadre de somptueux décors. Le spectacle est magnifique.

F…

Soirée parisienne – Lancelot à l’Opéra

L’histoire du poème, de la partition, de la réception et de la mise en œuvre de Lancelot pourrait, comme celle du héros de Gautier Mapp, du troubadour Daniel ou du célèbre Chrestien de Troyes, emplir des volumes. Ces auteurs vénérables l’avaient, tout d’abord, noyé dans le lac légendaire ; espérons que Victorin Joncières et l’Opéra l’en auront fait sortir pour longtemps.

C’est M. Eugène Bertrand qui reçut Lancelot, il y a déjà quelques années ; l’œuvre lui plaisait pour la parfaite convenance de ses éléments, leur adaptation noble au genre « éminemment français » de l’Académie nationale ; il était, d’ailleurs, d’un éclectisme qui laissait libre carrière à toutes les inspirations et l’excellent homme a dû mourir avec le regret de n’avoir pu assister à la première de Louise et à celle de Lancelot du Lac, car ce titre lacustre fut longtemps celui de l’ouvrage ; l’aimable distrait – moins dirait, d’ailleurs, qu’il n’en avait l’air ! – affectait souvent de confondre Rose Caron et Hortense Schneider, la Belle Hélène et Elaine de Dinan, Georges Hüe et Eugène Süe : c’étaient autant de manifestations courtoises d’éclectisme.

M. Gailhard ratifia les promesses de son prédécesseur et associé ; il les amplifia même, car c’est lui qui commanda le ballet – encore une façon d’avoir du bonheur, puisque le meilleur succès est allé à l’acte magnifique du lac des fées.

Les chevaliers-pairs de la Table ronde – une table où l’on est bien nourri, à en juger par la prospérité des douze coryphées – animent des tableaux féodaux d’une allure légendaire assez romantique. Les trois premiers, brossés par Carpezat, sont d’une imposante architecture ; le cinquième, de Chaperon, montre ceux des murs cloîtrés qui ne décourageront pas l’escalade de Lancelot ; le quatrième – qui est en même temps le sixième – est une merveille d’Amable, grandiose, décorative, géante aussi ; Léonce de Joncières en a inspiré le site, dans une affiche qui est une œuvre. Les costumes, dessinés par Bianchini, sont des reconstitutions précieuses, dignes de Clunys les plus minutieux.

Mlle Delna dépouille, dans la coulisse, la majesté de Guinèvre, de Cassandre et de dindon ; elle donne, sous les brocarts dont elle est orfèvre, l’impression voulue d’une vivandière (Viens avec nous, petit !… ) au joyeux langage ; les strophes d’Édouard Blau ne fleurissent plus sa lèvre ; la prose de Gustave Charpentier l’attire : comme Mignon regrettant le ciel, elle semble rêver de l’Opéra-comique ; c’est une grande artiste, un peu rapetissée, à son gré, par le cadre énorme du palais Garnier.

Elaine de Dinan a seize ans – moins peut-être : la voix juvénile et la silhouette gracile de la débutante intriguent le public : – Qui est-ce ? – Mme Bosman ! – C’est une révélation ; elle a l’air d’être sa propre sœur cadette !

MM. Vaguets et Renaud chantent avec un étincelant brio ; le premier apporte à son personnage une expression d’élégance et de distinction que Lancelot, élève de Courtoisie, n’eût pas désavouée ; cela lui vient d’avoir, tout l’après-midi, répété le La Trémouille de Patrie, sous la direction de M. Gailhard, avec les indications scéniques de Victor Capoul.

Alain de Dinan, solennisé par M. Fournets, est un père noble des Croisades ; le Markhoel de M. Bartet et le Kadio de M. Laffitte se font valoir par un contraste naturel.

Mais c’est au moment du ballet qu’il faut surtout voir la salle s’enthousiasmer, attentive aux moindres figures. Dans l’impressionnant décor qui l’encadre, il rappelle à chacun les coins féeriques qu’il a le mieux aimés. Le plus Parisien des sénateurs du Tarn, dans la loge présidentielle, y retrouve le château d’Hautpoul, dominant Mazamet et la cascade de Ninouvre. Une couleur surnaturelle éclaire la scène – mauve pour la fée du lac, Mlle Sandrini – éducatrice de Mlle Robin – des bois, si vous voulez ! Mlle Sandrini, surgie de l’onde, comme Vénus elle-même, n’enchaîne pas seulement à son gré le cœur de son élève, mais aussi les mesures rythmiques de l’orchestre avec un art consommé ; elle est vraiment le type de la danseuse classique, formée à force de talent, de volonté et de travail ; une ovation méritée la récompense de ses efforts…

Un combat de guerrières émotionne l’auditoire ; il se termine au milieu des applaudissements. Des lucioles tournoient sur la scène. Leur tête est coiffée d’une émeraude lumineuse, électrique, dont les accumulateurs sont dissimulés dans la chevelure ; c’est d’un effet charmant et nouveau.

Les ondines regagnent les eaux ; leurs robes d’algues et de plantes palustres se confondent avec les ajoncs de la rive ; leurs formes vaporeuses s’évanouissent sous les flots. Le rêve est fini. Lancelot s’éveille : il doit joliment regretter la disparition de son sosie, Mle Robin, rentrée, elle aussi, dans le perfide élément.

J’ai entendu dire à un chorégraphe estimé que, quel que soit l’avenir de Lancelot, le ballet du lac demeurera au répertoire comme une des plus exquises créations de la danse à l’Opéra…

Une seule ombre au tableau ; Victorin Joncières, malade, succombant aux fatigues persistantes des dernières répétitions, était absent, hier soir : il n’a pas entendu les applaudissements sympathiques dont son nom a été salué par le Tout-Paris des premières, dont il est une des plus fidèles personnalités. Et c’est dans la presse, ce matin, qu’il en écoutera les derniers échos. Puisse la fée du lac, éducatrice de Lancelot, la gente et riante Courtoisie, en avoir elle-même inspiré le style et la tenue. 

Montaudran

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Victorin JONCIÈRES

(1839 - 1903)

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Victorin JONCIÈRES

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Édouard BLAU Louis GALLET

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publication date : 26/09/23