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Les Abencérages de Cherubini

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ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.

Première représentation des Abencérages, ou l’Étendard de Grenade, opéra en trois actes.

Les Maures d’Espagne sont célèbres, et leur histoire est peu connue. Leur nom rappelle la galanterie, la politesse, les beaux-arts ; et leurs annales n’offrent que des rois égorgés, des divisions, des guerres civiles, des combats éternels avec leurs voisins. Au milieu de ces tristes récits, on trouve quelquefois des traits de bonté, de justice, de grandeur d’âme. Ces traits nous frappent beaucoup plus que ceux que nous lisons dans nos histoires, soit qu’ils conservent une impression d’originalité que leur donne le génie oriental, soit qu’à travers les nombreux exemples de barbarie, une belle action, un discours noble, un mot touchant, acquièrent un nouvel éclat des crimes dont ils sont entourés.

Il a peut-être suffi de ces lignes, par lesquelles Florian commence son excellent Précis historique sur les Maures, pour donner à l’auteur du nouvel opéra l’idée de faire revivre une nation que son génie ardent, son caractère aventureux, ses mœurs galantes et son [...ste] prodigieux environnent d’une splendeur si convenable à la scène lyrique. Parmi ces fiers conquérants de l’Espagne, il a pris pour ses héros ceux qui ont su y conserver le plus long-tems le fruit de leurs exploits, ceux qui, en repassant la mer d’Afrique, ont laissé en Europe les plus glorieux souvenirs. Pour théâtre de son action, il a choisi cette ville célèbre en cette contrée délicieuse, où l’on admire encore les monuments de leur magnificence. Le spectateur est transporté à Grenade, dans l’Alhambra, ce palais fameux où, par un concours d’événements bien singulier, les souverains de la Castille consommèrent l’expulsion des Maures, l’année même que Christophe Colomb découvrait pour eux un nouveau monde.

L’auteur, dans un court avertissement qui précède son poëme, a rappelé deux points historiques d’autant plus essentiels qu’ils servent, en quelque sorte, de fondement à l’action principale. L’un est la haine héréditaire qui divisait les deux tribus des Zégris et des Abencérages ; l’autre, est la loi du royaume de Grenade, qui condamnait à mort le général sous le commandement duquel l’étendard sacré tombait au pouvoir de l’ennemi.

Almanzor, général de l’armée, et membre de la tribu des Abencérages, a obtenu, pour prix de sa vaillance, la main de la belle Noraïme, princesse du sang royal. La fête de leur hymen s’apprête ; mais elle est le signal de la division et des complots. Tandis que le peuple se livre à la joie, le visir Alémar, de la tribu des Zégris, forme avec ses alliés l’odieux projet de renverser un rival dont la gloire et le bonheur redoublent sa haine. Au milieu des réjouissances publiques, on voit paraître un guerrier espagnol, qui vient, comme ambassadeur, apporter les félicitations de son souverain. Ce guerrier est le fameux Gonzalve de Cordoue, le grand capitaine. Sa présence ajoute à la félicité des deux amans : elle est pour eux un gage de la paix. Mais tout-à-coup les chants et les danses sont interrompus par Octaïr, porte-étendard du royaume de Grenade, et l’un des conjurés. Il annonce que la trêve est rompue, que déjà les Castillans sont en marche. À cette nouvelle, les Zégris délibèrent entr’eux sur le parti qu’ils doivent prendre : ils se proposent d’arrêter Gonzalve comme otage. Le visir Alémar opine qu’il faut lui permettre de se retirer librement, pour mieux assurer l’exécution du complot ourdi contre Almanzor. C’est dans cette vue que, le premier, il s’écrie que l’État réclame de nouveau le bras du vaillant Abencérage. Il remet entre ses mains l’étendard de Grenade ; mais en même tems il rappelle, à voix basse, à Octaïr, qui doit le porter dans les combats, les instructions secrettes qu’il lui a données. Almanzor, à la tête des troupes, marche contre les Espagnols.

Noraïme doute si peu du succès d’une expédition confiée à son amant, qu’elle prépare d’avance le triomphe qui doit rehausser l’éclat de son hymen. Au milieu de ces doux apprêts, on vient lui annoncer qu’Almanzor, en effet, a remporté une victoire brillante ; mais qu’elle est payée du prix le plus cher : l’étendard sacré est au pouvoir de l’ennemi. La mort plane sur la tête du vainqueur. Il paraît bientôt lui-même ; il se croit indigne de Noraïme : elle lui renouvelle les sermens d’une tendresse à l’abri de tous les événements ; mais elle veut être instruite de celui dont la nouvelle a jeté l’effroi dans son âme. Dès qu’AImanzor lui dit qu’au travers du nuage qui enveloppe cet affreux mystère, il ne peut s’empêcher de soupçonner la loi d’Octaïr, elle est éclairée par un trait de lumière soudaine. Octaïr est l’ami du visir, et il avait osé former des prétentions sur elle. Cependant Almanzor est sommé de comparaître devant le conseil des cinq vieillards pour rendre compte de sa conduite. Il répond, avec calme, que la nuit, témoin de sa victoire, l’est aussi d’un malheur qu’il ne conçoit pas. Le chef du conseil lui demande qui peut donc le défendre : à ces mots, une troupe d’Abencérages se précipite dans la salle du conseil, et fait flotter sur la tête d’Almanzor les drapeaux qu’il vient d’enlever aux Espagnols. Des Zégris même élèvent la voix pour implorer la clémence des juges en faveur d’un général victorieux. La loi prononce sa mort : les vieillards, pour satisfaire en même tems à leur devoir et au vœu de l’armée, condamnent le coupable à l’exil, en déclarant qu’il ne peut reparaître dans les murs de Grenade, que pour y voir trancher ses jours à l’instant même. Les conjurés frémissent de rage ; leur vengeance n’est pas encore suffisamment assouvie. Le farouche Alémar presse, du moins, Almanzor de se soumettre à sa destinée avant la fin du jour ; et il promet à ses complices de le poursuivre de ses regards partout où il portera ses pas.

Abandonnée à elle seule, Noraïme va se livrer à son désespoir dans une partie solitaire des jardins de l’Alhambra où s’élève le tombeau de sa mère. Almanzor, vêtu en esclave, traverse la rivière et franchit les rochers qui ferment les jardins de ce côté. Il se montre tout-à-coup aux yeux de la princesse qui, d’abord, ne le reconnaît pas, et tombe ensuite évanouie dans ses bras. Elle ne reprend ses sens que pour lui déclarer que, résolue de ne jamais séparer son sort du sien, elle prétend partager son exil, et elle le presse de guider ses pas. Ils sont prêts à s’élancer dans une barque qui doit les porter sur l’autre rive : le visir et ses affidés paraissent soudain. Almanzor est enchaîné ; Alémar, cette fois, croit que sa victime ne peut plus lui échapper. Le peuple et l’armée sont assemblés aux pieds des remparts. Un héraut d’armes annonce qu’Almanzor ayant violé la loi qui le bannissait de l’enceinte de Grenade, va être précipité du haut des tours. S’il est quelque guerrier qui veuille embrasser sa défense, le champ-clos lui est ouvert ; mais il doit vaincre pour prouver son innocence, ou périr avec lui. Alamir et Kaled, deux chefs des Zégris, se présentent pour soutenir la justice de la sentence : Almanzor, désespéré d’avoir perdu Noraïme, s’écrie qu’il ne veut point de défenseur, et il appelle lui-même l’instant de son supplice. Une femme, un guerrier inconnu, dont la visière est baissée, descendent précipitamment des remparts. C’est Noraïme qui vient attester l’innocence de son amant ; c’est un chevalier qui demande à combattre en son nom. Un écuyer suspend sa bannière, recouverte d’un voile noir. Il jette le gage du combat ; Alamir le relève. Une enceinte est formée ; les deux adversaires s’attaquent tour-à-tour avec la hache d’armes, l’épée et le poignard. Alamir tombe mort aux pieds du guerrier inconnu. Le visir est consterné ; il redemande l’étendard avec une nouvelle fureur. Sur un signe du vainqueur, le voile noir tombe, et l’on reconnaît le drapeau sacré : lui-même enlève sa visière, et fait voir le magnanime Gonzalve de Cordoue. Il révèle que l’étendard lui a été livré par Octaïr, qui obéissait aux ordres du visir ; mais que trop généreux pour profiter d’une trahison, il vient lui-même en dévoiler la trame. Rien ne s’oppose plus au bonheur d’Almanzor et de Noraïme. Le perfide visir subira le supplice qu’il destinait à son noble ennemi ; des transports d’allégresse éclatent de toutes parts.

Applaudi fréquemment pendant le cours de la représentation, cet opéra s’est achevé au milieu des acclamations les plus unanimes et les plus vives. Le public a demandé impatiemment les auteurs : aux noms de MM. de Jouy et Cherubini, les témoignages de son extrême satisfaction ont éclaté avec une nouvelle chaleur. Fidèle au plan judicieux dont la Vestale a été le premier résultat, M. de Jouy dirige constamment ses efforts vers le but que devrait toujours se proposer la véritable tragédie lyrique : allier le plus grand intérêt possible à tous tes incidens qui peuvent amener le développement des prestiges que réclame essentiellement le genre lui-même. Un grand opéra qui ne serait qu’un drame chanté ou qu’un ballet continuel, dérogerait également aux premiers principes de l’art. Les Abencérages offrent la plus heureuse alliance de situations dramatiques et de tableaux brillants ou gracieux. Je regrette qu’un extrait aussi rapide ne me permette pas d’en donner une idée plus satisfaisante à mes lecteurs. Il me sera du moins permis de leur faire mieux apprécier un des mérites les plus saillants de cet ouvrage, celui d’un style toujours élégant et lyrique, sans être jamais recherché ni tendu. Quelques citations comprises dans un prochain article, suffiront pour justifier cet éloge.

Précédé par la plus éclatante renommée, le compositeur s’est montré digne de la soutenir. On rapporte qu’à la première représentation de son Œdipe, Voltaire criait au parterre : « Écoutez, Athéniens, c’est du Sophocle tout pur ! » On pouvait lui crier, avant hier : « Écoutez, Parisiens, c’est du Gluck et du Mozart tout purs, ou plutôt c’est du Cherubini : voilà l’émule, plus encore que le disciple de ces grands maîtres ! » À peine puis-je indiquer, aujourd’hui, quelques morceaux de cette vaste et riche composition.

L’ouverture, guerrière et voluptueuse, tour-à-tour, brillante, en un mot, de toutes les couleurs du sujet ; un air d’Almanzor, plein d’amour et de bonheur ; des chants de troubadours ; une romance dont l’expression inouïe est due à son extrême simplicité même ; deux airs de Noraïme, les adieux d’Almanzor à sa patrie, un air d’Alémar, une foule de morceaux d’ensemble du plus beau style, les airs de danse d’une grâce exquise, ont tellement enivré les amateurs du plus séduisant des arts, qu’il faut leur accorder quelques instans de repos, pour qu’ils puissent se rendre compte à eux-mêmes de toutes les sensations qu’ils ont éprouvées. Je me propose de revenir sur les principaux morceaux, ainsi que sur la manière très distinguée dont ils ont été chantés par Mme Branchu, et Nourrit, Eloi et Derivis.

Les ballets sont dessinés avec un goût parfait : M. Gardel a tiré un parti fort ingénieux des divers caractères que lui offrait le mélange des deux nations mauresque et castillane. Parmi tant de pas ravissans, pourrait-on ne pas citer, en première ligne, celui qu’exécute Albert avec Mmes Gardel et Bigottini ? Il pince de la guitare tout en dansant ; et, sans rien perdre de la légèreté de ses jambes, de l’aisance et de la grâce de ses attitudes, il ne manque pas une fois à la mesure ; il n’omet pas une seule note. Au nombre des décorations nouvelles, on a distingué la fameuse Cour des Lions de l’Alhambra, et la Salle d’Armes où s’assemble le conseil. Celle-ci, surtout, est d’un effet inimaginable.

L’assemblée nombreuse et brillante qui s’était portée avec empressement à la représentation des Abencérages, a eu le bonheur de jouir d’une vue infiniment plus précieuse que tous les plaisirs qu’elle venait chercher : le premier acte était près de finir, lorsque l’Empereur et l’Impératrice ont paru dans leur loge ; aux acclamations long-tems prolongées qu’a fait naître la présence de J.L. MM., a succédé la demande unanime que le pas délicieux de la guitare fût répété devant elles. Les mêmes transports d’amour et de joie ont éclaté lorsque LL. MM. se sont retirées.

S.

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Luigi CHERUBINI

(1760 - 1842)

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/

Étienne de JOUY

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