Skip to main content

Revue musicale. La Fille de Madame Angot

Category(ies):
Publisher / Journal:
Publication date:

Revue musicale

THÉÂTRE DES FOLIES-DRAMATIQUES : La Fille de Madame Angot, opéra comique en trois actes, de MM. Clairville, Siraudin et V. Koning. […]. 

L’opéra comique, ce genre essentiellement français, tel qu’il fut à son origine et tel qu’Auber et Adolphe Adam, les derniers maîtres du genre, le comprirent et s’y vouèrent n’est plus guère aujourd’hui qu’une sorte de tradition classique sur notre seconde scène musicale, théâtre pendant tant d’années de ses succès les plus éclatants et de son épanouissement le plus complet. Dans ces derniers temps, les tentatives d’acclimatation du grand art sur la scène de la Place Boieldieu n’ont pas été heureuses, et ce théâtre, à peu d’exceptions près, ne vit plus guère que de son ancien répertoire, le plus riche, hâtons-nous de le dire, et le plus varié de toutes nos scènes. 

Chose singulière, un nouveau théâtre lyrique, fondé sous l’inspiration d’Adolphe Adam et destiné spécialement, dans l’intention du fondateur, aux œuvres des jeunes compositeurs désireux de continuer la tradition des Grétry, des Boieldieu et des Hérold, ce nouveau théâtre perdit de vue, presque à son origine, le but de sa fondation, et de bonne heure devint plutôt une succursale de l’Opéra de la rue Le Peletier que de la salle Favart. On y vit défiler tour à tour les chefs-d’œuvre de Mozart et de Weber : FreyschützObéronEuryantheles Noces de Figarola Flûte enchantée, et jusqu’au Fidelio de Beethoven, et à l’Orphée, de Gluck. Nous ne nous en plaignons pas, nous constatons. Ce qui est certain, c’est que dans les dernières années de l’Empire, 1867 et 1868 par exemple, qui marquèrent l’apogée du Théâtre-Lyrique, alors dirigé par M. Carvalho, le « grand art » avait si bien élu domicile dans l’ancienne fondation de l’auteur du Postillon de Lonjumeau, qu’on eût été mal venu d’offrir au public, après tant de chefs-d’œuvre grandioses, soit le Bijou perdu — trop perdu ! — de ce même Adolphe Adam, soit cette même Fanchonnette, dont la reprise vient d’obtenir un succès si vif sur la scène de l’Athénée. 

À cette époque, pourtant bien rapprochée encore, nous nous souvenons avoir entendu les critiques les plus autorisés railler avec une entière bonne foi ce qu’ils appelaient le crin-crin de Dalayrac, et traiter avec indulgence de ménétrier de village l’auteur de Joconde. Adam était mort. Quant à Auber, on lui pardonnait son répertoire inépuisable un peu en faveur de la vieillesse du musicien, beaucoup en faveur de la Muette. La plupart des jeunes compositeurs avertis, ou plutôt entraînés par le courant, se lancèrent, comme si c’était la chose du monde la plus simple, dans le « grand art » et ainsi naquirent un certain nombre d’œuvres extrêmement compliquées, ni opéras comiques, ni opéras, moitié I’un, moitié l’autre, parfois tous les deux ensemble, qui vécurent ce que vivent les visages fardés, l’espace d’un soir, — et qui ne profitèrent guère plus, en somme, à la gloire de leurs auteurs, qu’à la fortune des théâtres qui, de confiance, leur avalent donné accueil. 

Jugé trop petit compagnon pour oser frapper désormais à la porte du temple de la place Boieldieu, repoussé par une consigne sévère du Théâtre-Lyrique, l’opéra-comique, qui n’était nullement mort, chercha où il pourrait bien, sinon s’installer de nouveau, du moins loger à la nuit. Il trouva bien les théâtres, ou plutôt les auberges, mais la musique a besoin de serviteurs spéciaux, et si ceux qu’on lui offrait pouvaient à la rigueur jouer la comédie, ils ne chantaient guère. L’opéra comique trancha la difficulté, comme on dit, dans le vif, en mettant audacieusement en action un mot célèbre. 

— Pourrais-tu jouer de la clarinette ? demande quelque part Bilboquet à Sosthène Ducantal.

— Je ne sais pas ! murmure le patient d’une voix faible : je n’ai jamais essayé. 

— Vous n’avez jamais chanté, dit l’opéra-comique aux acteurs des Variétés et du Palais-Royal. Eh bien ! vous essaierez, voilà tout. 

Ils essayèrent, en effet, et comme le tout est de s’entendre, ils réussirent. D’ailleurs l’opéra comique leur avait fait large mesure : au lieu des anciens poèmes, genre Scribe, qui exigeaient avant tout des comédiens élégants et des cantatrices distinguées et rompues aux exercices vocaux, des écrivains fantaisistes surgirent à point qui sauvèrent par l’exagération voulue des types et des situations ce qui manquait au point de vue musical à des acteurs comiques, excellents d’ailleurs. C’est ainsi que naquirent le répertoire des Bouffes-Parisiens d’abord, puis la Belle-Hélène, puis la Vie parisienne et leur école, puis enfin l’exagération du comique prenant les proportions de l’aliénation mentale, le répertoire d’Hervé. 

Arrivé à ce degré suprême qui confinait à Charenton, force fut bien de s’arrêter, et comme toujours, une réaction s’opéra. Elle fut prompte. Que les événements, réveillant le public de l’espèce de danse de Saint-Guy du rire dont il était atteint, n’aient pas quelque peu contribué à cette réaction, il serait puéril de le nier. La vérité est que, de même qu’après avoir été saturée de drames et de comédies hauts en couleurs, le public fait faire aujourd’hui 6,000 fr. de recettes à Britannicus de même, toutes proportions gardées, ce même public se trouva tout prêt à faire bon accueil à des œuvres légères qui, sans avoir la saveur pimentée de la Grande-Duchesse, et sans offrir les excentricités de l’Œil crevé, l’amuseraient néanmoins et compenseraient, par une exécution musicale plus complète, l’absence du nez d’Hyacinthe et des poses bizarres de Mlles Blanche d’Antigny et Schneider.

Le théâtre des Folies Dramatiques est aujourd’hui la scène parisienne sur laquelle cette espèce de révolution s’est le plus nettement accentuée. Placé au centre de Paris, au point d’intersection, pour ainsi dire, qui sépare le Paris mondain et artistique du Paris populaire, nul théâtre n’était mieux en situation de juger, ou plutôt de jauger le sentiment du public. Si le suffrage universel est librement exercé, c’est à coup sûr en effet dans une salle de théâtre. À plus forte raison, quand le public de ce théâtre réunit les éléments les plus divers. Le théâtre des Folles-Dramatiques tâta donc le pouls de l’opinion à l’aide d’un certain nombre de reprises du temps jadis, — un jadis de deux ans à peine, mais qui compte cher, long et lourd. L’accueil mollement sympathique fait à ces reprises trompa le théâtre, qui risqua des œuvres nouvelles taillées sur le patron des anciennes. Le sifflet, puis l’indifférence les dévorèrent, et j’ai raconté en son temps le succès énorme que rencontra, — sur une scène jadis inféodée à Hervé, — une partition de Litolff, le compositeur convaincu et sérieux par excellence.

Héloïse et Abélard, en dépit de son sujet scabreux, quoique fort habilement voilé, était infiniment supérieur, — je parle ici du poème, à tout ce que les opéras bouffes nous avaient jusqu’ici offert. À part quelques effets de costume, quelques travestissements regrettables, c’était purement et simplement un opéra comique, sans la moindre exagération de situations ni de caractères, ne demandant aucun secours à des accessoires grotesques, se suffisant en un mot à lui-même. En même temps, le théâtre avait bénéficié d’artistes fort suffisants même au point de vue exclusivement musical, principalement de chanteuses d’une valeur réelle. Joignez à cela le besoin du public de se reposer un peu des insanités d’autrefois et vous aurez, sans le chercher ailleurs, quoi qu’on ait pu dire ou faire, l’explication d’un succès de cent vingt-cinq représentations. 

Aujourd’hui, c’est mieux encore : nous nous trouvons toujours en face d’un succès, mais cette fois en face d’un succès bien franc, qu’il convient d’approuver sans réticences et sans réserves. Le nouvel opéra comique (c’en est un cette fois dans toute la réelle acception du terme) que vient de nous offrir le théâtre des Folies-Dramatiques, se trouve, indépendamment de sa sérieuse valeur musicale, résumé dans cette parole que nous avons entendu prononcer à côté de nous et qui en est le meilleur éloge : 

— C’est une pièce que tout le monde peut aller voir. 

Nous sommes en plein Directoire. Barras est roi, on peut le dire, car ses co-directeurs peu gênants ont vécu, puis passé de vie à trépas, sans avoir jamais fait parler d’eux et sans qu’un puisse même se rappeler leurs noms, à moins de recueillir ses souvenirs d’histoire, voire même d’interroger le dictionnaire de Bouillet. Tel M. Thiers sur vivra dans les âges futurs aux modestes MM. Jules Simon et Barthélémy Saint Hilaire, et tel aussi M. Gambetta voudrait bien dans les âges plus futurs encore effacer le souvenir de MM. Banc et Challemel-Lacour, moins innocents et plus gênants d’ailleurs que les co-direcleurs de Barras. 

Nous voici au « carreau de la Halle, » un fort joli décor brossé par Zara. Voici la fontaine des Innocents et les Halles anciennes, telles que Vadé les connut jadis, et telles que les a trouvées pour les détruire l’architecte de la fonte de fer Baltard. Les dames de la Halle et messieurs les forts sont en toilette de gala ou plutôt de noces. II s’agit en effet du mariage du perruquier-coiffeur Pomponet avec Clairette, la fille de Mme Angot. 

Lorsqu’il y a quelques mois l’opéra comique de M. Lecoq fut essayé à Bruxelles, mon collaborateur Dancourt a résumé ici même l’historique de Mme Angot, ce type devenu légendaire de la poissarde parvenue, dont les aventures invraisemblables firent les délices de toute une génération. Je n’ai donc pas à y revenir. II me suffira de rappeler que Mme Angot étant allée à Constantinople, y fut remarquée par le grand-turc et eut là de nouvelles aventures, sur lesquelles il est inutile d’insister. Tout ceci n’est d’ailleurs, dans la pièce nouvelle, qu’un souvenir lointain ; quelque chose comme la légende de la Halle, fière de sa poissarde et de son épopée abracadabrante. Quand la toile se lève, Mme Angot est morte il y a beau temps : Clairette, demeurée orpheline, a été adoptée par l’unanimité des dames et des forts de la Halle, anciens pairs et compagnons de sa mère, qui lui ont fait donner une éducation soignée dans un excellent pensionnat et auxquels il ne reste plus qu’un dernier devoir à accomplir : marier Clairette au jeune perruquier-coiffeur Pomponet. 

Mais voici bien une autre affaire : au moment de se rendre à la mairie, un incident tardif fait tout manquer : Clairette à sa naissance a été crânement déclarée par ces dames fille de M. et de Mme Angot. Or, au moment de cette naissance, feu M. Angot était défunt depuis tantôt trois ans. Simple rectification d’état civil à faire régulariser. Mais la chose demande encore un certain temps, et voilà un mariage retardé et une noce au désespoir. 

Seule, Clairette, chose bizarre, ne parait pas partager ce désespoir unanime. Au contraire. Pourquoi ? C’est qu’en épousant Pomponet, elle frisait un simple mariage de raison, et obéissait passivement à ses pères et à ses mères. Voici venir un chanteur des rues — sous le Directoire, la chanson, c’était le pamphlet impitoyable — qui éclaire la situation. Le chanteur, c’est Ange Pitou, un personnage historique et parfaitement authentique, qui n’a absolument de commun que le nom avec le héros fantaisiste du roman d’Alexandre Dumas. Ange Pitou passe sa vie, moitié à chansonner Barras et sa maîtresse, la comédienne Mlle Lange, moitié en prison pour avoir chansonné ces puissants personnages. 

— C’est même bizarre ! dit-il à certain moment de la pièce, depuis que nous avons la liberté, je suis toujours en prison ! 

Le temps qui lui reste, il l’a employé à faire la cour à la fille de Mme Angot. 

Au fond, simple oiseau sur la branche, cet Ange Pitou, cervelle au vent, déjà consolé de la perte de Clairette, quand il la croit mariée, reprenant son thème amoureux quand il la retrouve libre, nullement sérieux en somme. Mais Clairette a cru les paroles dorées de l’élégant chanteur, elle le pousse à demander sa main : justement, voici un gros homme ridicule, la Rivaudière, le rival amoureux de Barras, qui vient d’acheter trente mille écus (sans doute en assignats) le silence d’Ange Pitou. Le pauvre chanteur des rues est devenu riche en un quart d’heure. Il demande la main de Clairette, mais ni ces dames de la halle, ni ces messieurs n’entendent de cette oreille-là, et Ange Pitou est impitoyablement éconduit avec ses trente mille écus. 

Il s’était fait tout d’un coup, comme il se fait à tout du reste, à cette idée d’épouser Clairette. Il est navré d’abord ; mais, bah ! après tout, il n’y a pas que Clairette au monde ! Il cherchera ailleurs des pères et des mères moins rebelles à la fascination de trente mille écus. Comme il y rêve, voici que la foule envahit le carreau de la Halle. On a reconnu Ange Pilou, le chansonnier. Il faut qu’il chante sa dernière chanson contre le Directoire, sa fameuse chanson dont on parle tant. Ange Pitou, qui n’est pas en train, résiste. — Tu ne veux pas chanter ? En prison, alors ! — Arrêtez ! crie une voix ; celle chanson, qu’il dit avoir perdue, c’est moi qui l’ai trouvée ; je la sais, je vais vous la chanter à sa place. Et Clairette, toujours en robe de mariée, attaque la chanson contre le Directoire et Mlle Lange avec une crânerie sans pareille, aux applaudissements de la galerie. 

Mais, ô disgrâce, un agent de police, son gros gourdin à la main, a tout entendu : il va chercher main forte, et revient avec des soldats. — Arrêter cette femme ! — Et voilà Clairette emmenée, malgré les cris et les menaces de ces messieurs et ces dames de la Halle, tandis qu’Ange Pitou, au désespoir, jure de sauver celle qui s’est perdue pour lui. 

C’est ici que se place l’incident dont la Gazette a déjà parlé hier. La chanson dite par Clairette, et dont le refrain est : 

C’n’était pas la peine. 
Assurément, 
De changer de gouvernement ! 

n’a pas paru du goût de quelques spectateurs qui ont un tant soit peu chuté. Immédiatement le couplet est bissé. Les mêmes spectateurs protestent. Finalement, le couplet « réactionnaire » est bissé à une immense majorité de bravos et d’applaudissements. 

Néanmoins, il faut en convenir avec tristesse, le temps est loin où, — ce n’était pourtant qu’en 1818, — un homme d’esprit entendant un coup de sifflet attaquer brutalement une pièce de Clairville (précisément l’un des auteurs de l’œuvre actuelle) se levait de son fauteuil de balcon et lançait avec un flegme étonné cette apostrophe célèbre à trois mille spectateurs enthousiastes : 

— Est-ce que par hasard il y aurait un républicain dans la salle ? 

On assure que la censure effrayée de ce début a instamment demandé, — et obtenu — des auteurs la suppression de certains autres passages du second acte (entre autres une chanson sur le Pouvoir exécutif, nom emblématique alors donné aux grosses cannes de défense), passages qui auraient pu contrarier messieurs les républicains présents dans la salle. Si le fait est vrai, tant pis et tant mieux. Tant pis, car il est toujours triste de céder devant une infime minorité. Tant mieux, car c’est une preuve de plus de l’esprit de tolérance et de liberté qui caractérise nos aimables adversaires. 

Au second acte, nous sommes chez Mlle Lance. Il y a grand bal : la Rivaudière est là, qui papillonne. Mais Mlle Lange est distraite, rêveuse : elle a un secret. Elle écarte ses amis et la Rivaudière désolé. Le secret de Mlle Lange, c’est qu’elle a vu Ange Pitou, le chanteur des rues, et qu’elle aime son implacable ennemi. Elle a su les circonstances de l’arrestation de Clairette : elle a ordonné qu’on lui amenât la jeune fille. Clairette entre : Mlle Lange pousse un cri. Elle a reconnu sa meilleure amie de pension dans la fille de Mme Argot.

Ici se place un duo qui a décidé du grand succès de la soirée, succès qui, du reste, n’était plus douteux. Oubliant, l’une son arrestation, l’autre son rang de favorite, les deux femmes se rappellent mille souvenirs de jeunesse, la vie de pension, les rêves d’avenir. 

— Te souviens-tu, dit Clairette, comme nous nous amusions à lire le catéchisme poissard de la Halle, et comme nous riions, pendant la récréation, en nous menaçant dans ce style, pendant que la maîtresse était loin ?

— Oui, dit Mlle Lange, je me souviens : je te disais... 

— Et moi, reprend Clairette, je te répondais... 

Et les deux femmes, interrompant le duo charmant et mélancolique, se posent le poing sur la hanche, et d’une voix crâne rejouent au naturel la scène de la pension qui vient de se réveiller dans leurs souvenirs. 

Le contraste, amené tout naturellement, est d’un effet prodigieux. Qu’en ne croie pas qu’il s’agisse ici d’un effet forcé ou mal séant : c’est absolument inoffensif et innocent, et ce n’était pas une mince difficulté à tourner. Auteurs et actrices se sont acquit tés de la tâche avec un rare bonheur. 

Mais de son côté, Ange Pitou ne reste pas inactif. À qui demander aide et protection pour Clairette, sinon à Mlle Lange, la toute puissante favorite ? Il entre donc. Mlle Lange a fait passer Clairette dans une chambre voisine. La voilà donc seule en présence de ce terrible Ange Pitou qui ne connaît pas son bonheur. Il ne tarde pas à le connaître, et sans plus penser à Clairette, s’y abandonne aussitôt, et dans des couplets charmants qui ont jusqu’à la couleur archaïque de l’époque : 

Tombe aux pieds de nouveau régime !

Trop d’abandon : La Rivaudière se méfie très fort de Mlle Lange. Un jeune homme est entré : Plus de docte ! le gros homme est trompé. Impossible de fuir. Mais Mlle Lange a déjà eu le temps de faire rentrer Clairette et de lui donner le mot d’ordre. Ce mot d’ordre, c’est, sans que la favorite s’en doute, presque la vérité : ce jeune homme est venu pour sa fiancée, non pour la favorite, et tout s’arrange d’autant mieux que l’infortuné Pomponet, s’étant hasardé, à son tour, chez Mlle Lange pour lui demander sa protection, se voit saisi, garrotté et conduit en prison comme étant le seul et authentique Ange Pitou. 

Mlle Lange mène d’ailleurs de front son intrigue amoureuse et... une conspiration, dirigée contre Barras, et dont est la Rivaudière. Voici l’heure. Les conspirateurs conduits par Trénitz, le célèbre danseur, — une conspiration d’opéra comique, comme on le voit, — entrent à pas de loup et revêtus de longues houppelandes. Le chœur à mi-voix qu’ils chantent est peut-être la perle de la partition. C’est du vrai bouffe et du meilleur. 

Mais en voici bien d’une autre : tout est découvert, et les hussards cernent la maison. Que faire ? Mlle Lange ne perd pas la tête pour si peu : — Ce n’est pas une conspiration ! dit-elle, c’est un bal de noces. Nous avons (montrant Clairette) la mariée sous la main. Vite ! vite ! une valse. 

En un clin d’œil, les conjurés enlèvent leurs houppelandes, leurs fausses perruques et apparaissent dans leur toilette véritable. Au même instant, la porte s’ouvre ; les hussards entrent ; le brigadier exhibe son mandat. — Allons donc ! dit la favorite en riant, la conspiration, la voici ! 

Elle désigne Clairette : le brigadier, honteux, se confond en excuses. — Je vous pardonne, si vous dansez avec nous, dit Mlle Lange. Et un instant après, hussards, merveilleuses, conspirateurs, Ange Pitou compris, sont emportés pêle-mêle dans le tourbillon de la valse. Je ne crois pas qu’il existe an théâtre de final plus original et plus véritablement trouvé.

L’analyse du troisième acte ne nous arrêtera pas longtemps. La scène se passe â Belleville, dans un bal public du temps, lien commode où se retrouvent successivement, par un enchaînement de circonstances ingénieuses, tous les personnages. Qu’il vous suffise de savoir que Clairette surprend enfin Ange Pitou en flagrant délit d’infidélité, et, renonçant à ce chansonnier trop inconstant, accorde sa main au malheureux Pomponet, qui l’a bien gagnée. 

Il y a encore dans ce troisième acte, un dialogue musical pseudo-poissard des plus animés entre la fille de Mme Angot et la favorite qui lui a enlevé son amoureux. Ce dialogue, plus étendu et plus vigoureux que celui du duo du deuxième acte, a été bissé et le mérite. Au surplus, jamais aucune partition n’a eu peut-être autant de morceaux bissés que le nouvel opéra comique de M. Lecoq. On eut fait répéter trois fois le chœur des conspirateurs par exemple, si les artistes avaient bien voulu s’y prêter. 

Je signale encore au courant de la plume les couplets sur madame Angot, au premier acte, et ceux de Clairette, au troisième : 

          De la mère Angot 

          Je suis la fille !

Il faudrait tout citer. La musique de M. Lecoq est d’un bout à l’autre charmante, elle court, elle chante, tantôt mélancolique, tantôt joyeuse, tantôt colère, comme l’héroïne qui a donné son nom à la partition. Encore une fois, c’est de l’opéra comique, du véritable opéra comique français, où la musique rivalise d’esprit avec le dialogue. Ce n’est pas un mince symptôme que l’accueil enthousiaste et quasi étonné fait hier par l’unanimité du public à ce genre en quelque sorte tout nouveau pour lui, à force d’être ancien. 

La pièce est montée avec un soin extrême. Mlle Paola Marié, dont l’éducation musicale est complète, joue et chante son rôle avec un talent qui en fait dès aujourd’hui une étoile du genre, peut-être l’étoile unique. Mme Desclauzas détaille avec une voix bien timbrée et sympathique le rôle très lourd et très difficile de Mlle Lange. Elle a obtenu dans l’apostrophe du troisième acte un vif succès. Mme Toudouze n’a que les couplets de Mme Angot au premier acte et s’y est fait applaudir pour son brio endiablé. 

La série des hommes est moins complète : le ténor Dupin était d’ailleurs fortement grippé le premier soir ; il a néanmoins chanté avec beaucoup de goût certaines parties de son rôle, mais il faudra l’entendre dans quelques jours pour juger en parfaite connaissance de cause. Mendasti, qui a joué Ange Pitou, n’a pas un rôle bien chargé de musique ; mais il faudrait un second ténor, et la bonne volonté d’un comédien consciencieux ne saurait y suffire. Les petits rôles sont bien tenus. Un artiste nommé Haymé a fait notamment du danseur Trenitz, qui traversé [sic] seulement la pièce, une véritable création. […] 

Simon BOUBÉE.

Related persons

Composer

Charles LECOCQ

(1832 - 1918)

Related works

La Fille de Madame Angot

Charles LECOCQ

/

CLAIRVILLE Victor KONING Paul SIRAUDIN

Permalink