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Mlle de Launay à la Bastille de Gail

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THÉÂTRE DE L’OPÉRA-COMIQUE
Première représentation de Mademoiselle Delaunay à la Bastille.

Le rédacteur d’une note insérée dans ce journal, le lendemain de la première représentation de l’ouvrage dont j’ai à rendre compte, semble ne l’avoir considéré que comme un cadre offert au déploiement d’un talent musical qui inspirait les préventions les plus avantageuses. Je ne suis point éloigné d’adopter cette opinion ; je pense donc bien sincèrement qu’il y aurait une grande injustice à soumettre à une critique sévère une production dont l’auteur paraît s’être plus occupé des intérêts de son associée que des siens mêmes. Les personnages étaient connus, mais le sujet restait soumis à de simples conjectures. 

Mademoiselle Delaunay partage la disgrâce de la duchesse du Maine, dont elle était la première femme-de-chambre : le régent la fait mettre à la Bastille. Son sort y est toutefois aussi doux qu’il peut l’être en prison. M. de Maison-Rouge, le gouverneur, la comble d’attentions délicates, et croit toujours n’en avoir pas fait assez. Quoiqu’approchant de la soixantaine, il est vivement amoureux ; et cette passion, loin de le rendre ridicule, ne le rend que plus intéressant : le brave homme n’ose aspirer qu’à un peu d’amitié. Il ne sait pas qu’il a un rival dans la Bastille même : un jeune militaire, M. de Mesnil, devient épris de Mlle Delaunay à travers le gros mur qui le sépare d’elle. Ne pouvant la voir, il lui chante des douceurs qui font une certaine impression sur le cœur de sa compagne d’infortune. Elle ne peut résister au désir de le connaître ; et à qui s’adresse-t-elle pour satisfaire sa curiosité ? Au gouverneur lui-même. Un refus n’est pas en son pouvoir : il amène M. de Mesnil, sans trop songer aux conséquences. Mais lorsqu’il entend sa belle prisonnière faire des vœux pour sa délivrance, l’idée de la perdre à jamais surmonte sa timidité ; il la conjure d’agréer sa main et sa fortune. Il s’éloigne pour laisser le tems de réfléchir sur sa proposition, mais dans l’espoir qu’on le rappellera dès qu’il sera descendu dans les cours. À peine a-t-il disparu, que M. de Mesnil survient, et qu’un porte-clé, qui le croit dans sa chambre, l’enferme dans celle de Mlle Delaunay. Effrayée, non sans raison, sur les suites de cette imprudence, elle n’a plus d’autre ressource que d’appeler le gouverneur par la fenêtre. Le bon M. de Maison-Rouge arrive plein d’espoir et de joie : qu’aperçoit-il ? Son rival. Il sort tout effaré, en annonçant une prompte vengeance. Elle peut être d’autant plus terrible que le ministre vient d’arriver à la Bastille. Le gouverneur remonte ; il tient deux papiers à la main ; nul doute que ce ne soit l’ordre de resserrer les prisonniers plus étroitement : c’est celui de les mettre en liberté. Le malheureux gouverneur s’attend que le premier usage qu’en fera Mlle Delaunay, sera de couronner la flamme de son jeune adorateur ; mais elle ne veut point se laisser vaincre en générosité, et la reconnaissance la jette dans les bras de son bienfaiteur. L’amant déconvenu ne peut s’empêcher d’applaudir lui-même à ce choix ; et tout le monde se retire extrêmement satisfait, jusqu’au valet de M. de Mesnil, qui s’était avisé aussi de se passionner, à travers les murs, pour une vieille suivante de Mlle Delaunay. Ces deux rôles subalternes, évidemment conçus pour égayer la pièce, ont failli un moment lui faire éprouver un sort assez triste. On ne pourrait qu’en souhaiter la suppression totale, s’ils ne se trouvaient employés plus utilement dans quelques morceaux de musique. 

Cette nouvelle composition, comme on est venu l’annoncer, est due à l’aimable auteur des Deux Jaloux. On y a retrouvé ses chants faciles et gracieux ; mais on y a en outre acquis la preuve que son talent pouvait s’élever à des conceptions plus fortes. Deux quatuors ont surtout attiré l’attention des connaisseurs : le premier (celui où deux des parties sont derrière la muraille) est tout-à-fait à la manière de Mozart, et particulièrement dans le style de la Flûte Enchantée. Trois romances ont été couvertes d’applaudissemens : je sais que les acteurs les demandent, parce que le succès en est presque toujours certain auprès du public de ce théâtre ; mais il serait à désirer, ce me semble, que les compositeurs en fussent moins prodigues. Cette multitude de couplets fatigue l’oreille ; elle a un inconvénient plus grave : celui de trop rapprocher l’opéra-comique du vaudeville. 

L’exécution du nouvel opéra doit faire croire qu’il n’a pas été assez étudié ni répété. 

S.

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Sophie GAIL

(1775 - 1819)

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